Pape Alboury Ndao a confirmé hier, devant la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), l’existence d’un compte appartenant à Karim Wade et logé à Singapour. Pis, l’expert-financier a révélé que les 47 milliards découverts ont été vidés et transférés en septembre dernier.
‘’Je défie tout le monde. Aucun milliard ne sera trouvé à Singapour. Je demande à Macky Sall d’autoriser la délégation à aller à Singapour. Je vais signer tous les documents pour leur faciliter le travail, car cette affaire est montée de toutes pièces.’’ Tout au long de son interrogatoire, Karim Wade n’a cessé de lancer ce défi aux autorités. Une manière pour lui de contester l’existence du compte de Singapour révélé par l’expert-financier Pape Alboury Ndao, dans son rapport transmis à la Crei.
L’affaire vaut même un procès à l’expert-financier. En attendant de fournir des explications au tribunal correctionnel de Dakar, jeudi prochain, Pape Alboury Ndao s’est expliqué devant la barre de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI). Si l’on se fie aux explications fournies par Pape Alboury Ndao, Karim Wade n’a pas tort en clamant que le moindre milliard ne sera trouvé à Singapour. Parce que tout simplement le compte a été vidé et transféré. «Au moment où Karim Wade proposait en septembre une mission pour rapatrier les fonds, j’ai appris que le compte a été vidé et transféré», a dit Alboury Ndao. Où ? L’expert n’en a pas la moindre idée. Tout ce dont il est sûr, «c’est que l’argent a été enlevé».
Ainsi, contrairement aux dénégations de Karim Wade, l’expert-financier a affirmé que le compte de Singapour existe bel et bien. ’’Je défie quiconque d’apporter la preuve contraire de l’existence des 47 milliards de Singapour’’, a lancé le témoin, à l’entame de sa déposition. Il a précisé que ledit compte a été ouvert le 7 décembre 2011. L’expert-financier a expliqué que c’est en traquant Dubaï Port World (DPW) que le compte a été découvert, vu que les sapiteurs (personnes ayant une grande expertise en matière de délinquance financière) avec qui ils travaillaient ont été intrigués par la connexion entre cette société et Dubaï Ceramic. D’après M. Ndao, en poussant leurs investigations, les experts ont découvert que cette société avait procédé à des virements de 2 437 758 dollars et 13 372 942 dollars, respectivement le 11 janvier 2012 et le 13 février 2012 au profit de AHS Guinée Bissau dont Karim Wade est propriétaire à 100%, et dont le solde bancaire serait créditeur au 23 octobre 2013 de la somme de 93 761 204 dollars, soit près de 47 milliards de francs CFA.
Pape Alboury Ndao mouille Karim, Mamadou Pouye, Bibo et Tahibou Ndiaye
Outre le nom de Karim Wade, les noms de Mamadou Pouye, Ibrahim Aboukhalil Bourgi dit Bibo et ceux de Tahibou Ndiaye sont apparus dans le rapport. Ces derniers sont cités dans des mouvements de sortie enregistrés tous le même jour. Pape Alboury Ndao a révélé que le 15 décembre 2011, un virement de 1,300 milliard Fcfa a été effectué pour le compte de MP capital Group via la Bank of China Anzou group. Le même jour, un virement de 2 millions 430 mille dollars a été fait via la même banque, au profit de Karim Bourgi. Le dernier virement portant sur 1 million 760 mille dollars, soit 825 millions de francs CFA, a été effectué pour Sen Pharma de Tahibou Ndiaye.
Face à toutes ces affirmations, les magistrats et les avocats de la partie civile lui ont demandé sur quoi il se fonde pour dire que le compte appartient à Karim Wade. L’expert leur a rétorqué tour à tour, qu’au-delà des résultats obtenus après vérifications et recoupements, il y a la réticence des avocats de DPW. «Lorsque je suis parti à Dubaï, ils n’ont pas pu voulu me recevoir», a argué l’expert, tout en précisant que ce refus l’a empêché «d’exploiter la partie croustillante de ses investigations». Outre l’attitude suspecte des avocats de DPW, Pape Alboury Ndao fonde sa conviction sur des mails récupérés, après l’exploitation de l’ordinateur du directeur de DPW dessaisi.
