Quoique l’accès à l’éducation pour tous les enfants soit unanimement partagé par les autorités, la société civile comme les acteurs du système, il existe encore une partie de cette frange d’âge dont on parle peu et dont la prise en charge des besoins éducatifs se révèle capitale pour l’atteinte des objectifs d’Ept fixés par la communauté internationale. Il s’agit des enfants en situation de handicap. Au Sénégal, ils bénéficient certes d’un programme dénommé Education inclusive, mais un programme confronté à moult pesanteurs et forces d’inertie. Eclairage sur un sous-secteur qui cherche encore ses repères.
Le concept est nouveau. Les gens en parlent moins quand il s’agit d’élaboration des politiques éducatives. Pourtant, il s’agit d’un engagement mondial défini dans les objectifs de l’Education pour tous. Pour cause, la communauté éducative internationale s’est accordée dans l’objectif 2 de « Faire en sorte que, d’ici 2015, tous les enfants, notamment les filles, les enfants en difficulté et ceux appartenant à des minorités ethniques, aient la possibilité d’accéder à un enseignement primaire obligatoire et gratuit de qualité et de le suivre jusqu’à son terme ». Si les paramètres de l’objectif retenu restent très clairs, il n’en demeure pas moins que tous les enfants devraient apprendre ensemble, quelles que soient leurs différences. Et les enfants en situation handicap, dans tout cela?
La question mérite bien d’être posée à l’orée de la mise en œuvre du Programme d’amélioration de la qualité, de l’équité et de la transparence (Paquet) – 2013-2025. Au-delà de l’aspect construction des écoles, la mise en place des tables bancs, l’enseignement de cette catégorie de la population est d’une complexité qui requiert, pour l’atteinte des objectifs, l’allègement de plusieurs pesanteurs. En effet, il ne s’agit pas simplement d’un environnement d’apprentissage efficace du point de vue académique, mais aussi accueillant. Mais de promouvoir une accessibilité centrée sur des sensibilisations au-delà des préjugés sociaux et aussi de procéder à l’érection des écoles aptes à recevoir les différents types d’handicap combinable avec, en ligne de fond, une adaptation des manuels scolaires.
Cette prise en compte des facteurs relativement récents mobilise déjà les acteurs étatiques et les organisations de la société civile avec la mise sur pied du programme Education inclusive. La réflexion sur cette notion « d’éducation inclusive » a déjà permis de mettre sur pied une unité de coordination à la direction de l’enseignement élémentaire au ministère de l’Education nationale. Il est question d’aménager la scolarité des élèves en situation d’handicap qui est un des leviers dans la lutte contre l’échec scolaire.
LES FACTEURS D’EXCLUSION
Malgré son grand succès qui repose sur la loi d’orientation sociale pour le respect des droits des handicapés, l’Education inclusive pèche pourtant, au niveau de la mise en œuvre, pour permettre aux enfants de jouir pleinement de leurs droits. Le coordonnateur du programme Education inclusive à la direction de l’Enseignement élémentaire n’en dira pas le contraire. Saliou Sène souligne sans ambages que « les exclusions sociales sont là pour justifier l’acte des parents. Tous les préjugés sociaux sont convoqués par les parents pour retenir leurs enfants en situation d’handicap dans les foyers ». Pour lui, « le parent d’un albinos ou aveugle, un déficient intellectuel estime que son enfant ne peut pas aller à l’école ».
En plus de l’accessibilité des infrastructures pour permettre à un élève en situation d’handicap de rejoindre facilement l’école, l’accessibilité secondaire est un facteur tout aussi important. Pour l’inspecteur de l’éducation inclusive, « elle consiste à faire participer l’enfant à l’école, sinon il va décrocher. C’est un niveau très important que beaucoup d’acteurs ne maîtrisent pas. Si vous mettez dans la même classe un enfant sourd, un autre aveugle et un déficient mental ou moteur, ils n’apprendront pas ». Avant de poursuivre : « Beaucoup de partenaires affirment à tout vent qu’ils font de l’éducation inclusive alors qu’ils ne gèrent que l’accessibilité : sensibiliser, informer et négocier avec le parent, construire des toilettes. On a besoin d’être expert pour douter de la faisabilité d’une inclusion ».
La dernière accessibilité soulevée par le coordonnateur du programme au département ministériel est la transmission des connaissances avec des manuels scolaires adaptés. L’objectif est comment faire pour avoir un enseignant capable au même moment dans le même espace et temps de livrer des connaissances reçues par quelqu’un qui ne le regarde pas. En ce sens, M. Sène a indiqué que « les interventions coordonnées sur le terrain pêchent sur l’accessibilité tertiaire qui est le domaine exclusif de l’enseignant ».
