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Enquête Plus N° 1066 du 7/1/2015

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L’enfer des jeunes filles violées: Coupables d’être victimes !
Publié le jeudi 8 janvier 2015   |  Enquête Plus




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Les chiffres donnent froid dans le dos. L’avortement clandestin représente 8 à 13% des décès maternels au Sénégal. Avec l’infanticide, ils constitueraient aujourd’hui, 38% des causes de détention des femmes. Dans une zone en conflit comme la Casamance, les drames sont fréquents. Face à l’ampleur des dégâts, l’avortement médicalisé, consacré par le protocole de Maputo signé et ratifié par le Sénégal, est de plus en plus proposé comme alternative. Mais pour certains, ce dispositif est contraire aux valeurs morales et religieuses du pays. Quoi qu’il en soit, le vote d’une loi pour l’avortement médicalisé est toujours attendu par des centaines de victimes de viol et d’inceste suivis de grossesse.

Dossier réalisé par Amadou NDIAYE dans le cadre du programme journalistes des droits humains organisé par L’ONG Article 19, le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme et l’UNESCO

MASSATA, VIOLEE A 10 ANS, MERE DE JUMEAUX

Dans l’univers de la plus jeune maman du Sénégal

A 10 ans, elle a subi un viol suivi d’une grossesse. A 11 ans, elle a survécu à une césarienne qui a donné naissance à des jumeaux. Aujourd’hui, elle veut se reconstruire aux yeux d’une société bourrée de tabous.

Le drame d’une vie. A 11 ans, Massata (nom d’emprunt) est en conflit avec elle-même. Le destin lui impose un viol à 10 ans, la charge de devoir s’occuper de 2 enfants, legs d’un violeur qui court toujours, le devoir d’aller à l’école et la difficulté de faire face à une société qui la pointe du doigt. Elle a pourtant envie de jouer comme tous les enfants du même âge qu’elle. Mais Massata préfère les regarder faire, en cet après- midi de samedi de fin décembre 2014, dans la cour de la maison située au quartier Kandé de Ziguinchor.

L’envie d’aller rejoindre ses camarades, de jouer, sauter et crier, est trahie par cette attention toute particulière qu’elle accorde au jeu. Et c’est à peine qu’elle nous salue, prise dans ce tourbillon enchantant et enchanteur qui s’offre à elle. Massata va pourtant devoir arrêter de contempler ce spectacle et nous rejoindre dans une chambre mal éclairée. Sa maman, Ina, devenue grand-mère à seulement 28 ans, a le regard aussi perdu que celui de sa fille. C’est un choc de voir cette famille qui dispose en son sein d’une grand-mère, de sa fille et de ses deux petits-fils, avec un cumul d’âges qui atteint à peine 40 ans.

Les autres s’effacent, la conversation s’installe. Massata et ses yeux de crépuscule, ses lèvres bourrues et ses petits rires innocents. C’est avec fulgurance qu’elle passe du rire aux larmes, de l’exubérance à la mélancolie, d’une tendresse câline à la brutalité d’une éraflée. Massata et son secret, sa douleur, sa révolte, son impuissance. Massata et son histoire de petite fille abusée par un ogre, un après-midi du mois de juin de l’année 2013. ‘’Ce jour, comme tous les autres, ma mère était au marché pour s’occuper de son étal, la maison était déserte et j’étais seule dans l’appartement. J’ai senti un besoin pressent d’aller aux toilettes. En y entrant, j’ai senti que quelqu’un me poussait vers l’intérieur’’, raconte la petite fille sous un regard hagard.

Puis, elle s’arrête, un silence radio. La paume de la main caresse le visage, s’attarde sur son front, et lui protège partiellement les yeux. Une timidité d’enfant. Seule une relance subtile peut lever le blocage. C’est tout trouvé, elle poursuit : ‘’J’ai trébuché et j’ai reconnu le visage de Diallo le boutiquier qui officie au coin de la maison. Il a vite fait de refermer la porte et m’a intimé l’ordre de me taire au risque de me frapper violemment. Il m’a ensuite demandé d’enlever mon slip et c’est debout dans les toilettes qu’il s’est jeté sur moi pour satisfaire son besoin.’’

A peine ces mots lâchés, Massata fond en larmes. Difficile d’arrêter ce flot de sanglots chauds, distillant une vapeur de haine, de douleur et de désespoir. Entre pleurs, elle confie que son bourreau a récidivé le lendemain : ‘’J’ai ressenti une vive douleur à nouveau lorsque Diallo m’a retrouvée dans les toilettes et m’a encore violée, avec les mêmes menaces. C’est la dernière fois qu’il le faisait. Je n’osais rien dire, j’avais peur qu’il me frappe. Je me couchais à longueur de journée et je ne suis pas allée à l’école pendant une semaine.’’

‘’La faire avorter a été la première chose qui m’a traversé l’esprit… ‘’

Restée devant la porte de la chambre, mais prêtant fortement oreille à notre conversation, sa maman, Ina, taille svelte, teint clair, n’en pouvant plus, fait ‘’irruption’’ dans la chambre avec un des jumeaux dans les bras. Elle s’empare du récit. ‘’Ma fille était de plus en plus faible. Jadis très dynamique, elle sombrait dans une paresse inquiétante. Mais, ce sont plus les vomissements qui ont réveillé en moi des soupçons. C’est après une forte pression exercée sur elle que j’ai pu lui arracher ce secret bouleversant’’, raconte la maman.

