Le processus de paix en Casamance a du plomb dans l’aile depuis maintenant quelques décennies. En cause, plusieurs facteurs parmi lesquels la division du maquis, de l’aile politique, le pléthore des intervenants dans le processus et leur manque de synergie. A cela s’ajoutent l’économie de la guerre et la corruption des combattants.
Sud donne la parole aux acteurs et aux observateurs pour comprendre pourquoi le processus de paix ne décolle pas. La diversité des opinions lève un coin du voile sur la complexité du dossier dont la durée (un conflit trentenaire) n’est pas pour arranger les choses. Des habitudes se sont installées, des pratiques ont vu le jour, créant au cœur de la région naturelle de la Casamance, une sorte de no-man’s-land où les combattants ont fini de marquer leur territoire. Des champs et des rizières sont minés, ce qui du coup a contraint des pères et mères de famille à abonder une terre nourricière. La colombe n’attend que son envol pour libérer une région où le rêve n’est plus permis.
Dans ce débat, ont pris part Mamadou Khrumah Sané, secrétaire du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc), Apakena Diémé, du Cercle des intellectuels, tous deux en exile, Jean-Marie François Biagui, ex Secrétaire du Mfdc, Robert Sagna, Coordonnateur du groupe de réflexion pour la paix Casamance (GRPC), Saliou Sambou, ancien gouverneur, Madame Ndeye Marie Thiam, coordonnatrice de la Plate-forme des femmes pour la paix en Casamance, Jean-Claude Marut, auteur du livre « Le conflit de Casamance. Ce que disent les armes », etc.
BOUBACAR SONKO, DIRECTEUR DE L’AGENCE REGIONALE DE DEVELOPPEMENT DE ZIGUINCHOR - «POSER LA QUESTION DE L’INDEPENDANCE SUR LA TABLE»
Entre autres éléments de réponse, au niveau de la Casamance, les populations ne se sont pas intéressées au dossier, pour se prononcer et faire des propositions. C’est récemment, avec les ONG, que le débat sur la Casamance a commencé, à travers les médias et sur les places publiques. Aujourd’hui, on peut dire ce qu’on pense du conflit sans peur de représailles. Même par rapport à la libération de la parole, je peux dire ouvertement que je suis un partisan de l’indépendance de la Casamance. Beaucoup de gens évitent de le dire.
Pourtant, les partisans de l’indépendance peuvent apporter leurs arguments. Ça ne doit pas être un crime de dire ce qu’on pense. Par rapport à l’implication des populations, ça pose problème. Par rapport également à l’implication de la Société civile, d’où le thème d’aujourd’hui, les gens essayent de parler d’une voix et proposer des solutions aux différentes parties. Par rapport également à ces différentes parties, le jeu n’est pas clarifié. Par rapport à la position de l’Etat, moi, je crois qu’on ne peut aller négocier en disant de facto: « je ne veux pas parler de l’indépendance ». On crée des blocages en le disant. Quelqu’un qui n’a pas envie de négocier dira qu’il négocie l’indépendance, et puisque l’autre ne veut pas en parler, moi je n’y vais pas. C’est à partir des différents arguments que les négociateurs vont essayer de rapprocher les positions des uns et des autres. Aujourd’hui, apparemment, on a un peu nettoyé : le seul négociateur, c’est Saint Egidio. Et, on a des facilitateurs, dont nous saluons le travail fait. Mais, il faudrait qu’on aille vers un travail partagé entre le gouvernement et le Mfdc. Si on permet aux populations de se prononcer sur les différents scénarii, on peut aller vers la paix.
Au Mfdc, il y a tellement d’émiettement, dû aux manœuvres directes et indirectes de l’État, à travers ses mandataires, qui ont contribué à polluer la situation. Je peux dire que les choses se sont stabilisées, le fractionnement s’est pratiquement arrêté parce que l’argent ne vient plus. Je ne suis pas d’accord qu’on attende que toutes les factions soient réunies avant de faire les négociations. C’est un prétexte que présente l’État. Il n’aura pas un interlocuteur ; il a des interlocuteurs. L’Etat doit donner mandat à son négociateur d’écouter les différents camps et négocier avec les uns et les autres. Et ensuite, de trouver un dénominateur commun qui est de rapprocher les positions des uns et des autres. Les blessures sont très profondes pour que les gens ne se mettent pas ensemble tout de suite. Je crois qu’on doit pouvoir discuter avec les différentes factions.