L’autre compte de 111 milliards non exploité
D’après l’expert, les mails produits, entre février et juin 2011, avaient disparu. Ils ont été retracés et des informations suspectes y ont été décelées. Parmi ces mails, il y a celui que la conseillère de Karim Wade, Mme Ramata, a adressé au Directeur général du Port pour l’informer de la visite du sultan de DPW. Elle lui assurait des dispositions prises et que personne n’était au courant de l’implication de Karim Wade. Selon le témoin, dans un autre mail le ‘’Chief executif operation’’ rend compte au directeur des opérations du contact qu’il a eu avec Karim Wade à qui il demandait de diligenter l’obtention de visas pour ceux qui devaient implanter le Terminal à conteneur.
Il s’y ajoute, selon M. Ndao, que lorsque la mise en demeure a été signifiée à Karim Wade, celui-ci a contacté le Head Office de DPW, le 17 mars 2013. C’était pour, dit-il, demander aux autorités de Dubaï de faire une déclaration dans la presse pour nier l’accusation selon laquelle DPW lui appartenait, sinon, le gouvernement pouvait geler le Port dans les 30 jours. Karim Wade a aussi, d’après le témoin, demandé à ses interlocuteurs d’impliquer le gouvernement des Emirats Arabes et qu’une loi était en cours pour fermer le Port. Pape Alboury Ndao a ajouté que le résultat aurait pu être plus exhaustif s’ils avaient disposé d’assez de temps et de moyens. «Aujourd’hui, je suis resté sur ma faim», n’a cessé de dire l’expert-financier. Par manque de moyens et de temps, a-t-il ajouté, il n’a pu exploiter les informations relatives à un autre compte de 111 milliards découvert. ‘’Les sapiteurs réclament des honoraires, mais on ne m’a pas versé de l’argent pour pousser mes investigations’’, s’est désolé l’expert.
Pouye démonte le rapport de Pape Alboury Ndao
Autant le témoin a regretté l’insuffisance de preuves, autant le prévenu Mamadou Pouye a regretté l’absence de preuves. Le présumé complice de Karim Wade a insisté auprès de l’expert pour qu’il lui fournisse les preuves des virements. ‘’Je n’ai pas de relevés bancaires attestant la transaction’’, a rétorqué M. Ndao, non sans souligner que c’est par des moyens ‘’détournés’’ qu’il a obtenu ses résultats. ‘’Même vous juges, si vous allez dans une banque pour obtenir des informations sur un client, on va vous opposer le secret bancaire. C’est pareil dans les paradis fiscaux’’, a soutenu l’expert. Et de révéler un pan sur la manière dont il a obtenu les informations : ‘’Dans les paradis fiscaux, ce sont les gens qui vous aident à créer les comptes qui vendent les informations après, moyennant d’importantes sommes d’argent’’, a déclaré l’expert.
Toujours prêt à démonter le rapport de l’expert, le prévenu est revenu à la charge: ’’Savez-vous qu’il m’est impossible d’ouvrir un compte au nom de Pape Mamadou Pouye, car mon nom à l’état-civil est Mamadou Pouye ?’’ Autre manquement décelé par le prévenu, c’est le fait que dans le rapport, il est mentionné Ibrahim Khalil Bourgi or Bibo s’appelle Ibrahim Aboukhalil Bourgi. Ces précisions faites, le prévenu a soutenu n’avoir jamais ouvert de compte en Chine, ni reçu d’argent provenant de AHS Guinée Bissau. Toujours pour démonter le rapport, Mamadou Pouye a relevé que dans le document présenté par Pape Alboury Ndao, pour parler d’AHS-Guinée Bissau, l’on a mentionné Africa Handling service à la place d’Aviation handling service. «C’est une erreur de frappe », s’est justifié l’expert.