Le Sénégal est au bord de la crise diplomatique avec la Russie et la Guinée Bissau, depuis qu'un bateau de combat sénégalais a arraisonné un bateau de pêche russe. Dans cette histoire, deux thèses s'affrontent, même si l'infraction est avérée. La justice sénégalaise pourrait s'en mêler.
Le bateau de pêche russe a été ''arraisonné à vue''. Au moment où il pêchait dans les eaux sénégalaises, il a été photographié par un avion français qui a passé l'information à la marine sénégalaise. Selon des informations reçues, après l'avoir identifié, la direction de la surveillance du territoire a pris contact avec la société sénégalaise consignataire du navire, Kaema, munie d'un ''procès-verbal de constatation de l'infraction''.
Kaema, selon toujours nos interlocuteurs, ''a reconnu l'infraction'', au cours d'une réunion avec le groupe consultatif. La réglementation stipule qu'en l'espèce, le bateau fautif doit payer une amende de 200 millions de F Cfa. Au cours de la réunion, la société consignataire a accepté de transiger, tout en demandant la clémence de l'État du Sénégal, afin de faire baisser le montant de l'amende. Alors que Kaema attendait la décision des autorités, l'État du Sénégal, dit-on, a pris la décision d'envoyer un commando qui est allé cueillir le bateau en Guinée Bissau.
Selon toujours nos interlocuteurs, l'équipage du bateau composé de Russes et de Bissau-Guinéens a refusé d'obtempérer à l'injonction du commando sénégalais qui a employé les gros moyens pour le contraindre à le suivre. ''Une mitraillette a été braquée sur le bateau. Tandis que l'équipage a été violenté''. Selon, le capitaine du bateau, qui a envoyé une lettre de protestation aux autorités sénégalaises, ''un des cuisiniers a eu un bras cassé''. Lui-même a été rudoyé. Au total, on parle de 5 blessés. À la suite de ces échauffourées, la société consignataire a demandé à l'équipage de venir à Dakar.
Le Sénégal en a-t-il trop fait ?
L'affaire, souligne-ton, est prise très au sérieux par la Russie, mais aussi par la Guinée-Bissau qui réclame le retour du bateau dans ses eaux territoriales, il est détenteur d'un permis bissau-guinéen. Selon nos informations, le navire leur rapporte beaucoup de dividendes et crée de l'emploi.
Russes et Bissau-Guinéens estiment donc que le Sénégal en a trop fait, en envoyant un commando arraisonner le bateau qui se trouvait déjà hors de ses eaux territoriales, même s'il y a eu violation du territoire. Les deux État avanceraient le fait que la partie russe avait reconnu l'infraction et était prête à transiger. En outre, ils soulignent que le bateau n'avait pas été arrêté, mais seulement repéré. Donc, ils considèrent qu'il n'y avait pas péril en demeure, puisque la société consignataire était en contact avec les autorités sénégalaises.
Le ministre Ali Haïdar : ''C'est la troisième fois que nous l'arrêtons''
Joint par EnQuête, le ministre de la Pêche et des Affaires maritimes, El Ali Haïdar, renseigne que le bateau était bel et bien en territoire sénégalais lorsqu'il a été arraisonné. ''Je parle avec le ministre bissau-guinéen. Il m'a porté assistance et soutien'', déclare le ministre, pour réfuter la thèse selon laquelle la Guinée-Bissau réclame le retour du bateau.
Aussi, contrairement aux supposées injonctions russe et bissau-guinéenne, le ministre assure que ''le droit sénégalais va s'appliquer'' sur le bateau. Non seulement, souligne Ali Haïdar, le navire pêchait frauduleusement à l'intérieur de nos côtes et n'a obtempéré qu'après avoir été poursuivi, chassé et arrêté par la marine sénégalaise, mais ''c'est un bateau multirécidiviste''. ''C'est la troisième fois que nous l'arrêtons'', martèle le ministre.
Il envisage de doubler l'amende et de la porter à '' 400 millions''. Le code de la pêche permet également au Sénégal de saisir la cargaison et l'engin de pêche. Ali Haïdar ne compte pas s'en arrêter là. ''Je vais convoquer et l'ambassadeur de Russie, parce que ce navire bat pavillon russe, et l'ambassadeur de la Guinée-Bissau. Je n'ai pas de problème avec la Guinée-Bissau, ni avec la Russie, ce sont des pays amis.
Mais ce n'est pas une raison pour que ce navire vienne piller nos ressources'', insiste le ministre qui fustige le fait que le Sénégal perd tous les ans 150 milliards de francs du fait de la pêche illégale, selon des estimations de l'Usaid. ''Nous devons protéger nos ressources'', déclare le ministre qui renseigne que ''le bateau est actuellement à l'intérieur de la marine sénégalaise.''
''Pas la peine d'en faire une affaire d'État''
Selon Me Assane Dioma Ndiaye, qui a été saisi de l'affaire en tant que facilitateur, ''le Sénégal est dans son droit, mais celui-ci ne justifie pas une violation du droit''. Le président de la ligue sénégalaise des droits de l'Homme souligne qu'il y a eu ''violence et voie de fait'', ce qui complique l'affaire. Toutefois, il estime qu'il n'y a pas besoin d'une crise diplomatique majeure. ''Ce n'est pas la peine d'en faire une affaire d'État'', pense l'avocat.
Hier, jusque tard dans la nuit, des réunions de crise se sont tenues. La question est de savoir si le Sénégal va intenter des poursuites sur le plan judiciaire.