ADAPTATION DES ENSEIGNEMENTS APPRENTISSAGES
Subséquemment aux questions d’accessibilité, il urge de procéder à l’heure actuelle du déroulement des programmes à l’adaptation des enseignements/apprentissages. A ce titre, les autorités n’ont pas attendu d’ajuster les stratégies et le contenu des supports au programme national (voir par ailleurs).
« L’enfant dit normal écrit en noir et l’enfant déficient visuel écrit en braille. Il faut préparer un enseignant. Il faut revoir la copie de l’inclusion pour ne pas mettre tous les enfants en situation d’handicap dans la même classe », a estimé M. Sène. Ce qui veut dire pour l’inspecteur de penser à ériger « des écoles qui vont recevoir des types de handicaps combinables. Une école où on regroupera des enfants sujets à une déficience visuelles et/ou motrice ». Aussi, poursuit-il, « le directeur et l’enseignant doivent pouvoir aussi lire le braille parce que l’enfant qui a une déficience visuelle réfute tout ce qui est matériel didactique, notamment les cahiers, les craies, le stylo, les livres. Il aura besoin de feuilles bristol, un livre adapté en braille puisque l’enfant lit avec le bout des doigts ».
OFFRE DE FORMATION LIMITEE, FONDS DE COMMERCE
Favoriser la poursuite des études des enfants en situation de handicap est aussi essentiel pour leur permettre de s’offrir les opportunités venant du monde de l’emploi. Le renforcement des dispositifs d’accompagnement pour les études poussées est d’ailleurs très limité. Ce qui constitue un grand défi pour le système pour la continuité de l’offre éducative.
« Il faut absolument arriver à avoir des collèges d’expérimentation de l’inclusion. Comment faire pour préparer un professeur d’anglais, de maths à prendre ces enfants ? L’offre d’éducation pour cette catégorie d’enfants est très limitée. Elle est souvent circonscrite entre Dakar et Thiès », a soutenu l’inspecteur Sène. Malgré les différentes interventions menées par ailleurs par les organisations de la société civile pour inviter les parents à amener leurs enfants dans les écoles, il n’en demeure pas moins que ceux-ci utilisent leurs progénitures comme fonds de commerce. La petite enquête menée par l’inspecteur a permis de constater cette situation qui freine l’élan des programmes mis sur pied. Il explique que « le parent peut dire que j’amène mon enfant pour mendier. Il arrive même qu’ils viennent les vendredis pour chercher leurs enfants, afin d’aller à la mosquée pour mendier ». Avant d’ajouter : c’est plus bénéfique parce qu’il peut se dire qu’avec mon enfant, je peux gagner 5 000FCfa par jour. C’est mieux de laisser l’enfant là-bas. C’est la complexité de la tâche qui y sied ».
L’ENJEU DE LA MAITRISE DES DONNEES
Afin de promouvoir des actions envers cette catégorie de la population, la maitrise des données statistiques de la situation de l’éducation inclusive au Sénégal est un enjeu fondamental. Cela, en dépit du recensement général de la population qui a fourni des données macro. L’absence des statistiques n’aide pas du tout les acteurs à avoir des indicateurs décisionnels académiques.
« Si Vous voulez mettre le doigt sur le ventre mou de l’Education inclusive, c’est inéluctablement la maitrise des données statistiques. C’est le grand problème. Les données qu’on a ne sont pas si élaborées pour permettre de construire un indicateur à valider », a t-il laissé entendre.
TROIS ECOLES PRIMAIRES EXPERIMENTALES : LES DISPARITES REGIONALES PERSISTENT
La mise en œuvre du programme de l’éducation inclusive cache mal les disparités régions en matière d’accès et de maintien des enfants vivant avec un handicap à l’école. La prise en compte des enfants à besoins éducatifs spéciaux est faite que dans trois écoles pour la phase pilote. Le choix a été porté sur la région de Dakar après une étude micro de certains localités pour accueillir le projet pilote. Il s’agit de l’école Pikine 23b de Guédiawaye, l’école Malick Diop de Thiaroye sur Mer et l’école Cherif 1 de Rufisque. Le projet inclusif qui a démarré en 2011 accueille 47 enfants aveugles dans les trois départements.
Au-delà de l’absence des statistiques pour prendre en considération des indicateurs décisionnels académiques, les disparités régionales exigent un élargissement de l’offre académique. Car, il existe des enfants à besoins éducatifs spéciaux dans les régions. D’où l’urgence de la restructuration des politiques éducatives classiques pour la mise en œuvre de l’éducation inclusive qui nécessite une révision des curricula de formation des enseignants.
