Les populations du quartier de Colobane sont sorties en grand nombre, hier, pour exiger la libération de Cheikh Mané et Cheikh Diop condamnés pour le meurtre, au mois de janvier 2012, du policier Fodé Ndiaye. Le troisième coaccusé Cheikh Cissé a été acquitté. Les habitants refusent que leurs fils soient sacrifiés sous prétexte que Colobane est une zone criminogène.
La condamnation par la Cour d’Assises de Cheikh Mané et Cheikh Diop à 20 ans de travaux forcés pour le meurtre du policier Fodé Ndiaye, a infligé une vive douleur aux populations de Colobane. La sentence est, à leurs yeux, trop lourde et trop injuste pour les deux jeunes du quartier incarcérés sur la base d’accusations ‘’fallacieuses’’ d’un repris de justice, une certaine Arame Sow qui terrorise le quartier. Hier, les chefs de quartiers, imams, notables ont investi la rue pour s’associer au combat du collectif des habitants de Colobane irrités par une justice à deux vitesses. Ils en ont profité pour déverser leur bile sur l’unique témoin à charge, en l’occurrence Arame Sow, qui a conduit à l’arrestation des ‘’meurtriers’’ du policier Fodé Ndiaye, tué lors des manifestations préélectorales contre la candidature de Me Wade. Le défunt policier poursuivait, avec deux autres collègues, des manifestants jusqu’à l’intérieur de leurs maisons.
Portrait d’une brebis galeuse
Lors de cette forte mobilisation, le quartier, qui s’est mis au rouge, a craché à l’unisson du venin sur ce témoin assez spécial, qui empêche tout le quartier de dormir du sommeil des justes. Un florilège des récriminations : ‘’On prie Dieu tous les jours de nous préserver de sa capacité de nuisance’’ ; ‘’elle est pire qu’une vipère’’ ; ‘’elle insulte tout le quartier, aussi bien les dignitaires et que les imams. J’ai 82 ans, elle ne m’épargne pas’’ ; ‘’elle est un as des magouilles’’ ; ‘’elle incrimine qui elle veut.’’
Des plaintes des populations corroborées, devant une grande assemblée, par les frères et sœurs d’Arame Sow, qui la présentent comme un esprit ‘’malveillant’’, une jeune dame ‘’qui aime nuire et détruire’’, malgré le fait qu’elle ait séjourné en prison à deux reprises. ‘’Elle a glissé du yamba dans mes affaires et m’a fait envoyer en prison’’, a confié son grand frère entouré de ses trois sœurs, indignées par les fausses accusations proférées par leur sœur. Elles ont versé des larmes devant l’assemblée. ‘’Nous avons honte, et nous nous sentons à l’étroit dans ce quartier, car nous sommes convaincus que notre sœur a servi un tissu de mensonges’’, a précisé Penda Sembène, qui est la sœur utérine du témoin.
‘’Nous irons jusqu’au bout !’’
Le collectif des habitants de Colobane qui dénonce ‘’un verdict injuste et trop excessif’’, a tenu à réaffirmer ‘’l’innocence de ces jeunes condamnés’’. Ils comptent ‘’user de tous les moyens mis à leur disposition par la justice’’, pour que la vérité éclate. Hier, le coordonnateur, Assane Bocoum a précisé que ‘’cette grande mobilisation est un premier jalon dans la quête de la réhabilitation de la vérité. D’autres actions sont prévues, mais c’est un combat pacifique que nous mènerons jusqu’au bout’’, a-t-il soutenu. Ils comptent aussi lutter contre certains clichés réducteurs, lesquels assimilent leur quartier à une zone criminogène. Le collectif, qui demande au président de la République de veiller à l’instauration ‘’d’une justice équitable et fiable dans ce dossier, exige une enquête plus poussée auprès de la population, une fiabilité des témoins et une exploitation scientifique des preuves’’.
‘’C’est la section de recherches de la gendarmerie qui devait conduire l’enquête’’
En effet, les témoignages ont été élogieux envers les deux détenus présentés comme des exemples de vertu. Pour Arona Dieng, adjudant-chef de la gendarmerie à la retraite, la responsabilité de l’Etat, de même que celui de Procureur, ne peut être dégagée dans cette affaire qui présente plus de zones d’ombres que d’éclaircies. En fait, il estime que l’Etat a le devoir d’encadrer ce genre de manifestations. Il n’est pas le seul à avoir failli à sa mission. ‘’Les commandants de forces n’ont pas joué leur rôle. Car, on se rend compte d’une confusion entre service d’ordre et maintien de l’ordre. Une unité constituée de tous les éléments devait être regroupée et agir en groupe. Les policiers ont sacrifié leur vie en poursuivant les jeunes jusque dans leurs quartiers. Ils n’auraient pas dû, car un élément isolé devient une cible potentielle à l’agression’’, a-t-il martelé.
L’ancien homme de tenue a ensuite indiqué que, pour plus transparence, la logique aurait voulu que l’enquête soit confiée à la section de recherches de la gendarmerie, ‘’cela pour éviter tout excès de zèle et esprit de vengeance, dans la mesure où la victime est un policier’’. Dans cette optique, il estime qu’il y a nécessité d’approfondir l’enquête, surtout que la non-fiabilité du témoignage brouille les pistes. Il s’explique : ‘’Il existe des témoignages qui ne sont pas recevables devant les tribunaux, surtout le témoignage d’un repris de justice. La police a arraché des aveux sous l’effet de la torture, il faut que justice soit rétablie.’’