20 décembre 2001-20 décembre 2014 : treize années se sont écoulées, jour pour jour, depuis la disparition du président Léopold Sédar Senghor. A l’occasion, Sud Quotidien revisite les divers modes de gouvernance posés par les différents Présidents du Sénégal. De Senghor à Macky Sall, en passant par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, la gestion des secteurs politique, économique, social, culturel tout comme la diplomatie sénégalaise de 1960 à nos jours, sont passés au tamis. Zoom sur les péripéties du mode de gouvernance au Sénégal, ses succés, ratés, pannes ou profondes mutations.
20 DECEMBRE 2001- L. S. SENGHOR TIRE SA REVERENCE, LA NATION REND HOMMAGE AU « PERE » FONDATEUR
Emoi et consternation en ce jeudi 20 décembre 2001 : Léopold Sédar Senghor, premier Président du Sénégal indépendant venait d’être rappelé à son Seigneur, à l’âge de 95 ans (il est né en 1906), à Verson en France, où il vivait depuis son départ de la tête de son pays. Dès l’annonce de ce décès qui avait fini de frapper les esprits, le chef de l’Etat en exercice, Me Abdoulaye Wade, absent du territoire national, rend un vibrant hommage au premier président de la République du Sénégal indépendant, chantre de la “négritude” et fervent défenseur du dialogue des cultures.
En effet, c’est en plein sommet de la Cedeao que Me Wade annonce la disparition du président-poète. Un deuil national de quinze jours est décrété. Pour rendre les derniers honneurs et célébrer la mémoire de son défunt Président, le Sénégal se mobilise dans l’unité.
En plus de la messe célébrée à la cathédrale de Dakar, une “cérémonie républicaine” est organisée à la Présidence de la République. On y assiste à une scène dantesque : Trois présidents du Sénégal, réunis au Palais sous trois postures différentes : Abdoulaye Wade, le président de la République en exercice, en position debout, en train de prononcer son discours d’hommage, Abdou Diouf à qui il a succédé, assis juste derrière en première ligne de la tribune officielle et Léopold Sédar Senghor inerte dans un cercueil. Les images immortalisées par la télévision tournent encore en boucle dans les la mémoires des Sénégalais, en ce jour commémorant la disparition du président-poète.
La nation sénégalaire toute entière, unie dans sa diversité, rend hommage au père de l’indépendance. Des hommages de grande ferveur populaire, depuis le transfert de la dépouille à Dakar, jeudi 27 décembre 2001. Dakar vit dans le recueillement: des milliers de Sénégalais se sont inclinés ainsi en silence devant le cercueil de leur Premier chef d’Etat.
Les corps constitués et les personnalités officielles ne sont pas en reste. Sur le parvis de l’Assemblée nationale où a été exposée la dépouille mortelle, une procession continue défile pour se recueillir devant Léo-le poète. Tout au long de la journée de vendredi qui précède l’enterrement arrêté au samedi, une foule calme et disciplinée n’a cessé par ailleurs d’envahir les rues bordant la grande bâtisse blanche de l’Assemblée nationale. Des citoyens, de tous âges, toutes confessions confondues, tenaient à voir, pour une dernière fois, le Président Senghor. La cantatrice, Yandé Codou Sène, qui avait longtemps chanté le Président, entonne pour la dernière fois, les chansons qu’ils aimait écouter de son vivant, surtout quand il était locataire du Palais de l’avenue Roume.
C’est dans cette ambiance de recueillement général que les obsèques nationales de Léopold Sédar Senghor ont eu lieu, le samedi 29 décembre 2001, au Sénégal. Le père de l’indépendance est inhumé à Dakar, au cimetière catholique de Bel-air, à coté de son fils Philippe Maguilène, conformément à son voeu. Depuis lors, Joal, sa ville natale, demande l’exhumation de son corps afin de l’enterrer dans la terre de ses ancêtres.
ABSENTE AUX FUNERAILLES DE SENGHOR, La France rate son rendez-vous avec l’Immortel
Une demi-douzaine de chefs d’Etat africains ont rendu un dernier hommage au président poète, Léopold Sédar Senghor, aux côtés du peuple sénégalais. Seule fausse note, la France où il s’était installé et dont il était académicien, n’est pas représenté à un haut niveau.
Un peu plus d’une semaine après sa mort, le 29 décembre, les Sénégalais se pressaient sur le parcours du cortège funèbre qui conduisait l’ancien président à sa dernière demeure, le cimetière de Bel-Air de Dakar, où il allait reposer auprès de son fils Philippe-Maguilen, décédé accidentellement en 1981 à l’âge de 22 ans. Le monde entier ou presque a tenu à immortaliser le chantre de la “Négritude” et de la “Civilisation de l’universel”.
