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Art et Culture

Censure au Fespaco : Des cinéastes invitent à une nouvelle ère.
Publié le mardi 3 fevrier 2015  |  Le Quotidien




Inviter le monde du 7e art africain à un débat autour de la censure des films au Fespaco 2015 est un important, mais malheureux débat. Pour beaucoup de cinéastes, il n’y a pas de censure acceptable ni une autre exagérée. Il y a la censure, point. Et cela ne devrait pas exister. C’est pourquoi ces acteurs du milieu souhaitent que le premier Fespaco de l’après Blaise Compaoré serve de moment de réflexion pour repenser l’organisation de cet important rendez-vous, mais surtout en profiter pour mettre un terme à la censure de certaines réalisations.

Pour cette première édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision (Fespaco) de l’après Blaise Compaoré, «va-t-on enfin cesser de censurer des films qui ne plaisent pas» ? Selon lefaso.net, cette question a été posée aux nouvelles autorités par le cinéaste tunisien, Mohamed Challou, qui regrettait que son film sur Thomas Sankara ait été censuré dans le passé. Certes, son accusation a été rejetée par le nouveau délégué général, Ardiouma Soma, qui lui a répondu que «le Fespaco n’a jamais fait de censure, et cette année par exemple le ministre de la Culture a reçu la sélection des films juste le matin de la conférence de presse. Tous les gouvernements du Burkina ont laissé la main libre à la direction du festival». Le nouveau ministre de la Culture du Burkina a, à cette occasion, rappelé que même en 1989, à peine deux ans après l’assassinat de Thomas Sankara et la prise du pouvoir par Blaise, il n’a jamais été question de censurer un film. Pourtant, cette remarque formulée par Mohamed Challou est un secret de polichinelle au Fespaco.

En effet à plusieurs reprises, des voix et pas des moindres du 7e art se sont levées dans les couloirs du festival ou en coulisse pour fustiger soit la priorité accordée aux films financés par l’Europe au détriment des œuvres réalisées en Afrique et sans grands moyens, soit dénoncer sur la place publique la «censure» de telle ou telle autre œuvre pour des raisons diverses. En 2013, on se souvient par exemple du coup de gueule du cinéaste burkinabè très connu, Sakama Pierre Yaméogo alias Saint Pierre Yaméogo. Après avoir soumis son dernier long métrage, Bayiri ou le retour au bercail, pour sélection en compétition au dernier Fespaco qui s’est déroulé du 23 février au 2 mars 2013, il a vu son film rejeté par le comité de sélection. Pour cela, Saint Pierre comme l’appelle les intimes n’avait pas été du tout tendre envers l’organisation. «J’ai vécu le Fespaco avec tristesse. Pas parce que je suis un peu aigri, mais je me pose toujours la finalité, le but et le public cible des films que je fais puisque je suis exclu à chaque fois que je veux prendre part à la compétition au Fespaco. Si je ne donne pas mes films, des gens trouveront que je suis apatride, mais si j’en donne aussi, mes films ne sont jamais retenus. Ce qui me convainc que le Fespaco préfère les cinéastes étrangers aux nationaux», s’était-il plaint. Et pour convaincre de ce qu’il avançait, ce cinéaste burkinabè avait fait part de son étonnement face au choix porté sur le film Tey du réalisateur franco-sénégalais Alain Gomis, qui avait décroché l’Etalon d’or de Yennenga. Il affirmait : «J’en veux pour preuve que Ardiouma Soma a été membre du jury d’un festival au Maroc. Mon film Bayiri concourrait avec Tey. Il peut même confirmer que j’ai remporté le 1er prix à ce festival. Tey avait eu un prix d’interprétation. Mais je sens que le Burkina ne protège pas assez ses cinéastes. Car si c’était un problème de censure, je pense que le film ne devait pas sortir en salle à plus forte raison être projeté en hors compétition au Fespaco. Le faire est une insulte à un cinéaste qui a fait ses preuves dans le monde.»