NOUA CISSE, OBSERVATEUR ET FACILITATEUR DANS LE PROCESSUS DE PAIX EN CASAMANCE - «UNE ABSENCE DE VISION CLAIRE»
Ce qui plombe le processus de paix, c’est sûrement, une absence de vision claire de ce qu’il y a à faire. D’abord, la dynamique enclenchée de négociation avec la communauté Saint Egidio est très parcellaire, pour ne pas dire sectaire, prenant en compte un seul acteur dans le groupe de protagonistes constitué par le Mfdc d’une part. Et d’autre part, il me semble qu’en ce qui concerne les acteurs au processus de paix, la dispersion est très grande, chacun y va de ses initiatives, avec pour objectif de porter la paternité du règlement du conflit. Ce qui est une vaine prétention. Et aujourd’hui, on peut dire très sincèrement que, pour ce qui concerne le Mfdc, il n’est pas encore bien organisé pour s’impliquer dans le processus. Il y a l’accord de principe qui est engagé par les différentes factions pour aller à la paix, mais il n’y a pas de mesure résolue à se retrouver ou, à défaut, à discuter de façon séparée, parce qu’il ne faut pas exclure cette autre possibilité. L’État ne l’ayant pas intégré, il appartient au Mfdc de marquer son territoire pour aller ensemble à la table de négociation, à défaut, envisager la négociation séparée. Parce qu’au bout du compte, la grande préoccupation, c’est de retrouver la paix pour notre région.
ROBERT SAGNA, COORDONNATEUR DU GROUPE DE RÉFLEXION POUR LA PAIX CASAMANCE (GRPC) - «CE QUI BLOQUE VERITABLEMENT, C’EST LA MESENTENTE ENTRE LES ELEMENTS DU MFDC »
Ce qui bloque véritablement, c’est la mésentente entre les éléments du Mfdc, dans la mesure où depuis la mort de Diamacoune, la division s’est accentuée : il y a 4 maquis qui ne parlent pas un même langage. Les autres sont d’accord pour aller discuter, mais Salif Sadjo, lui, n’est pas d’accord. Et, il tente d’entraîner les autres. Il ne s’agit pas, pour le GRPC, de l’unique sujet des assises. Le sujet principal des assises, c’est l’unité.
Ce n’est pas un problème de divergence avec ceux qui interviennent pour la paix. C’est un problème de coordination entre les actions. Il n’y a pas une opposition des uns contre les autres. Tout le monde veut la paix, mais le mode d’y arriver est difficile. Je n’aime pas qu’on me considère comme « monsieur Casamance », parce que ce titre rime, dans la tête des gens, avec « les valises d’argent ». Ce terme a une consonance péjorative. Le GRPC pense que les négociations séparées ne sont pas productives, puisqu’elles n’engagent pas les autres. C’est pourquoi nous recommandons l’unité entre les groupes.
YAYA MANÉ, MEMBRE DU SECRÉTARIAT PERMANENT DU GROUPE DE RÉFLEXION POUR LA PAIX EN CASAMANCE - «IL FAUT QUE LA VOLONTE DE L’ÉTAT SE MANIFESTE»
Il y a plusieurs facteurs. D’abord, la volonté manifestée par le chef de l’État et le gouvernement ne se matérialise pas encore de façon nette et claire. Mais par rapport au processus de paix lui-même, il faut que la volonté de l’État se manifeste par la désignation d’un ministre (soit de la défense, soit de l’intérieur) qui s’occupe du dossier ; il faut une gestion républicaine. Aujourd’hui, vous me posez la question de savoir qui gère la question de la Casamance, je vous dirai que je ne sais pas. Donc, il y a un premier travail à faire sur ce plan.
