C’est un Cheikh Tidiane Gadio qui accueille dans son bureau de l’Institut panafricain de stratégies (Ips), en boubou blanc, «dans l’air de Maouloud», sourit-il à ses collaborateurs. Ce panafricaniste jusque dans ses portraits de Nkrumah et autres qui ornent les murs, aborde les crises au Mali, en Centrafrique et ailleurs avec conviction, mais surtout avec l’habileté diplomatique qu’il faut. Normal pour un ex-ministre des Affaires étrangères qui n’est pas à l’ex-térieur des indiscrétions étranges. Par exemple, il dit avoir appris qu’en Lybie, il y a un camp d’entraînement où la langue dominante est le wolof. Dans ce premier jet de l’entretien, M. Gadio revient sur la rencontre des ambassadeurs et consuls à laquelle il n’a pu assister. Un «incident malheureux», qu’il regrette et met sous le compte d’un protocole qui a mal fonctionné.
Le marine sénégalaise a arraisonné un navire russe pour pillage. C’est aussi une question qui prend des relents diplomatiques entre Dakar et Moscou. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Je crois que c’est une bonne chose que la surveillance des côtes africaines prenne une nouvelle tournure. Identifier les bateaux pirates et les bateaux qui opèrent illégalement dans les eaux territoriales c’est une chose, pouvoir les arraisonner et les contraindre à vous suivre et accepter l’arraisonnement c’est une autre chose. Nous devons être fiers de notre marine nationale qui, avec des moyens très limités, a pu réussir un tel exploit. Maintenant, la Russie est un grand pays et le Sénégal n’est pas un petit pays non plus. Mais nous avons aussi des ressources comme le poisson africain qui a été pillé sans précédent pendant des décennies et dans l’impuissance totale de nos pays à s’organiser pour réagir. Vous connaissez mon point de vue : tant que l’Afrique refuse de mutualiser ses forces pour gérer les questions économiques, politiques, sociales, ensemble, nous serons contraints à vouloir nous défendre contre des éléphants qui sont là, attaqués par des biches qui essaient de régler leurs problèmes. Le repos biologique n’est pas respecté.
Est-ce que vous considérez cette question comme une sorte d’agression ?
C’est que le mot «agression» renvoie souvent à une agression militaire, une occupation de territoire, une invasion de votre pays. Mais il y a des formes d’agression plus douces, et comme on est dans un contexte où la diplomatie peut se mêler à ces questions, au lieu d’envenimer, je préfère positiver. Je préfère dire que je souhaite que la Russie, qui, peut-être, en tant qu’Etat, n’est pas impliquée dans ce que des privés russes peuvent avoir fait, je demande seulement qu’ils comprennent la position du Sénégal, vu la qualité des relations diplomatiques et l’amitié entre les deux peuples, les deux Etats. Je pense que la Russie doit comprendre que notre démarche est légitime, que notre pays est dans la légalité internationale à 100% et que les privés russes doivent être sanctionnés. D’ailleurs, le Sénégal, en concertation avec les autres pays d’Afrique, devrait alourdir les sanctions jusqu’à des peines d’emprisonnement, des confiscations de bateaux, de matériels de pêche. Il faut que l’on montre que notre détermination est très grande à nous faire respecter, à ne plus nous faire marcher sur les pieds aussi facilement que le font beaucoup d’amis européens, mais aussi asiatiques. Je n’ai cité le nom d’aucun pays, mais tout le monde sait que le pillage des ressources halieutiques de l’Afrique est devenu un business très rentable et cela se fait sans coup férir.
En tant qu’ancien ministre des Affaires étrangères, quel doit être le comportement de l’Etat sénégalais dans cette affaire ?