Des critiques acerbes
Selon Sakama Pierre Yaméogo, les organisateurs du Fespaco avaient le droit de retenir son film pour la compétition ou ne même pas en tenir compte durant tout le festival. Mais, «ils ont mis mon film hors compétition sans raison. Le film a moins de deux ans et il n’est pas censuré. S’ils ne veulent pas me défendre parce qu’ils n’aiment pas ma tête, ce n’est pas grave puisqu’un ministre ou un délégué du Fespaco n’a pas à tenir compte de la personnalité de quelqu’un pour le censurer. J’estime que j’ai été censuré et à travers moi, c’est Apolline Traoré qui a été brimée...», disait-il. Vrai ou faux ? Ce qui est sûr, de nombreux cinéastes ou réalisateurs dénoncent haut et fort certaines approximations ou pratiques qui minent présentement le milieu du 7e art africain. On se souvient des remarques fortes virulentes portées par le cinéaste tchadien Mahamat Haroun Saleh, qui avait même mentionné qu’il ne participerait plus au Fespaco, tant que les pratiques ne changent pas. Alors même qu’il avait reçu l’Etalon d’or de Yennenga lors de la 22e édition du Fespaco, le réalisateur tchadien affirmait sans détour, concernant le plus grand festival de cinéma africain : «Décou­vre-t-on ici quelque chose de nouveau, un film intéressant, une nouvelle voix, une nouvelle musique ? Non.» il insistait : «Je suis satisfait déjà d’avoir eu le prix à Cannes, et je vous avoue que maintenant, l’Etalon d’or n’a pas – comment dire ? – une valeur extraordinaire pour moi, parce que quand vous voyez l’histoire des Etalons, il y a depuis quelques années, pas mal de films qui sont vraiment ce que les Cahiers du cinéma (revue française spécialisée dans le cinéma) appellent de grands téléfilms, souvent des films d’ailleurs ignorés sur le plan international, qui ne sortent pas, qui ne sont pas vendus, comme quoi ils ne parlent pas au monde, et que la valeur intrinsèque, me semble-t-il, de l’Etalon de Yennenga a perdu de sa superbe. Ce n’est pas de la prétention, mais je vous avoue que je commence à être très, très déçu par le Fespaco.»
En dénonçant donc les dérives et scléroses de la plus importante vitrine du cinéma africain, Mahamat Haroun Saleh contribuait à réinterroger l’état et l’avenir du cinéma africain de manière plus large. Un cinéma dont il est aujourd’hui, artistiquement et politiquement, une figure majeure. D’ailleurs, il fera savoir plus tard que ses critiques s’adressaient aux politiques. «Je me souviens qu’il y a deux ans, l’Office du tourisme donnait aux lauréats un chapeau et il fallait venir se découvrir devant le Président Compaoré pour recevoir son prix. Il y a une utilisation politicienne, malsaine du Fespaco. J’ai voulu faire entendre que le Fespaco devait être une célébration du cinéma et de lui seul, pas d’un pouvoir quel qu’il soit», défendait-il, mentionnant qu’aujourd’hui, il y a urgence à ce que le Fespaco trouve son autonomie. «Il faut qu’il cesse d’appartenir à l’Etat burkinabè, et que sa direction ne soit plus une étape dans la carrière des hommes politiques locaux», a-t-il dit, ajoutant au sujet du numérique, qu’«il est aberrant aujourd’hui que les films présentés sur support numérique ne puissent pas concourir. Ce sont des combats d’arrière-garde. C’est pourquoi j’ai dit que la pensée a déserté le cinéma». «Il n’y a plus de réflexion sur la situation contemporaine et ses implications…»
En clair, pour de nombreux cinéastes africains, aucune œuvre ne doit être censurée. C’est la «condition première de la création artistique», disent-ils, en invitant par la même occasion les organisateurs à susciter un débat sur la liberté d’expression lors du colloque prévu sur la production et la diffusion à l’ère du numérique et qui doit se tenir durant l’édition 2015 du Fespaco.

Censure de films au Sénégal : Une réalité relative
La censure des œuvres filmiques est un état de fait dans de nombreux pays africains. Au Sénégal, très peu de films ont été censurés ces dernières années. Outre Reou-Tahk du défunt cinéaste Mahamadou Traoré Johnson, un film qui avait été censuré au Sénégal lors de sa sortie en 1972, l’on retient récemment Karmen, une œuvre de Jo Ramaka Gaye, présentée en 2001 au festival de Cannes et qui a suscité une véritable polémique et a été censuré au Sénégal. Néanmoins, le film est élu «Best feature» lors du Pan African.
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