La deuxième chose, je ne suis pas sûr que le gouvernement prépare les réponses appropriées à la revendication indépendantiste. C’est vrai qu’un processus est engagé dans le cadre de l’Acte III, mais, il faut s’attendre à ce que cet Acte III ne corresponde pas à ce que les populations attendent, mais aussi, il faut que le gouvernement se donne les moyens d’organiser en son sein une réflexion pour voir jusqu’où il peut aller ou non. Il y en a d’autres, mais celui-là me semble plus important. L’autre élément, c’est la division du Mfdc ; cela cause problème parce que l’État ne peut pas multiplier les interlocuteurs. Il faut que le Mfdc fasse l’effort de passer certains clivages et d’arriver à la négociation, unifiée. Le troisième élément est la présence de l’économie de guerre. Qui a intérêt à la poursuite du conflit ? ça, c’est un facteur bloquant. Il y a plusieurs genres de trafic : trafic de drogue, de bois, des arbres, etc., ces gens n’ont pas intérêt à ce que ça finisse. Il y a aussi le secteur des maquis, parce qu’il faut rassurer ces éléments parce qu’ils ne sont pas sûrs d’être réintégrés dans la société. Par rapport aux problèmes d’inondations, d’Ebola et autres, on ne sent pas la mobilisation générale sur ce dossier. Ce n’est pas une affaire seulement casamançaise, mais aussi, du Sénégal et même, de l’Afrique.
LAMINE COLY, ACTEUR DE LA PAIX - «IL EST INDISPENSABLE D’ASSOCIER LES PAYS VOISINS»
Je crois qu’il y a beaucoup de facteurs qui plombent le processus de paix. Mais, les principaux facteurs, c’est la multiplicité des acteurs qui interviennent dans la recherche de la paix et souvent, il n’y a pas de synergie. Si chacun agit suivant des motivations qui lui sont personnelles, alors, ce n’est pas comme ça qu’on va arriver à la paix. La deuxième chose, c’est qu’on a reconnu qu’il est indispensable d’associer les pays riverains. Si les gens ne comprennent pas que les pays riverains ne peuvent pas être contournés, là, ce sera une erreur, d’autant plus que ce sont ces pays qui abritent la plupart des chefs des forces armées, qui s’y replient. Donc, si on ne discute pas avec ces pays, si on ne trouve pas un accord avec eux, ça sera difficile d’arriver à la paix.
L’autre chose aussi, c’est que c’est très difficile de vouloir faire la paix, dans ces conditions où les gens sont basés à l’étranger. Ils ont beaucoup d’influence sur ceux qui sont ici, qui leur donnent des informations. On ne connaît pas le contenu des informations. Ça c’est aussi un problème. On a tendance à croire que ceux qui sont à l’étranger ont le monopole de l’information et, ça rend le problème délicat.
En plus, il y a beaucoup de factions qui ne vont jamais s’entendre. La seule chose qu’on peut faire, c’est de trouver un cadre. Mais, quant à vouloir unifier, ça ne se passera jamais parce que le fossé est très profond entre certaines factions. D’ailleurs, on a constaté récemment que la faction qu’on pensait unie s’est disloquée. Donc, on se rend compte que c’est très difficile que les différents groupes s’entendent. Les gens travaillent pour les unifier mais, c’est très difficile.
L’état de paix aujourd’hui ? Il y a des efforts pour créer une certaine accalmie. Au sein des populations et même des maquis, les gens sont d’accord pour qu’il y ait la paix. Mais, malheureusement, si les gens n’exploitent pas les accalmies, ça sera un éternel recommencement. Parce qu’il y a des moments où on a pensé que c’était fini, mais, puisque les gens n’ont rien fait, on est retombé dans les mêmes problèmes.
MARIE-CLÉMENTINE DIOP, DE LA PLATE-FORME DES FEMMES POUR LA PAIX EN CASAMANCE - «IL Y A UNE MULTITUDE DES ACTEURS ET LE MFDC EST DIVISE»
«Moi, je pense que ce qui plombe le processus de paix, c’est la multitude des acteurs, et aussi le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc) est divisé.
Mais, en ce qui concerne la multitude des acteurs, il y a d’abord l’État qui a plusieurs intervenants sur le terrain. Vous avez le ministre d’État, Robert Sagna, qui s’implique très bien dans le processus de paix ; Mme Amsatou Sow Sidibé, qui est madame Casamance, etc. Au sein de la Plate-forme, elles ont fait une et, chacune veut être le leader. Or, quand on crée une plate-forme avec une coordonnatrice, on doit tout faire ensemble ; il doit y avoir vraiment une synergie d’actions entre elles, et on ne doit plus sentir les deux entités. Ensuite, il y a énormément d’ONG. Et je pense que l’État a créé aussi l’Agence nationale pour la reconstruction de la Casamance, et cette agence est là pour coordonner toutes les actions. Mais, on ne sent pas aussi cette agence. Elle a des activités, des programmes de reconstruction, des projets, mais avec qui ? Et comment, tout cela est organisé ? Cette journée vient à son heure, et j’espère que tous les acteurs vont essayer de coordonner leurs actions pour retrouver la paix en Casamance».