ARTICULATION DES ENSEIGNEMENTS : INCLUSION SANS INTEGRATION ET LENTEURS DES APPRENTISSAGES
Le premier facteur pour la réussite de l’éducation inclusive reste la possibilité d’offrir aux enfants à besoins éducatifs spéciaux des bagages d’une possible intégration à l’école. Les enfants en situation de handicap rejoignent les classes sans passer par une classe de transition. En plus de cette inclusion sans intégration, des lenteurs sont notées dans le déroulement du programme apprentissage.
Il est 9 heures à Thiaroye sur Mer. La route nationale, comme il est de coutume, grouille de monde. Loin du décor habituel où les voitures avancent lentement. Des embouteillages monstres qui sont devenus de vieux souvenirs grâce à la réfection de cette route marquée par la mise en place d’un nouveau pont. Cette localité devenue commune par l’effectivité de l’acte 3 de la décentralisation est très réputée de par ses stars de lutteurs qui y habitent et le développement de la pêche, première activité économique. Elle est aussi victime des inondations pendant la période hivernale. L’humidité du sol en permanence en dit long sur les dégâts causés par les pluies. Au-delà de ces considérations, Thiaroye sur Mer abrite un établissement pas comme les autres : l’école primaire Malick Diop. Elle a pour vocation, depuis plus de trois ans, d’accueillir les enfants en situation de handicap tout comme l’école Pikine 23b de Guédiawaye et celle Cherif 1 de Rufisque. Ces trois écoles à Dakar constituent la phase pilote du programme de l’Education inclusive menée par la direction de l’Enseignement élémentaire du ministère de l’Education. L’école Malick Diop accueille présentement 17 élèves en situation handicap combinable : les enfants qui ont un déficient visuel (mal voyant et non voyant). En ce début de matinée, les élèves ont rejoint les salles de classes depuis 8 heures. C’est un calme plat dans la cour. Les bouteilles en plastique en couleur jaune, vert et rouge en constituent le décor pour les besoins de l’éducation physique. Deux messieurs aperçus de l’autre bout, à gauche de l’établissement, attirent notre attention. Après salutations d’usage, ils m’invitent à faire preuve de patience pour rencontrer le directeur, qui est dans une autre classe. Dix minutes ont suffi pour voir un homme sortir d’une classe. Ses pas lents attestent déjà sur son âge avancé : c’est le directeur de l’école appelé généralement doyen. Vêtu d’un costume noir assorti d’un pull pour se protéger certainement du vent qui souffle, le sieur en question se nomme Souleymane Bâ. La cinquante sonnée, il nous accueille dans son bureau où les cahiers, des savons, des livres se superposent. L’objet de notre visite détaillé montre à suffisance que nous avons affaire à un homme du sérail qui a fait de l’Education inclusive une affaire personnelle. D’emblée, Souleymane Bâ laisse entendre que «le principal réside entre l’articulation des apprentissages des voyants et des non-voyants. Les enfants en situation de handicap arrivent sans préparation préalable. Il n’y a pas de classes de transition. C’est une inclusion sans intégration qui se fait directement».
Une situation qui oblige le directeur et les partenaires au projet de mettre sur pied des maîtres référents pour aider ces enfants qui suivent les mêmes apprentissages afin de combler leurs insuffisances et de préparer les leçons à venir.
«L’enfant en situation de handicap met beaucoup de temps pour utiliser ses outils de travail pour faire ses exercices», précise M. Bâ.
L’école Malick Diop de Thiaroye sur Mer accueille 17 enfants en situation de handicap combinables qui bénéficient des sessions de formation et de cellules d’animation pédagogique. L’utilisation du système braille n’est pas un handicap. Au contraire, les instituteurs titulaires, les maîtres référents et le directeur ont été formés à cet effet pour aider et faire apprendre aux enfants à lire et à écrire grâce à ce système. Ceci dans un environnement adapté à leurs besoins qui exigent que l’enfant ait des repères au niveau de l’école.
« Il doit assurer sa mobilité au sein de sa classe, à l’intérieur de l’école et de l’établissement à sa maison. Il faut aussi préciser que l’enfant en situation d’handicap ne soit dans une situation de dépendance totale », a soutenu le directeur. Avant d’ajouter que «l’enfant doit être accepté et soutenu par ses camarades de classe ».
Autre école, autre décor. L’école Pikine 23 B, sise dans la commune de Wakhinane Nimzatt, Guédiawaye. La propreté est de mise dans cette école. L’architecture de certaines classes renseigne sur la présence des enfants en situation de handicap. La directrice de l’école formée pour évaluer en braille pour suivre ces enfants va de ses appréciations. Mbouba Kebe, directrice de l’école Pikine 23, a fait savoir que « la classe témoin va plus vite que la classe inclusive. Il faut aller doucement avec ces classes. Ce qui induit des lenteurs dans les apprentissages ». Néanmoins, elle mentionne les bons résultats des élèves en situation de handicap qui « peuvent être au-dessus des élèves voyants. Par contre, d’autres trainent ». « Le maitre fait son cours normalement. La différence réside dans l’écriture. Les élèves en situation de handicap écrivent sur des tablettes au moment où leurs camarades écrivent sur leurs ardoises », a-t-elle ajouté.
