La journée d’hier a vu l’instruction de trois procès tellement similaires qu’à la fois la Cour et le Parquet Général ont, à plusieurs reprises, interverti dossiers, verdicts et réquisitions.
Trois Nigérians ayant à peu près le même âge, résidant presque dans la même zone et ayant des histoires de vie similaires, ont comparu hier devant la Cour d’assises. De plus, c’est pour les mêmes faits, à peu de choses près, que Fred Obinna Anyaoha, Lewis Sharp Ogunzie Okoli et Augustino Egbufor ont comparu, lors de cette 7e journée… Comble de coïncidence, ils ont écopé de la même peine, à l’exception bien sûr du montant de l’amende qui est proportionnel à la quantité de drogue saisie sur chacun d’entre eux.
« Mule » pour soigner son père
Premier à être amené à la barre, Fred Obinna Anyaoha, 38 ans, a été appréhendé dans la zone ‘arrivée’ de l’aéroport avec soixante-treize (73) boulettes de cocaïne dans son estomac, le matin du 27 août 2009. Les agents de l’ORCTIS, qui ont procédé à son arrestation, l’ont d’abord conduit à l’unité de police, puis à l’hôpital Principal afin de lui permettre de terminer d’expulser les boulettes, avant de pouvoir l’interroger. Reconnaissant dès le départ les faits, Anyaoha leur a expliqué avoir ingurgité la drogue à Sao Paolo du Brésil, où un individu nommé Paul lui a remis une cargaison de cocaïne à livrer à Dakar, à un certain Roland, contre une rémunération de 3000 dollars américains, soit 1,5 million de nos francs.
S’il est incapable de donner plus de détails sur les deux passeurs à qui il a eu affaire, l’accusé a néanmoins pu amplement donner les raisons qui l’ont poussé à devenir une « mule ». Il venait d’émigrer au Brésil depuis deux mois, lorsque sa sœur l’a appelé du Nigeria pour lui apprendre que leur père était malade. Se trouvant dans l’impossibilité de réunir l’argent pour payer les soins nécessaires, Fred Anyaoha s’est tourné vers le trafic de drogue. L’accusé a aussi tenté de faire comprendre à la Cour qu’il ignorait la dangerosité et la nature même du produit qu’il avait ingéré. Cette tactique n’a néanmoins pas pu prospérer, puisqu’il avait auparavant et de son propre aveu déclaré avoir, dans son pays, exercé le métier de vendeur en pharmacie, avant de s’essayer à l’émigration en Amérique Latine.
Résigné, l’accusé a demandé par le biais de son conseil, une application bienveillante de la loi, ce que la Cour lui a accordée, en se contentant de suivre le Parquet dans son réquisitoire et lui servir le minimum de la peine, soit dix (10) ans de travaux forcés et une amende de 174 millions de francs CFA, somme étant le triple de la valeur de la drogue saisie.
« Mule » pour reloger sa famille
Basé en Espagne, Lewis Sharp Ogunzie Okoli (39 ans) a été arrêté, toujours à l’aéroport de Dakar, mais cette fois-ci dans la zone « Départ ». Dans son ventre, a également été retrouvée de la cocaïne, aux seules différences que c’était par les agents des Douanes et que la quantité, dans ce cas, n’était « que » de cinquante (50) boulettes… L’accusé avait, en outre, par devers lui une somme non déclarée de 3 105 euros qui aurait été sa rémunération dans le cadre dudit trafic. Appréhendé vers 01h du matin, l’accusé devait prendre un vol de Turkish Airlines à destination de l’Espagne, via Lisbonne (Portugal). Il a instantanément reconnu les faits, expliquant qu’il était venu au Sénégal pour le compte d’un nommé Sherman qui lui aurait procuré la drogue ingurgitée, avant sa tentative d’embarquement.
Toutefois, ni lors de l’instruction, ni à la barre, il n’a été capable de fournir plus de détails sur le prétendu commanditaire, qu’il a affirmé ne pas connaître, vu qu’il n’a fait que cinq (05) jours au Sénégal. L’accusé a néanmoins affirmé disposer d’un numéro de téléphone avec lequel il a pu contacter son receleur, dès son arrivée en empruntant le portable du chauffeur de taxi qui l’a amené à l’hôtel. Concernant le mobile, Lewis Okoli a expliqué que son geste était dû à une situation financière désespérée. Père de trois (3) enfants et époux d’une femme alors enceinte, il n’avait ni l’argent pour payer les frais médicaux et dépenses quotidiennes, ni celui pour régler les trois (3) mois d’arriérés de loyer qu’il devait à son bailleur.
La crise aidant, ce manœuvre récemment licencié s’est lancé sur la voie de l’illégalité, pour avoir de quoi faire déménager sa famille dans une nouvelle maison… Son avocat a plaidé l’acquittement et la restitution de la somme confisquée, mais la Cour a, là aussi, suivi le parquet, en optant pour une sentence de 10 ans de travaux forcés et 112, 5 millions de francs CFA d’amende.
« Mule » pour payer une opération médicale
Augustine Egbufor a été le dernier accusé jugé hier, pour deux crimes : trafic intérieur de drogue et contrebande. Là encore, c’est le même scénario : âgé de 41 ans, le Nigérian a été arrêté à l’aéroport, alors qu’il s’apprêtait à embarquer dans un vol à destination de l’Espagne, via le Portugal. Soumis lui aussi à un test urinaire, il s’est révélé positif à la cocaïne et a été conduit au poste où il a expulsé trente-huit (38) boulettes, soit 570 g de poudre… Sur sa personne ont également été saisis 400 euros.
Reconnaissant là aussi les faits, comme le reste des inculpés, il est vite passé aux aveux en expliquant être arrivé au Sénégal plus d’un mois auparavant sur ordre d’un certain Emeka, qui moyennant rémunération, lui avait demandé de se mettre en contact avec un passeur le jour de son retour en Espagne pour que ce dernier lui remette la drogue. Lors de son séjour, l’accusé révèle avoir habité à l’hôtel Lumumba (Yoff) dans la chambre d’un dénommé Richard Bishop qui l’aurait pris en sympathie, dès son arrivée, du fait qu’ils parlaient la même langue sans pour autant savoir qu’il était une « mule » et lié à cette affaire.
Egbufor explique, en outre, qu’il avait convenu avec Emeka de porter un tee-shirt jaune et un pantalon noir le jour du départ de manière à ce que son contact puisse le reconnaître à l’aéroport au moment de leur rendez-vous. Il ajoute avoir avalé les boulettes dans les toilettes même dudit building, avant d’aller s’asseoir pour attendre l’embarquement. Pour justifier son geste, l’accusé explique être un immigré nigérian en Espagne qui avait perdu son job un an avant les faits, mais qui a dû faire face à une urgence pécuniaire. Son père, malade au pays, avait besoin d’être opéré de la vessie.
Cette tragédie n’a pas semblé émouvoir la Cour qui, malgré l’appel à une application « extrêmement bienveillante » de la loi par son avocat, lui a servi une double sentence de dix (10) ans de travaux forcés plus 98 millions d’amende pour trafic international de drogue et cinq (5) ans de travaux forcés plus 85 millions d’amende pour contrebande.