Les djihadistes avaient pris l’humanité "en otage" durant leur règne de quelques mois à Tombouctou (Mali), entre 2012 et début 2013, ce qui est suffisant pour que leurs actions comptent parmi les "grands sujets" sur lesquels cinéastes et créateurs doivent prendre position, a déclaré le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako.
"Le rôle de l’artiste, c’est parler et dénoncer les choses. Et quand on a un artiste qui a la possibilité de faire cela, un cinéaste" par exemple, "c’est important de s’attaquer aux grands sujets", a-t-il soutenu dans un entretien avec des journalistes, dont l'envoyé spécial de l'Agence de presse sénégalaise (APS) au Festival international du film de Marrakech (FIFM) 2014.
"Timbuktu", le film de Sissako, avait été projeté jeudi soir, au FIFM 2014 (5-13 décembre). Ce long métrage (1h37mn) dénonce le règne de quelques mois d'une coalition de groupes salafistes (AQMI, Ansar Din, etc.) à Tombouctou, entre 2012 et début 2013.
Ces forces islamistes y avaient au préalable supplanté le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Ce groupe insurrectionnel touareg s’était à l'époque emparé de Tombouctou, ville surnommée la "Perle du désert".
Les nouveaux arrivants y avaient instauré la loi islamique, lapidant des personnes qu'ils accusaient d'adultère, interdisant la musique et le football, avant d’en être chassés par les armées de la France, du Mali et d'autres pays africains, en janvier 2013.
"Une petite histoire d’amour dans un appartement, ça ne m’intéresse pas", par contre, "comme artiste venant d’un continent où le cinéma n’existe pas beaucoup, c’est important de s’attaquer à des sujets importants", a dit Sissako.
"Ce sujet de Timbuktu est un sujet important pour moi (…) parce que je viens du Sahel, de cette région où depuis quelques années, il se passe cette forme d’occupation [avec] de gens qui sont obscurantistes, des gens qui ont fait le choix de la violence pour s’exprimer et s’imposer, en allant contre toute valeur humaniste et religieuse", a-t-il déclaré.
Selon le cinéaste, la situation qui prévalait à Tombouctou signifiait que les djihadistes avaient "pris une religion en otage" pour parler au nom d’elle. Or, une religion, c’est la transmission de valeurs, fait-il valoir en parlant de la tolérance caractérisant, selon lui, son éducation musulmane.
Si l’on se trouve "choqué par cela, il faut se positionner aussi [et] dire les choses comme elles sont", a indiqué le cinéaste ayant grandi au Mali, affirmant ne pas se retrouver dans les valeurs prônées par les djihadistes.
"Quand Tombouctou a été occupée par les djihadistes, pour moi, c’est un symbole qu’ils ont occupé, parce que Tombouctou est une ville millénaire, où il y avait beaucoup d’universités, jusqu’à 20 mille étudiants. Donc, c’est une ville du savoir, et donc une ville de l’échange", a-t-il souligné.
"Non seulement il y a des valeurs spirituelles, mais au-delà de ces valeurs, il y a une valeur architecturale, avec tous ces manuscrits qui étaient en danger", a noté Abderrahmane Sissako.
Les djihadistes, en prenant "cette ville en otage un matin, au-delà même de l’islam, ce sont des valeurs humanistes qui sont prises en otage, c’est l’humanité qui est prise en otage, d’une certaine façon", a-t-il estimé.
"Pour moi, a relevé Sissako, les manuscrits avaient la même symbolique que le Bouddha géant d’Afghanistan, que les taliban avaient explosé, un Bouddha millénaire, qui représentait beaucoup de choses."
Ainsi donc, en agissant de cette manière, "encore une fois en s’érigeant comme porte-parole d’une religion", ces groupes devaient amener toute personne et tout musulman en particulier à "se positionner, non seulement dans son travail, mais il faut se positionner aussi si la rue le permet, dans la rue aussi", a-t-il soutenu.
"Je ne suis pas le seul à me positionner, il y a des gens qui se battent peut-être un peu mieux que moi, il y a des gens qui chantent aussi contre cela", a souligné le cinéaste.