La France fait toutefois faux bond. Ni Jacques Chirac, le président de la République, ni Lionel Jospin, le Premier ministre, et encore moins leurs prédécesseurs ne daignent effectuer le déplacement à Dakar pour un dernier adieu à l’ancien chef d’Etat, démocrate, homme de culture et immortel à l’Académie française. Il faudra attendre un an après, le 29 janvier 2002, pour que la France essaie de se racheter en organisant une séance de rattrapage à l’Eglise Saint-Germain-des-Prés, à Paris. Une bonne partie du personnel politique hexagonal ainsi que de nombreuses personnalités du monde culturel assisteront à l’office aux côtés du président Wade et de son prédécesseur Abdou Diouf. Mais, comme l’écrira le quotidien français Le Monde, la France avait déjà “raté son rendez-vous avec l’Immortel”.
Pourtant, il ne s’agissait pas seulement d’un très grand écrivain et d’un chef d’État africain exceptionnel que l’on portait en terre ce 29 décembre 2001. Membre de l’Assemblée nationale française dès 1946, secrétaire d’État à la présidence du Conseil en 1956, Senghor avait même participé à la rédaction de la Constitution de la IVe République. Et, au cours des vingt années qu’il avait passées à la tête du Sénégal, il avait manifesté une amitié sans faille pour l’ancienne «mère patrie». Ce que ses adversaires lui avaient d’ailleurs toujours vertement reproché.
Le Sénégal perd son “père de la nation”
N’empêche, de nombreux dirigeants africains avaient fait le déplacement, notamment les présidents Alpha Oumar Konaré du Mali, Maaouiya Ould Taya de Mauritanie, Pedro Pires du Cap-Vert. La présence des chefs d’État de ces pays voisins rappelait à chacun le rôle joué par Senghor en faveur de la paix dans la région, mais aussi dans l’ensemble de l’Afrique. Des témoignages étaient variés, mais tous mettaient en exergue la grandeur de l’homme de lettre.
Du Roi Mohamed VI du Maroc à Omar Bongo du Gabon en passant par Koffi Annan, alors Secrétaire général de l’ONU, les hommages sont unanimes envers le chantre de la “Négritude”, premier écrivain noir reçu à l’Académie en 1984.
20 ANS DE REGIME SENGHORIEN, Un pouvoir taillé sur mesure au Président-poète
Colistier de Lamine Guèye aux élections législatives de 1945, Léopod Sédar Senghor s’est affranchi de l’ancienne icône de la vie politique en 1948 pour créer le Bloc démocratique sénégalais ( Bds). Il devient le président de la République et reste à la tête d’un exécutif bicéphale. Le duo sera vite rompu avec les événements de mai 1962 qui aboutissent à l’arrestation du Président du conseil, Mamadou Dia. La nouvelle constitution taillée sur mesure permet au président poète d’asseoir et de consolider son pouvoir durant les deux décennies qui suivent les indépendances, en dépit des fortes agitations sociales qui ont ébranlé un moment son régime.
Les années qui ont suivi la deuxiéme guerre mondiale et la mise en place d’une Constituante en 1946 avaient fini de consacrer l’irruption de Léopold Senghor sur la scéne politique, occupée depuis plusieurs décennies, par Maitre Lamine Guéye, leader de la Sfio section locale. Celui-ci s’affranchit pourtant vite de la tutelle du doyen Lamine Guéye pour fonder en 1948 le Bloc démocratique sénégalais (Bps). A l’aube des indépendances africaines, Léopold Senghor avait fini d’occuper le devant de la scène et de devenir le leader incontesté de la vie politique sénégalaise. L’adoption de la Constitition du 26 août 1960 lui ouvre la voie à la consacration en l’investissant comme premier président du Sénégal indépendant. Mais à ce niveau, on ne pouvait encore parler d’une gouvernance senghorienne. L’essentiel du pouvoir était exercé par Mamadou Dia, le président du conseil du gouvernement.
Evénement de décembre 1962 ou la Crise de jeunesse
La crise de 1962 sonne le glas de la premiére République qui se caractérise par un rapport de force opposant les deux hommes à la tête de l’Exécutif. Le bras de fer aboutit au renversement du gouvernement de Mamadou Dia accusé d’avoir fomenté un coup d’Etat. Une crise dont les historiens peinent encore à livrer tous les secrets. Cette péripétie assimilée à une crise de jeunesse va conduire à la suppression du bicéphalisme issu du régime parlementaire. Elle marque un tournant dans l’évolution de la jeune république et la fin de la dyarchie au sommet de l’Etat.
La réforme constitutionnelle de 1963 instaure un régime présidentiel qui concentre et attribue tous les pouvoirs au Chef de l’Etat. Le Sénégal vit un régime de parti unique. La deuxième république fut placée sous le signe d’un combat contre les partis d’opposition. Le Président Senghor parvient, en faveur d’une loi contre les associations séditieuses votée en 1965 à faire disparaître les partis de l’opposition. Grand paradoxe : il conteste fortement que son parti fût un parti unique.
Les évènements de mai 1968 marqués par un mouvement de contestations estudiantines écorne la popularité du Président Senghor. La période de contestation généralisée rendit compte de l’urgence de procéder à des réformes, de procéder à une nouvelle révision constitutionnelle. Celle-ci intervient en 1970 avec l’institution du poste de Premier ministre qui sera confié à Abdou Diouf.