Il y a des instances internationales qui sont compétentes pour ces litiges. Nous avons des cadres extrêmement compétents dans ce domaine, juridiquement parlant et politiquement parlant. Donc, je n’ai aucune inquiétude que nous savons défendre nos droits. Mais ce que je dis c’est que 54 «petits Etats africains» se défendront difficilement dans un monde devenu non seulement compétitif, mais comme vous dites aussi, «agressif» parce que les gens ont faim, ont besoin de se nourrir et nourrir leurs populations. Toutes ces puissances qui émergent voudront de plus en plus de nouvelles stratégies pour s’accaparer des ressources des plus vulnérables, des plus désunies.
Quelle lecture faites-vous des interventions militaires françaises aujourd’hui en Centrafrique, après le Mali hier.
Il y a plusieurs façons de poser la question des interventions militaires de la France en Afrique. Il y a l’angle principiel qui fait que vous vous sentez bien dans votre peau parce que vous critiquez. Pourquoi la France, ancienne puissance coloniale, vient intervenir chez nous ? Et vous vous en sortez heureux d’avoir dit ce que vous avez à dire, mais est-ce que vous avez traité la question de fond ? Quand j’étais étudiant, j’étais partisan, comme tout le monde, de la réponse principielle, mais j’ai grandi. Je ne suis plus un intellectuel collé aux principes. C’est très important d’avoir des principes, mais comme disait l’autre, l’analyse concrète d’une situation concrète doit toujours prévaloir. Je l’ai dit, c’est la mort dans l’âme, avec très peu de fierté, que nous avons vu les Français débarquer au Mali ce fameux 11 janvier pour venir au secours d’un pays africain, pays-frère que nous aimons beaucoup. Le seul moyen de vivre avec nos ressources et de prospérer dans notre continent, c’est d’unir nos forces et d’avoir un commandement militaire unifié au plan continental.
Ce que Wade a eu à appeler par Forces africaines de défense ?
Absolument et que Sassou Nguesso a appelé «Pacte de non-agression et de défense» qu’il a proposé à l’Afrique depuis 2005. Personne n’a même évoqué ce pacte quand il s’est agi du Mali, c’est-à-dire faire intervenir des forces africaines qui, matériellement, techniquement, financièrement, pourraient supporter une opération dans les 48 heures pour venir au secours d’un pays frère agressé. On a plutôt organisé «l’oubli de l’oubli» comme disait le grand philosophe. La Cedeao a tenu 42 réunions de chefs d’Etat, de ministres, d’Etats majors, d’experts de différents niveaux entre l’invasion du Mali et l’intervention française.
L’Afrique a-t-elle capitulé ?
Un exemple de non-capitulation a été le Tchad. Quand la Cedeao n’avait même pas encore envoyé 1000 éléments sur place, le Tchad avait déjà déployé des milliers de soldats, on a dit 2 000 soldats qui sont allés non pas à Bamako pour faire des réunions et planifier des combats, mais directement au Nord. Et le Tchad a sauvé l’honneur de l’Afrique dans cette crise de façon particulière. On a vu un moment, dans l’opération Serval, que le Tchad semble être en première ligne et les Français en position d’appui. L’Afrique ne doit pas appuyer la France au Mali, mais le contraire. Ce n’est pas que l’Afrique a capitulé ; c’est qu’elle n’a pas compris les enjeux de la sécurité depuis les années «60» où les grands visionnaires africains ont déjà posé le problème. Quand Cheikh Anta Diop en 1973 dit que la sécurité précède le développement, c’est clair que le développement, à son tour, renforce la sécurité et sert à la sécurité. (…) Entre 1973 et 2014, plus de 40 ans plus tard, qu’est-ce qui a été fait en ce sens ? Absolument rien !
A votre avis, l’intervention française en Centrafrique est-elle légitime ?