MAMADOU NKRUMAH ABOU SANÉ, SECRÉTAIRE DU MFDC - «LA PAIX NE VIENDRA QUE QUAND…»
La Paix ne viendra que quand les Autorités Sénégalaises démilitariseront toute la Casamance et s'adresseront aux seules Institutions du Mfc.
Il faut aussi la levée de tous les mandats d'arrêt Internationaux contre les membres du Bureau du Mfdc.
JEAN-CLAUDE MARUT, AUTEUR DU LIVRE «LE CONFLIT DE CASAMANCE. CE QUE DISENT LES ARMES» - «LE PROCESSUS DE PAIX EST PLOMBE PAR DES ENJEUX DE POUVOIR»
«On peut dire que le processus de paix est plombé par des enjeux de pouvoir, au sein même de la rébellion, en position de faiblesse et qui se déchire, mais aussi entre la rébellion et l’Etat, ce dernier pouvant être tenté d’abuser de sa position de force.
Comme on le sait, un premier blocage important se situe au niveau du Mfdc : la légitimité des négociations en cours à Rome entre représentants de la faction de Salif Sadio et représentants de l’Etat est vivement contestée par toutes les autres factions du Mfdc, à commencer par celle de César Atoute Badiate. Au-delà de la mémoire des méthodes de Salif Sadio (on pense à l’élimination du groupe Léopold Sagna en 2001), ses rivaux mettent en avant deux arguments : militairement, il ne pèserait pas lourd face à César ; politiquement, un seul groupe (a fortiori un groupe militaire) ne saurait négocier au nom de tout le mouvement. C’est pourquoi les anti-Salif (à l’exception de Nkrumah Sané) exigent des assises de réunification du Mfdc comme condition pour négocier avec l’Etat sénégalais.
Que César Badiate pèse aussi lourd qu’il le prétend, on peut en douter, que ce soit en termes d’effectifs, en termes de pouvoir réel sur ses alliés, ou en termes de velléités d’affronter l’Etat.
Quant aux conditions qu’il pose, il sait bien que des assises du mouvement n’ont aucune chance d’être acceptées par Salif Sadio, qui rejette ceux qu’il considère comme des traîtres et des corrompus.
On assiste en fait à une reconstitution du front anti-Salif réalisé au milieu des années 1990, et qui avait culminé en 2006 lorsque César Badiate avait fait alliance avec les armées sénégalaise et bissau-guinéenne pour combattre le chef rebelle radical. Une reconstitution sans doute moins grave dans la mesure où il ne s’agit aujourd’hui que d’une guerre d’image. Mais elle n’en apparaît pas moins un frein important à l’avancée du processus de paix, dans la mesure où elle rend problématique un éventuel accord séparé avec Sadio. En même temps qu’elle fait planer la menace d’une reprise de la violence par ses adversaires, que ce soit entre groupes rivaux ou au détriment de la population (pour des raisons alimentaires ou tout simplement pour rappeler qu’il faut compter avec eux).
Ceci étant, ce premier blocage ne doit pas en masquer un second, qui vient cette fois de l’Etat lui-même. Depuis son arrivée au pouvoir en 2012, Macky Sall n’a en effet proposé d’autre réponse au problème casamançais que des projets de reconstruction, de désenclavement et de développement. Il ne s’agit pas de nier la nécessité de tels projets. Mais, outre qu’ils n’ont pas été associés à leur élaboration, les Casamançais n’oublient pas les désillusions engendrées par les suites de ‘l’accord de paix’ de 2004 : quelques réalisations, mais beaucoup de promesses non tenues et une guerre qui avait repris de plus belle ! Ce qui renvoie aux limites de réponses de nature économique, qui ne prennent pas en compte la nature politique du conflit : les combattants du MFDC auraient-ils passé 20 ou 30 ans dans le maquis pour obtenir des plans de développement ? Ils ne sont certes pas en position de force pour imposer quoi que ce soit. Mais le risque existe que Macky Sall, comme ses prédécesseurs, en tire la conclusion qu’il peut faire l’économie d’une solution politique. Bien que jamais formulée officiellement, c’est en effet la stratégie de l’Etat depuis le début du conflit que de chercher à affaiblir la rébellion suffisamment pour ne pas avoir à négocier avec elle. L’Etat n’est pas menacé, il a les moyens et il a le temps pour lui : il peut jouer la montre !
