L’affaire Fodé Ndiaye a clôturé la 3ème session 2014 des assises de Dakar. Reconnus comme étant les meurtriers du policier, Cheikh Sidaty Mané alias Gatuso et Cheikh Diop dit «Délé » ont écopé de 20 ans travaux forcés. Leur co-accusé Cheikh Cissé a été acquitté.
La 3ème session 2014 de la Cour d’assises de Dakar s’est terminée hier, sur un concert de cris. Les cris d’hystérie et de tristesse ont longtemps résonné dans le Palais de justice, à l’énoncé du verdict rendu par la Cour, dans l’affaire Fodé Ndiaye. Le jeune policier tué, le 27 janvier 2012 dans le quartier de Colobane, lors des manifestations ayant suivi la validation de la candidature de Me Abdoulaye Wade à l’élection présidentielle de la même année. Reconnus coupables de la mort de l’auxiliaire de police, Cheikh Sidaty Mané alias Gatuso et Cheikh Diop dit Chris ont été condamnés à 20 ans de travaux forcés, en sus du paiement du franc symbolique. La Cour a disqualifié le meurtre en coups mortels et les a déchargés d’association de malfaiteurs. En revanche, leur co-accusé Cheikh Cissé dit «Délé» a été acquitté.
Pourtant tout au long de l’interrogatoire, les trois accusés ont contesté leur participation à l’expédition punitive lancée par des manifestants contre Fodé Ndiaye, mort des suites de coups de briques reçus. Entendu le premier, Cheikh Sidaty Mané a soutenu que pendant les manifestations, il s’était terré chez lui, depuis son retour aux environs de 19 heures. «C’est à partir de notre terrasse que je regardais la manifestation», s’est-il défendu. Face à ses dénégations persistantes, le président lui a demandé pourquoi il a été cité dans cette affaire. «Depuis 3 ans, je me pose cette question», a répondu l’accusé, identifié à travers une vidéo par la dame Arame Sow. Celle-ci l’a confondu hier encore. «J’ignore qui a tué, mais j’ai vu Gatuso avec une brique, debout devant la victime. Il portait un t-shirt rouge», a déclaré la dame qui n’a pas cessé de jurer, tout au long de sa déposition. Cheikh Sidaty Mané s’est empressé de la contredire : «Si on visionne le film à l’instant, on verra que ce n’est pas moi, mais plutôt Cheikh Diop. Il portait un maillot vert blanc Glasgow ». L’accusé d’ajouter que le Cheikh Diop dont il parle est différent de son co-accusé, à savoir Cheikh Diop Chris.
Une bouée de sauvetage à laquelle s’est accroché Cheikh Diop pour dire que ce n’est pas lui. Parce que ce jour-là, il était parti à la plage d’où il n’est revenu qu’après 19 heures, pour ne plus mettre le nez dehors. «En plus de Cheikh Sidaty, votre épouse vous a identifié et a dit que vous empêchiez l’un des bourreaux d’asséner une brique à la victime», lui a fait remarquer le président de la Cour. Mais l’accusé croit dur comme fer que son épouse n’a jamais fait une telle déclaration. «Elle ne l’a jamais dit, car j’ai assisté à son audition», a-t-il répliqué.
Entendu, son homonyme Cheikh Cissé a estimé que son seul tort a été de n’avoir pas respecté la consigne de sa mère. «Elle m’avait demandé de ne pas sortir, mais je l’ai fait en allant boire du café chez mon ami vendeur Matar», a expliqué l’accusé. Mais, a-t-il poursuivi, à la vue de la foule de manifestants, «je suis parti». Ainsi, il a justifié ses aveux à la police par la torture. «J’étais inconscient. Les policiers m’avaient asphyxié et torturé de 22h jusqu’à l’aube, mais je n’ai ni manifesté, ni lancé pierre», a-t-il raconté d’un ton dur et nerveux.
Tortures
Tout compte fait, à cause de ces dites tortures, les avocats de la défense ont, dès l’entame du procès, plaidé la nullité de la procédure. «Un procès-verbal établi sur la base d’actes de torture n’est pas digne d’être discuté à la barre», a asséné Me Demba Ciré Bathily. Pour le conforter, Me Mbaye Ndiaye dira : «A le (Cheikh Sidaty) voir lors de son déferrement, on dirait qu’il revenait d’une boucherie». Sa consœur Me Ramatoulaye Bâ Bathily a suscité l’indignation chez le public, en évoquant les blessures infligées à leurs clients. C’est pourquoi Me Aliou Sow considère que l’enquête ne devait pas être confiée à la Division des investigations criminelles (DIC). «Qu’est-ce qu’il y a de scandaleux, si la DIC a été choisie? Cela ne pose nullement problème», a répliqué l’avocat général, Abdou Karim Diop. Il a aussi contesté l’existence des blessures, arguant que « rien ne prouve que celles-ci résultent de leur arrestation».
Autant le parquet n’a pas cru à l’existence de blessures, autant la défense n’a pas cru à la culpabilité des accusés. C’est pourquoi elle a jugé non fondée la perpétuité requise contre le trio. Cela, d’autant que, pour Me Théophile Kayossi, la seule infraction commise par les accusés, c’est d’habiter Colobane. «Comment pouvait-on reconnaître Gatuso sur la vidéo, vu qu’il faisait sombre à cause de la coupure d’électricité ? » s’est interrogé pour sa part Me Baba Diop. L’autre élément à décharge, de l’avis de l’avocat, c’est le fait que les accusés étaient des proches de Modibo Diop, or celui-ci soutenait Me Wade.
Fort de tous ces éléments Me Sow a demandé que le témoignage d’Arame Sow soit écarté. Pour discréditer ce témoignage, l’avocat a évoqué le passé pénal de la jeune dame, tout en relevant ses multiples contradictions. Ainsi, à défaut d’un acquittement pur et simple, il a plaidé l’acquittement au bénéfice du doute. Mais seul Cheikh Cissé l’a été finalement. Les deux autres accusés ont été condamnés. Et si l’on en croit l’agent judiciaire de l’Etat que Me Mbaye Jacques Ndiaye a tenté d’écarter du procès sous le prétexte qu’il n’avait pas de mandat, ils ne sont pas les seuls coupables. D’autres courent toujours.