Honnêtement, je ne me pose pas encore la question parce que certains collègues et amis centrafricains me disent que l’intervention militaire qui, aussi, était doublée d’un désarmement et cantonnement des forces armées centrafricaines issues des Seleka. Et que ceci a permis à des gens que j’appelle des «commandos invisibles», d’autres forces centrafricaines qui attendaient une situation de chaos pour foncer et essayer de mettre les populations en mal les uns contre les autres. Voilà un pays qui est à l’exact opposé du Sénégal du point de vue de la configuration religieuse. Au Sénégal, on dit qu’on a 95% de musulmans et 5% de chrétiens. En Centrafrique, vous avez 10% de musulmans et 90% de chrétiens, ils ont toujours vécu en harmonie. Comment on s’est arrangé récemment pour avoir ces massacres interconfessionnels, ces tueries abominables, ces exécutions à la machette, ces actes génocidaires des uns contre les autres ? Tous coupables, tous innocents quelque part. C’est là où j’ai accusé les élites politiques africaines qui, quand elles n’arrivent pas à régler leur problème d’accès et de contrôle du pouvoir, sont prêtes à tout, y compris à manipuler des sentiments de cette nature entre des populations qui ont toujours vécu ensemble. La question fondamentale, c’est quel est l’angle de traitement de la crise centrafricaine qui permet de les mettre autour d’une table. Je suis d’ailleurs très étonné que la solution militaire ne soit pas accompagnée d’une solution politique. Je suis sûr que les chefs d’Etat de la sous-région, notamment ceux de la Ceeac (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale), ont réfléchi sur la nécessité d’accompagner l’action militaire par une action politique parce qu’il faut que les acteurs politiques centrafricains discutent des questions importantes. Il faut que Michel Djotodia s’asseye avec les autres leaders centrafricains pour trouver un statut à l’ancien Président, François Bozizé qui a été renversé. Personnellement, je n’ai pas apprécié sa dernière interview sur Rfi. Certains l’accusent d’être derrière cette poussée ethniciste, religieuse. Je ne sais pas si c’est vrai ou pas parce que je n’ai pas fait d’enquête.
Les assises africaines ou panafricaines sur la sécurité sont urgentes. Il faut qu’on s’asseye, mais que cela ne soit pas seulement une affaire de diplomates ou une question de militaires ou d’experts. Permettez-moi de répéter la proposition de l’Ips largement diffusée au plan africain et international. Cette proposition dit qu’il est urgent, très urgent même, d’installer dans le Sahel, pour commencer, une base militaire panafricaine de réaction immédiate aux agressions perpétrées contre nos pays à l’exemple du Mali avec l’invasion des Jihadistes et des narcotrafiquants ou comme l’agression contre l’intégrité territoriale de la Rdc par les rebelles du M-23. Cette force panafricaine de réaction immédiate pourrait aussi être une force d’interposition dans les cas de conflits internes comme celui malheureux qui a éclaté au Sud Soudan ou en Centrafrique. Elle obéirait à un mandat de l’Union africaine déterminée par le Cps (Conseil de paix et de sécurité) après décision concertée des chefs d’Etat sous le leadership exercé à travers une procédure de consultation expresse conduite par le président en exercice de l’Union. (…)
Regardez, la Lybie est complètement détruite au plan Etat, la Tunisie est dans les difficultés que l’on connaît, la Centrafrique éclate et le Sud Soudan lui emboite le pas immédiatement ; la Rdc a connu des progrès et on se réveille un matin pour nous dire que l’aéroport de Kinshasa est attaqué et il y a peut-être un coup d’Etat. On a le Mali où les problèmes du Nord sont encore récurrents malgré les immenses efforts du Président Ibrahima Boubacar Keïta. Pendant tout ce temps, vous avez cette zone du Sahel extrêmement vaste où les jihadistes ont compris qu’ils peuvent se déployer. Il y a des pays qui ont 1 400 000 Km² de superficie et qui ne peuvent pas en contrôler valablement 20 000. Donc, ce qu’on appelle, au niveau de l’Ips, «l’économie criminelle» est mis en place : ce sont des narcotrafiquants, des trafiquants d’armes, le trafic humain, les prises d’otages et des rançons. Les jeunes immigrés qui disparaissent, sont dans les camps d’entraînement en Lybie et ailleurs. On m’a dit d’ailleurs qu’il y a un camp d’entraînement à Tripoli où la langue dominante est le Wolof, un autre camp où c’est la Haoussa, etc. C’est extrêmement inquiétant ! Je ne sais pas si nos Etats mesurent la gravité de la situation sécuritaire de l’Afrique et du Sahel.