Tout se passe donc comme si l’Etat cherchait à gagner du temps. Auquel cas, la compétition interne au MFDC déboucherait sur une aporie : être le seul interlocuteur d’un Etat qui n’a rien à négocier ! Où il apparaît clairement que les enjeux de pouvoir des protagonistes priment sur une véritable recherche de la paix, faisant ainsi bon marché des aspirations d’une population dont les uns et les autres se prétendent pourtant les porte-parole. »
JEAN-MARIE FRANÇOIS BIAGUI, PRÉSIDENT DU (MFDC-FÉDÉRALISTE) - «LE PROCESSUS DE PAIX EN COURS A ETE VICIE, DES LE DEPART»
Quand, de nos jours, l’on évoque le ‘‘processus de paix en Casamance’’, d’aucuns pensent, d’une part, au processus dit de Rome et, d’autre part, à l’implication récente des Etats-Unis dans le «dossier casamançais». A Rome, dit-on, des négociations de paix seraient en cours, sous l’égide de la Communauté Sant’Egidio, entre l’Etat sénégalais et Salif Sadio avec ce qui reste de sa faction.
Quant à l’implication des Etats-Unis, elle se traduirait plutôt par l’intrusion dans le « dossier casamançais » d’un Conseiller Spécial de l’Administration américaine avec rang d’Ambassadeur, qui, lui, semble privilégier le « travail » sur César Atoute Badiate, chef de la faction Mfdc la plus importante.
Et pourtant, il est aisé de comprendre que cette implication des Américains dans le ‘‘processus de paix en Casamance’’ n’est autre que ce qu’il y a de plus banal en matière de renseignement. C’est si vrai qu’il ne s’est élevé aucune voix autorisée, du côté de l’Etat sénégalais, pour s’en offusquer, si l’on sait, cependant, que, de toute façon et de toute évidence, les renseignements que les Américains recueilleront auprès du maquis casamançais seront mis à la disposition du Gouvernement sénégalais. Le Mfdc, pour sa part, devra se satisfaire de ce que les Etats-Unis seront bien obligés de prendre acte, entre-temps, de l’absence de toutes formes d’accointance entre, d’une part, ses différentes factions et, d’autre part, celles des djihadistes qui sévissent dans le sahel et notamment au nord du Mali voisin.
En ce qui concerne le processus dit de Rome, ça n’est jamais que du bluff, ontologiquement conçu comme tel par ses initiateurs, et à la faveur duquel Salif Sadio, tout abusé, a cru devoir, de manière unilatérale, lancer un appel au cessez-le-feu, tandis qu’il ne se trouva aucune partie en face, ni l’Etat, ni même Sant’Egidio, pour exiger que cela fût transformé en un accord formel de cessez-le-feu. Salif Sadio lui-même a dû s’en étonner.
A la vérité, le processus de paix en cours a été vicié, dès le départ, tant dans son essence que du point de vue de sa finalité. En effet, pour s’être fondé sur le postulat selon lequel « Il n'y a jamais eu de négociations réelles, dignes de ce nom » avant l’implication dans le « dossier casamançais » de Sant’Egidio, le processus de paix en cours est forcément voué à l’échec. Certes, ce postulat est une marque de fabrique du chercheur français Jean-Claude Marut. Il n’empêche qu’il est historiquement erroné et politiquement dangereux. Car, en réalité, le ‘‘processus de paix en Casamance’’ a vu le jour en 1999 en Gambie, sous l’égide des Etats gambien et bissau-guinéen, puis, se développant, a été sanctionné par les accords de paix dits de Banjul I, II et III. Hélas, faute de volonté politique véritable, notamment du côté de l’Etat sénégalais, le ‘‘processus de paix en Casamance’’ se meurt de nos jours.
C’est que, en définitive, une solution au « problème casamançais », qui ne participe pas de ce que nous préconisons depuis plus de deux décennies, ça n’est pas pour demain. En effet, ôtez-y une once, et c’est le statu quo, qui entraînera nécessairement la reprise des hostilités en Casamance ; ajoutez-y une once, et c’est l’indépendance pure et simple de la Casamance.
