‘‘La seule poche de terre disponible pour la collectivité lébou à Ouakam’’ est l’objet d’âpres dissensions. Lesquelles se sont traduites hier par des affrontements entre camps interposés. Représentant chacun une faction rivale à la tête de laquelle trônent des Jaraaf à couteaux tirés, ils en sont venus aux mains.
Ce n’est pas nouveau ! La terre suscite beaucoup de convoitises en milieu lébou. Et beaucoup de rivalités à Ouakam. La réunion du conseil des notables de ce village traditionnel, convoqué hier, a tourné au vinaigre. Des affrontements ont eu lieu entre les deux tendances qui se disputent la charge de Jaraaf. Lequel occupe la tête d’un des douze pénc (villages) lébou, coiffés par le Grand Serigne de Dakar. Le camp du Jaraaf Youssou Ndoye est opposé à celui composé par le trio de Jaraaf Omar Guèye Samb, Alioune Diagne Guèye et Momar Guèye.
La pomme de discorde est le titre foncier 5007 qui aiguise tous les appétits. Cette poche de terre rocailleuse de 7 hectares où la haute hiérarchie de l’Intérieur procède à l’incinération des produits stupéfiants, située dans les ‘Niayes’, est appelée ‘plateau’. Des bornes blanches y ont été plantées en guise de ‘‘lotissement par Youssou Ndoye à l’insu des autres notables du quartier, partis au pèlerinage de Tivaouane’’, déclare un résident. Ses partisans sont venus déloger les affidés de l’autre camp qui, apparemment, voulaient détruire ces délimitations. ‘‘Ces vieux retraités qui se disent notables, ont déjà leur part de terrain.
Que veulent-ils de plus ? Bloquer l’essor de la jeunesse en nous empêchant d’utiliser ces terres ? Nous ne les laisserons pas faire’’, s’écrie un jeune homme en maillot de basket bleu. Des échauffourées sporadiques ont éclaté çà et là donnant lieu à des courses-poursuites jusque dans les ruelles étroites du quartier. Sur une petite colline surplombée par le monument de la renaissance, les insultes fusent de partout. Les deux factions ont chacune un but précis. Celle-ci veut occuper le terrain pour faire constater à la presse la prédation foncière dont elle accuse Youssou Ndoye ; l’autre partie veut l’en faire descendre pour ‘‘préserver les bornes’’. Des coupe-coupe, des clubs de golf, des bâtons sortent furtivement des manches de blouson. Signe de tension extrême, une arme de poing et... un harpon sont dégainés.
La patrouille de gendarmes, composée d’une demi-douzaine d’éléments, arrivée vers 11 heures, était trop minime pour contenir cette surexcitation ambiante. Elle a tenté de calmer les opposants en occupant le terrain et en jouant aux médiateurs, sans grand succès. Les escarmouches éclatent de plus belle. Invectives et insultes n’épargnent ni femmes ni personnes âgées. Après une vaine tentative de faire descendre les occupants par un corps à corps, une autre approche est mise en œuvre. Les éléments de Youssou Ndoye, plus nombreux et mieux organisés, déclenchent une intifada qui oblige les autres qui y avaient convoqué la presse à déserter leurs positions.
Des jets de grosses pierres atteignent les habitations qui font face au terrain tant convoité. Les quelques automobilistes qui se sont arrêtés pour s’enquérir de la situation, ont dû redémarrer au quart de tour devant cette pluie de cailloux. Une équipe de télévision a été sommé de replier bagages en des termes peu courtois. Vers midi, un renfort de quatre à cinq pick-up de gendarmes, doté de tout un dispositif anti-émeute, met fin à cette opposition qui a duré toute la matinée avec un blessé grave, Bassirou Diallo, poignardé et évacué à l’hôpital. La présence dissuasive des forces de l’ordre, sans jets de grenades lacrymogènes, a permis de disperser les foules dans la plus grande retenue.
‘‘Nous n’avons pas envie de nous entretuer pour ces terres’’
Ouakam est un village de la collectivité lébou composé de sept quartiers : Taglou, Gouye Sor, Rip, Santhie, Boulga, Mérina, Mboul. Depuis le décès du Jaraaf Seybatou Samb, explique un résident, des personnes s’autoproclament chef traditionnel. Selon lui, le fait que quatre individus réclament tous la même charge prouve la dislocation des mécanismes de succession et l’intérêt personnel au détriment de la communauté.
En tout cas, le conseil des notables subit la domination de Youssou Ndoye. La réunion convoquée au ‘plateau’ s’est finalement tenue dans une maison en face de la grande mosquée, sous haute surveillance de la gendarmerie. Un point de presse qui s’est tenu après la déposition-dénonciation des notables aux gendarmes de Ouakam. Ceux-ci se sont déplacés pour recueillir la version des faits des notables. En attendant la sortie de Youssou Ndoye, qui promet de réagir mercredi prochain, les notables du village l’accusent de faire cavalier seul dans l’attribution de terres : ‘‘Aujourd’hui, tout Ouakam s’est levé pour dire non à Youssou Ndoye.
On a tout fait pour avoir une cohésion dans le village, il a signé devant huissier qu’il ne peut plus rien faire tout seul sans les Jaraaf, pour que toutes les actions foncières et financières soient menées conjointement. Aujourd’hui, il est seul à s’enrichir impunément sur notre dos et c’est ce que refuse Ouakam. Il ne veut plus respecter tous les protocoles qu’il a signés avec les attributaires. Nous n’avons pas envie de nous entretuer pour ces terres. Nous sommes des légalistes ; c’est pour cela que nous interpellons le président de la République et la justice’’, déclare Abdoul Aziz Guèye qui était en compagnie de la victime poignardée.
Le Jaraaf de l’autre camp, Alioune Diagne Guèye, dénonce quant à lui l’influence tentaculaire de Youssou Ndoye ‘‘Il y a quelqu’un qui tient Ouakam en otage et personne ne peut rien contre lui. Tous les dossiers que nous avons introduits pour contester ses décisions n’ont aucune suite. Tous les dignitaires sont là. Le village est dans une situation critique et il faut le sauver. On ne va pas attendre qu’il détruise le village pour intervenir’’, ajoute-t-il.
En septembre 2012 déjà, des affrontements avaient opposé les mêmes protagonistes, faisant plusieurs blessés. Le Jaraaf Youssou Ndoye avait parlé ‘‘de campagne d’intoxication orchestrée contre sa personne’’.