Susciter l’espoir
La mise en œuvre du programme Education inclusive a un tout fondamental pour sa réussite. Les acteurs qui s’activent y vont par passion. Ce qui conforte l’espoir de ces enfants dont l’avenir était incertain. Les enseignants rencontrés dans ces écoles ont fait montre d’un engagement particulier pour accompagner ces enfants à jouir de leurs droits. Ils en ont fait un sacerdoce ».
Pour Ibrahima Gueye, enseignant dans une classe inclusive de l’école Malick Diop, « ce sont des enfants qui à la naissance étaient destinés en quelque sorte à la mendicité. Maintenant ils sont conscients qu’ils ont un avenir dans l’enseignement ».
Le maître référent va dans le même sens en soulignant l’importance de la mobilisation des familles concernées pour soutenir leurs enfants. Pour Maguette Gadje, « c’est une tâche exaltante du maitre qui y va du bon cœur. Il donne tout ce qu’il a pour ces enfants dont l’avenir était incertain ».
Centre Talibou Dabo de Grand Yoff : Un grand corps malade
Le centre d’éducation et de réadaptation pour enfants handicapés physiques de Talibou Dabo est décidément un grand corps malade. Il croupi toujours sous le poids d’un déficit criant de matériels didactiques adaptés et la lenteur des enseignements apprentissages.
Ce n’est plus un secret de polichinelle de dire que le centre d’éducation et de réadaptation pour enfants handicapés physiques de Talibou Dabo fonctionne en béquille. Spécialisé dans la prise en charge des enfants handicapés moteurs, ce Centre qui a 125 élèves cette année du CI au CM2 en plus de la classe de la section des enfants handicap associés pour leur faire des activités ludiques, est loin de constituer un exemple pour une éducation inclusive efficace. Si le principe d’accueillir ces enfants est salué, il n’en demeure pas moins que le centre est confronté à de réelles difficultés sur son fonctionnement.
Au-delà de la vétusté des infrastructures, le centre de réadaptation a du mal à surmonter ses difficultés, notamment les enseignements apprentissages. « Quand on parle de handicap moteur, on parle d’une partie du cerveau qui a été détruit. Par conséquent, l’enfant a des difficultés d’apprentissage au niveau de la mémoire », a relevé Abdoulaye Mbow. Il ajoute : « c’est le cas pour d’autres enfants qui ne peuvent pas écrire. Deux enfants dans ma classe ne peuvent pas écrire. Par contre ils sont d’excellents élèves qui participent à l’oral ».
Parlant de l’adaptation des enseignements apprentissages, l’instituteur à l’école élémentaire du Centre Talibou Dabo a fait savoir le lourd programme national dont il essaie de choisir les chapitres indispensables pour enseigner ses élèves. Pour cette année, dit-il, sa classe compte 14 enfants en situation de handicap moteur dont 10 sont aptes à se présenter pour les examens du Certificat de fin d’étude élémentaire (Cfee).
« Nous avons trouvé un consensus avec les autorités de l’éducation en affectant des enseignants spécialisées pour qu’ils assistent ces enfants au jour de l’examen. Ils savent les difficultés de ces enfants. Raison pour laquelle on les convoque à l’IA de Dakar pour la correction des copies de ces enfants », explique-t-il.
Parlant des enfants qui ne peuvent pas passer les examens du Cfee, M. Mbow a rappelé l’état de santé de ces enfants qui ne pourront faire l’examen. Ils pourront faire plus tard la broderie, la couture.
ECOLE MALICK DIOP : UNE CITADELLE DE LA SALUTE
L’école élémentaire Malick Diop de Thiaroye-sur-Mer croule sous le poids de l’insalubrité. Les élèves, les enseignants et l’administration vivent avec les ordures depuis belle lurette. Il faut passer par derrière pour s’apercevoir de cette situation déplorable pour une école dont la particularité est l’éducation inclusive. La cohabitation n’est pas du tout harmonieuse. Les cafards et l’odeur nauséabonde des ordures déposées tout le long du mur où les passants sont obligés de contourner l’obstacle, ont fini par envahir les classes. La puanteur qui se dégage dans cette école rend difficile la respiration. Ici, l’inconfort atteint le summum. Ce qui va sans nul doute avoir des effets sur la santé des élèves. Pas la peine d’interroger un pneumologue pour dire que cela ne peut entraîner des maladies respiratoires.