Rappelons, tout à propos, que mes amis et moi préconisons, entre autres, en guise de solution à la crise, la réhabilitation de la Casamance en tant que Région Naturelle du Sénégal, au même titre que toutes les autres Régions Naturelles du pays, et leur érection comme Régions ou Provinces Autonomes, juridiquement, techniquement et financièrement.
IBRAHIMA SOLY MANDIANG, SUPERVISEUR DES RADIOS COMMUNAUTAIRES POUR LA PAIX ET LE DÉVELOPPEMENT EN CASAMANCE - «L’ETAT A ETE TRES DIVISE PAR RAPPORT AU PROBLEME»
Le premier obstacle, c’est la synergie, que nous n’avons pas encore trouvée ici en Casamance pour aller vers les négociations. Parce que pour aller négocier avec quelqu’un, il faut qu’on aille regroupés. Il faut que le MFDC soit un et indivisible. Il faut une synergie des forces et avec ceux avec lesquelles nous allons négocier.
Deuxièmement : il faut régler certains problèmes socio-économiques. Il faut faire la paix avant le développement. L’Etat a été très divisé par rapport au problème. Plus de « monsieur Casamance ». Au niveau de l’Etat, il y a plusieurs interlocuteurs. Il n’a pas trouvé de cahier de charges au monsieur Casamance ou au groupe qui vient parler de la Casamance.
MADAME NDEYE MARIE THIAM, COORDONNATRICE DE LA PLATE-FORME DES FEMMES POUR LA PAIX EN CASAMANCE - «PLUS LE PROCESSUS TRAINE, PLUS IL Y A DES DIVISIONS»
Parmi les obstacles, on peut parler de l’éclatement du Mfdc en plusieurs groupes. Il y a aussi la société civile qui fait ses actions de façon éparse. D’où la nécessité d’une synergie. Il y a aussi l’implication des pays voisins. Nous pensons que la Gambie et la Guinée Bissau doivent s’impliquer dans la résolution du conflit. Il faudrait que le président de la République mette en place un cadre formel pour faire avancer le processus de paix.
Ce n’est peut-être pas mal qu’il y ait beaucoup d’intervenants. Mais, par quel bout prendre le problème. Nous pensons qu’il faut connaître le milieu. Cela est important pour ceux qui participent à la négociation. Les populations doivent aussi participer. Plus le processus traîne, plus il y a des divisions au sein même de la population, parce que les groupes cherchent des complices dans la population. C’est pourquoi il faut aller vite dans le règlement.
APAKENA DIÉMÉ, CERCLE DES INTELLECTUELS CASAMANÇAIS - LES FACTEURS BLOQUANTS
Macky Sall n’a voulu négocier qu'avec Salif Sadio et en a donné instruction à Sant Egidio qui n'est là que pour Salif, pas pour le Mfdc et la Casamance en lutte dans toutes ses composantes. Il estime que les autres factions seraient déjà acquises au processus de paix depuis Wade, ce qui est faux. L'effet de son option, c'est la radicalisation des chefs de guerre comme Paul Bassène, le refus des autres factions politiques comme militaires de suivre le processus de Rome. Du coup celui est mort, puisque Salif ne contrôle que 100 mètres carrés et moins de 10% des combattants. Nous estimons que la communauté Sant Egidio est paradoxalement une ONG religieuse travaillant à la division d’un mouvement.
Le Mfdc n'a pas tenu ses assises inter ou intra en vue de dégager une équipe légitime dirigeante et négociatrice, en cas de processus de négociations inclusives. Le travail de réunification des factions armées n'est pas terminé. Je fais partie des leaders et intellectuels du Mfdc qui s’y emploient. En marge, je suis aussi actuellement au cœur des initiatives à prendre en vue de la réunification politique, notamment des figures historiques du Mfdc politique.
• Certains leaders politiques du Mfdc ne sont pas disposés à s'engager dans des assises susceptibles de moderniser le Mfdc. Il s’agit entre autres, de Nkrumah Sané, de Salif notamment. Ils ont encore une conception verticale de la gouvernance, par opposition à celle horizontale que nous essayons d’enraciner, conformément à ce que Diamacoune appelait par cette expression « notre peuple est foncièrement démocrate »
• Le paradigme développementaliste est dominant dans le schéma de sortie de crise, côté gouvernement, ce qui met hors débat la problématique à trois dimensions : juridico politique, historico culturelle et socioéconomique. Le grand problème théorique et politique, c’est cette espèce d’impensé politique que constitue la question de la Casamance, chez les élites de tous bords en Casamance et au Sénégal.