Cela voudrait dire qu’il y a des Sénégalais qu’on entraîne là-bas…
Absolument ! Où sont les milliers de jeunes Sénégalais qui ont quitté, dont les parents n’ont plus de nouvelles ? Où sont les milliers de jeunes Sénégalais qui, une fois du Niger, ou de la Lybie, envoient des mandats à leurs parents à la fin du mois sans jamais dire où est-ce qu’ils sont exactement. C’est extrêmement grave ! Et s’ils s’entraînent bien, selon vous, c’est pour aller où ? Il faudrait que nos pays prennent tout cela en charge.
Ce que vous avez dit tout à l’heure sur les camps d’entraînement est très grave. Avez-vous partagé cette information avec le Président Sall ?
Je pense qu’un Etat est dix fois mieux informé qu’une personne ou un institut de recherche. C’est là où je situe le niveau de mon pays et de mon Etat. Je respecte l’Etat sénégalais. Le Président Sall et moi, avons des fois la chance de nous concerter et ce que je vous dis là c’est en deçà de ce que je lui dis quand j’ai la chance de le rencontrer. Je pense que j’ai le devoir d’informer le décideur numéro un de mon pays sur tout ce que je sais. Donc, considérez que je vous ai donné 10% de ce que je sais et que je lui ai réservé les 90%.
Etes-vous alors plus informé que notre ministre des Affaires étrangères ?
Pas du tout ! Je suis sûr que le ministre dit plus que moi au Président parce qu’il est dans une posture dans laquelle je ne suis pas. Mais peut-être qu’il n’a pas le temps que j’ai de réfléchir et de me concerter avec d’autres.
L’expérience et le carnet aussi…
Peut-être l’expérience, peut-être le carnet comme vous dites et peut-être aussi des amis sur le plan international, qui m’appellent pour partager avec moi des informations. Je pense que notre gouvernement est bien informé. Je ne peux pas hésiter sur cette question une seule seconde. C’est impensable !
Cheikh Tidiane Gadio est-il un conseiller officieux du Président Sall ?
Non ! Franchement non ! Par contre, nous sommes dans la même coalition politique et nous avons des relations fraternelles et très amicales. Même si on était dans des camps politiques opposés, personnellement je lui garderai toujours mon amitié parce qu’on a vécu des moments ensemble, historiques, difficiles, mais agréables aussi quand on était dans le même gouvernement. Donc ça, c’est pour l’histoire ; on n’y touchera plus. Maintenant, nos destins ne sont pas allés ensemble pendant un certain moment ; chacun d’entre nous a développé sa propre vision.
D’aucuns disent que c’est vous qui lui avez proposé Mankeur Ndiaye, votre ex-directeur de cabinet…
Ça, c’est une erreur et c’est injuste même pour Mankeur parce que c’est une façon de dire que le Président ne l’a pas connu et n’a pas suffisamment apprécié ses mérites pour lui confier cette responsabilité. Je pense que ce n’est pas le cas. Il faut aider à effacer cette information erronée. Je n’ai jamais demandé au Président de nommer qui que ce soit. Je n’en ai pas la compétence ni le pouvoir. J’ai appris comme tous les Sénégalais que mon jeune frère et ami Mankeur Ndiaye, qui a été mon 3e directeur de cabinet d’avril 2003 à mon départ, a été nommé au département des Affaires étrangères. Si le Président m’avais appelé la veille pour me dire : «J’ai décidé de nommer ton ancien directeur de cabinet», je lui aurais dit «bravo». Mais cela n’a pas été le cas. On a créé une rumeur pour dire que c’est moi qui l’ai recommandé et fortement insisté pour sa nomination. Ce n’est pas vrai ! C’est une décision souveraine du chef de l’Etat par rapport à un individu qui se trouve être un ami pour qui j’ai beaucoup d’estime. Quand il a été nommé, j’ai été très heureux comme beaucoup de Sénégalais qui le connaissent. Je lui ai souhaité bonne chance et je continue de le faire parce que c’est une fonction extrêmement difficile et très pénible à exécuter, en plus de l’inconfort de marcher sur des œufs tout le temps.