La suite se passera au poste de santé, puis à l’hôpital régional de Ziguinchor. Le diagnostic révèle un viol suivi de grossesse. ‘’C’est la terre qui se dérobait sous mes pieds. Ma fille, âgée seulement de 10 ans, n’avait commencé à voir ses menstrues que 6 mois auparavant. La faire avorter a été la première chose qui m’a traversé l’esprit, parce que j’étais convaincue qu’elle allait perdre la vie en gardant cette grossesse’’, raconte Ina, assise sur le lit dans lequel, dort à points fermés l’autre enfant. Des jumeaux au teint clair, avec un bon embonpoint. Tout le contraire de leur mère qui porte encore les stigmates d’une grossesse à haut risque.

‘’A partir du sixième mois de grossesse, elle ne pouvait plus bouger, son corps était enflé’’

Massata est une miraculée, sa grossesse a failli l’emporter : ‘’Ce fut très difficile. Je ne comprenais rien de ce qui m’arrivait. Je me sentais de jour en jour très lourde. J’avais des vertiges. Je vomissais et n’avais envie de rien. Il arrivait parfois que je reste une journée sans pouvoir me déplacer’’, dit-elle le regard vide. Sa maman, Ina, raconte cette période avec une charge émotionnelle qui laisse perler de chaudes larmes sur ses joues : ‘’Je ne pensais pas que ma fille allait survivre.

Sa grossesse a été accompagnée de maladies à n’en plus finir. A partir du sixième mois, elle ne pouvait presque plus bouger. A chaque nuit, j’étais obligée de me lever 2 à 3 fois pour l’amener aux toilettes, elle était dans l’incapacité totale de se déplacer, tout son corps était enflé’’. Toutes ses difficultés pousseront Massata à multiplier les absences à l’école. Pour ne rien arranger, le directeur de l’établissement scolaire décide de son renvoi, alors qu’elle ne faisait que le CE2.

Cascade de violences faites aux femmes

Ina entame avec sa fille une descente aux enfers. Son mari qui vit en Gambie et père de ses trois filles le quitte, après avoir appris que Massata, sa propre fille, a été mise enceinte par un violeur. Face à l’état de santé dégradant de sa fille, Ina sera contrainte d’abandonner son étal, son unique source de revenus, pour mieux s’occuper d’elle. Désormais, elle ne compte plus que sur le soutien de bonnes volontés. Le jour de l’accouchement fut particulièrement éprouvant.

Vendredi matin, 21 février 2014, jour de vérité pour Massata, 8 mois de grossesse. Dès les premières lueurs du jour, elle s’évanouit. Elle est acheminée à l’hôpital, grâce à l’aide de Fatou Cissé, présidente régionale des ‘’Bajenu Gox’’ de Ziguinchor, par ailleurs membre du Comité contre les violences faites aux femmes et aux enfants. Appuyée par les organisations de femmes, le soutien de Mme Cissé a été déterminant dans le suivi de la grossesse de Massata.

Elle confie avoir dépensé plus de 300 000 FCFA, reçus des Ong et organisations de femmes, pour l’achat des ordonnances et le paiement des frais de la césarienne subie par Massata. La journée a été longue. L’arrivée des jumeaux et leur mère qui retrouve ses esprits ont sonné comme une délivrance pour Ina, Mme Cissé, le personnel médical de l’hôpital de Ziguinchor… Mais très vite, l’angoisse reprend du service, avec une maman âgée de 11 ans, chétive, des jumeaux entre les bras. Il faut s’en occuper. ‘’Je suis une charge’’, soupire Massata, l’index timidement enfoncé dans une bouche boudeuse.

M. DIALLO, VIOLEUR DE MASSATA

Un homme qui court toujours

M. Diallo, violeur de la petite Massata court toujours après avoir été arrêté et placé sous mandat de dépôt. L’instruction n’a pas été bouclée à temps, informe Ami Sakho de l’Association des femmes juristes du Sénégal (AJS). Et comme le dit la loi en pareil cas, si au bout de 6 mois, l’instruction n’est pas bouclée, on se trouve dans l’obligation de libérer le mis en cause.

En clair, M. Diallo a bénéficié d'une libération d'office après expiration du délai de 6 mois de détention préventive, sans que l'instruction n'ait été bouclée. Des sources proches du dossier ont confié que le parquet qui croyait M. Diallo toujours détenu, ne lui avait pas envoyé de citation. Conséquence, une fois les pieds dehors, M. Diallo a pris ses jambes à son coup et personne n’est en mesure de dire aujourd’hui où est-ce qu’il se cache.

Il n’empêche que la procédure a été poursuivie par un avocat commis pas l’AJS et elle a abouti à une condamnation, de M. Diallo, à 10 ans de prison. Mais sera-t-il facile de le retrouver dans une zone d’insécurité comme la Casamance, en proie à une rébellion qui dure depuis 32 ans et possédant en son sein des poches de territoires où l’Etat sénégalais est carrément absent ? La porosité des frontières avec les voisines de la Gambie et de la Guinée-Bissau n’arrange également pas la situation.

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