L’Egyptien Marwan Hamed, auteur de ‘’L’Immeuble Yacoubian’’ (2006), un film déjà fort apprécié de la critique, a frappé les esprits à la 14e édition du Festival international du film de Marrakech (FIFM, 5-14 décembre), avec son dernier long métrage, un thriller qui puise son inspiration dans les profondeurs de l’Egypte des mystères en s’efforçant d’effacer les frontières du réel et de l’imaginaire.
‘’The Blue Elephant’’, qui fait partie de la compétition officielle, est un pari sur la maîtrise du réalisateur et sur la prestation époustouflante de son acteur principal. Le film réussit à rendre au finish la copie d’une œuvre puissante, avec des séquences rythmées par une dramaturgie haletante qui convoque la psychologie, l’inconscient individuel et collectif.
Ce long métrage traite de la vie de Yehia, qui sort de ses cinq années d’isolement volontaire pour reprendre du service à l’hôpital psychiatrique d’Al Abasya, où il est chargé d’évaluer la santé mentale des criminels.
Ses retrouvailles avec une vieille connaissance l’amènent à se remémorer des souvenirs amers qu’il s’était efforcé, non sans mal, d’oublier. Alors qu’il tente de percer les nombreux mystères qui entourent aujourd’hui son ami, Yehia en vient à sonder ses propres zones d’ombre jusqu’au plus profond de son être, ou, du moins, ce qu’il semble en rester.
C’est que Yehia s’avère plus malade que ses patients, depuis la mort accidentelle de sa femme et de sa fille, imputable à son alcoolisme et à ses contradictions sentimentales, obligé qu’il était d’aimer son épouse comme sa femme et non comme l’élue de son cœur. Il faut relever qu'il a été empêché d’épouser la femme dont il était vraiment amoureux.
Une vie de convenance et un accident dramatique qui ont contribué à faire basculer la vie de cet homme, alcoolique impossible qui va retrouver le chemin de lui-même dans les séances de thérapie avec son principal patient. Comble du paradoxe, celui-ci n'est personne d'autre que le frère de la femme qu’il n’a pu épouser, justement à cause du veto de cette connaissance aujourd’hui malade.
Un détail qui ajoute de la complexité à l’affaire, si l'on sait que Yehia doit par sa thérapie sauver de la prison et de la peine de mort son patient, psychiatre comme lui avant qu'il ne mette fin à la vie de sa femme après l’avoir atrocement violée.
Le face-à-face thérapeutique ravive pourtant les blessures intérieures du psychiatre, d’autant que le jeu de son patient l'oblige subtilement à revenir sur des souvenirs douloureux, enfouis, interdits, inconscients, dramatiques.
De cette manière, tout se passe comme si le psychiatre enquête sur lui-même, à mesure qu'il cherche à découvrir les motivations inconscientes du criminel dont il est chargé de faire parler pour établir un diagnostic clinique à même de lui faire éviter la peine de mort.
Il en résulte un dédoublement de personnalité, à l’épreuve de laquelle l’acteur se retrouve vivre le passé de son patient, renvoyant à un monde de mystère, un environnement surnaturel, un univers de sorcellerie, d’envoûtement et d’incantations. Cette plongée dans les profondeurs de l’imaginaire individuel, nourris par fantasmes et de désirs enfouis, se nourrit de contes, légendes et de fables qui font la réalité de l’inconscient collectif.
Le rêve en arrive à se confondre avec la réalité pour que l’acteur principal se trouve une vie commune avec son patient, comme si celui-ci avait vécu par procuration sa vie à lui. Son enquête lui fait se découvrir aussi malade que son patient, dont il conclut que la folie est partie d’une tentative d’ensorcellement.
La femme du patient, voulant se faire davantage aimer, a eu recours aux sciences occultes, avec comme résultat un désenvoûtement qui a mal tourné, plongeant le mari dans une folie meurtrière désormais expliqué et compris par le médecin. Les deux partageant désormais les mêmes hallucinations qui les ramènent à un même univers satanique vécu en vrai ou par procuration.
Yehia, une fois abandonné à ce monde de la nuit, reçoit la révélation d’une formule magique qu’il ne se fait pas prier d’utiliser pour délivrer son patient en s’ouvrant le chemin de sa propre paix intérieure.