Qu’est-ce qui s’est passé à la rencontre des ambassadeurs et consuls au King Fahd Palace ? On a parlé de Gadio qui aurait boudé.
Ça aussi, c’est dans le cadre des rumeurs sénégalo-sénégalaises ! (Rires)
Alors, il n’en est rien ?
Non, il y a eu effectivement un petit problème que je considère insignifiant et peut-être même très technique. Le ministre m’a appelé trois jours avant pour dire qu’il souhaitait que je vienne. Il m’a dit : «Est-ce que tu as reçu ton carton d’invitation ?» Je lui ai répondu que je ne l’avais pas reçu. Il me dit : «Carton d’invitation ou pas, je t’invite et je veux que tu viennes.» Je lui ai dit : «Il n’y a aucun problème, j’y serai. Si toi tu m’invites cela me suffit.» Quelques heures avant la rencontre, son directeur de cabinet m’a envoyé un sms pour me demander si j’avais bien reçu le carton d’invitation. J’ai répondu : «Non, monsieur l’ambassadeur, directeur de cabinet, je ne l’ai pas reçu, mais ce n’est pas grave, j’ai déjà été prévenu par le ministre.» A l’heure dite, je me suis pointé, un jeune gendarme était devant l’entrée, il m’a dit : «Je suis vraiment désolé, mais il faut le carton d’invitation.» Je lui dis : «C’est le ministre qui m’a invité personnellement.» Il répond : «Ce sont les consignes qu’on m’a donné.» Je lui dis : «Je vous comprends parfaitement.» J’ai discuté avec le doyen Majib Sène de la Rts et je suis reparti tranquillement. Mais avant, j’ai appelé le directeur de cabinet du ministre qui était occupé, puis le ministre lui-même et je suis tombé sur son garde du corps à qui j’ai quand même laissé un message. Je lui ai dit : «Dites à mon frère (Ndlr : Mankeur) que je suis venu pour le soutenir, mais malheureusement les consignes n’étaient pas à la porte, et comme je n’ai pas de carton d’invitation, je suis obligé de repartir.»
Vous ne trouvez pas cela grave ?
J’y arrive. C’était 16h 30mn l’ouverture et à 18 heures j’avais programmé une rencontre avec les jeunesses panafricanistes à l’Ips. Donc, quand jusqu’à 17 heures, le problème n’était pas réglé, j’étais heureux de repartir pour venir rencontrer des jeunes panafricanistes. Alors, des amis journalistes ont inventé un dialogue que j’aurais eu avec le gendarme en disant que j’ai dit à celui-ci : «Tu ne me connais pas ?» Toute personne qui connaît Gadio sait que ce n’est pas son style. Je lui ai parlé avec beaucoup de gentillesse et, honnêtement, il en a fait de même avec beaucoup de politesse. Il n’y a eu aucun incident. Le même ami journaliste a dit que j’ai quitté cette porte pour aller négocier mon entrée à une autre porte. (Rires) Il était le seul dans la presse sénégalaise, sur dix articles, à dire que je suis passé par une autre porte, quelqu’un m’a reconnu et après on m’a finalement admis dans la salle et que j’étais frustré. C’est faux ! Je n’ai pas été dans la salle du tout ! Si je devais donner un conseil, j’aurais dit que quand on invite des gens et des «Vip», des personnes qui ont joué un rôle dans la République, il faut un système d’accueil protocolaire. Si le protocole était à la porte pour accueillir les personnalités il me reconnaitrait. Ce sont tous des amis, des gens qui étaient avec moi il y a quatre ans. Il n’y aurait eu aucun problème. Mais on a laissé un jeune gendarme devant la porte, quasiment seul. Il a appliqué strictement les consignes qui lui avaient été données.
C’est une faute protocolaire ?
Je pense que le dispositif n’était pas bien organisé. Je n’étais pas le seul d’ailleurs ; il y a des amis qui sont repartis. Des amis m’ont appelé de l’étranger parce que l’information était sur le net. Vous savez, le dispositif d’accueil peut être le protocole ou même un groupe d’ambassadeurs.
N’est-ce pas quand même gênant pour un ancien ministre des Affaires étrangères ?
Honnêtement, si je tenais coûte que coûte à être dans la salle, cela pouvait être gênant. Mais je comprends que les fonctions ont une durée de vie. J’ai été ministre des Affaires étrangères de mon pays avec beaucoup de fierté. Je me suis sacrifié, je me suis donné pendant 9 ans et demi exactement (1er avril 2000-1er octobre 2009). Je ne commande plus la diplomatie de mon pays. Comme on le fait dans la bonne tradition, un ancien ministre des Affaires étrangères ne critique jamais ses prédécesseurs et successeurs. Je n’ai jamais dit quoi que ce soit de négatif sur Jacques Baudin que j’ai remplacé, comme lui a été très courtois avec moi, ni sur Madické Niang, encore moins sur Alioune Badara Cissé et Mankeur Ndiaye. Je n’avais aucunement cherché à être là, comme Mankeur est un ami et il a insisté, je suis venu. J’ai regretté l’incident parce que c’est malheureux, mais je n’avais pas cette frustration décrite par la presse. Mankeur m’a eu au téléphone pendant que j’étais en route pour revenir à l’Ips. Il était très furieux que je n’aie pas pu accéder à la salle.
D’aucuns y avaient vu une main invisible politique…
Oui ! Par delà l’ami qui a inventé le dialogue avec le gendarme, ils ont titré : «Gadio interdit d’accès dans le Macky» parce qu’il a des problèmes avec le Président. Je n’étais pas au courant. Macky Sall m’a reçu avant le sommet Afrique-France deux fois. On a même échangé sur la situation, développé une parfaite convergence de vues. Et plus important encore, il m’a invité au sommet alors que j’étais en mission aux Etats-Unis avec le Centre d’études stratégiques sur l’Afrique où j’ai fait une présentation du Sahel. De là-bas, c’est le Président Macky Sall qui m’a invité pour aller les rejoindre à Paris où on n’a pas pu travailler dans la salle parce que c’était très limité. Mais j’ai pu tenir deux réunions think-tank à Paris grâce à son invitation.
Semble-t-il que la Présidence a présenté ses excuses après cet incident…
J’ai reçu un appel du ministre des Affaires étrangères après l’incident, le soir, qui a présenté à nouveau ses excuses et il m’a dit que le chef du protocole, Bruno Diatta, qui est un grand frère, voulait lui aussi m’appeler pour présenter ses excuses parce que tout le monde était malheureux. Donc, là où tout le monde était malheureux, les amis de la presse ont vu des gens qui étaient très heureux et c’était monté, préparé et tout. Honnêtement, c’est un incident qui n’a pas cette importance. Mais avec le net, ça a fait le tour du monde et les gens pensent qu’il y a une guerre des tranchées entre Gadio et l’Administration actuelle du Sénégal. Ce n’est pas vrai, on a de très bonnes relations humaines et professionnelles. Le Président sait que s’il m’appelait tout de suite, j’interromprais mon interview pour lui répondre. J’ai des relations apaisées avec le gouvernement en place. Je sais que certains sont omnubilés par la participation à un gouvernement; ce n’est pas mon cas, surtout après 10 ans dans un attelage, et surtout quand pour moi gouvernement veut dire sacrifices, privations, sacerdoce et non prebendes et sinécure.