Cela se double de la militarisation du dossier, alors que le problème est éminemment politique : au commencement ce fut une marche, à la fin de ce conflit, force restera au politique, pas au militaire. Le militaire n'étant qu'un moyen et une méthode.
• Manque de bonne foi des généraux en charge du dossier actuellement, suivant en cela celui du président, car dans les va et vient de Rome, l'objectif, c'est de casser du Mfdc, préparant ainsi le terrain au politique pour une fin de la lutte et de la résistance, par capitulation. Si c'était pour un vrai processus de négociations, on aurait envoyé des politiques tenter de nous rencontrer, on n'aurait cessé d'envoyer des généraux pour et casser Dr Apakena et Ousmane Tamba, les seuls qui ne se laissent pas tripoter.
• L'attitude consistant à avilir le Mfdc en lui refusant une densité diplomatique et politique qu'il a cherchée et a trouvée, mais que le Sénégal a étouffée et continue d’étouffer. En effet, nous avons pris la décision de ne parler aux émissaires sénégalais que si un médiateur sérieux, adapté à la nature du dossier
IBRAHIMA GASSAMA, DIRECTEUR DE LA RADIO ZIGFM, À ZIGUINCHOR - «LA PAIX EST DEVENUE UN GAGNE-PAIN»
Le nombre d’acteurs engagés dans le processus de paix en Casamance bloque. C’est une bonne chose, parce que la négociation doit être inclusive. Mais, il n’y a pas de synergie ; chacun agit. Des actions sont menées par chaque organisation de la société civile qui a son propre bailleur de fonds. A force d’aller dans ce sens, la paix est devenue un gagne-pain. Il y a des gens qui sont engagés avec des budgets qui sont dégagés pour cela ; les gens ne sont pas pressés que la paix revienne. L’introduction du financement freine la paix. Le second obstacle, c’est qu’il n’y a pas de vision ; il n’y a pas de feuille de route pour dire que l’objectif est le même, et les actions doivent être menées sur telle ou telle chose. Chacun dit qu’il veut la paix, mais on n’a aucun contenu de ce que chacun fait. Troisième obstacle : on n’a pas suffisamment pris à bras le corps le problème casamançais, parce que quand le Mfdc dit qu’il veut l’indépendance, ces organisations de la société civile devaient être à son écoute parce qu’il n’a jamais eu d’espace pour faire entendre ses revendications indépendantes. Est-ce des frustrations qui n’ont pas été suffisamment prises en compte par l’État ? Si c’est le cas, s’engager très vite pour qu’on apporte des réponses à ces doléances. Si c’est aussi des arguments juridiques ou coloniaux qui causent ce problème, qu’on fasse recours aux experts et qu’on tranche la question. Et, c’est la société civile qui devrait prendre cela en charge. Mais dès le début du conflit, les cadres casamançais ont pris leur distance d’avec ces gens. Ils disent qu’ils ne sont pas pour l’indépendance. Ce qui a mis le Mfdc dos au mur, en rejetant les cadres.
Enfin, le manque d’interlocuteur au sein du Mfdc cause problème. Qui va les aider pour qu’ils s’entendent, puisque ce sont des hommes armés qui n’ont connu que la guerre, et non des négociateurs ? Aujourd’hui, il faut une société civile forte qui soit capable de faire pression autant sur l’État que sur le Mfdc.
SALIOU SAMBOU, ANCIEN GOUVERNEUR DE DAKAR - «ON A COMME L’IMPRESSION QUE LES GENS NE VEULENT PAS LA PAIX»
On a comme l’impression que les gens ne veulent pas la paix, parce que chaque fois qu’il y a une opportunité, ils regardent derrière. Quand il y a accalmie, on pense que c’est fini. Et puis, il n’y a vraiment pas eu de coordination des intervenants ; chacun y va de son côté. On a l’impression que l’affaire arrange des gens. Certains en ont fait leur beure. On a créé d’autres vocations, comme le trafic de chanvre indien, la cocaïne, etc. C’est une espèce d’économie de la guerre, sans compter aussi que la douane est presque désorganisée. Il y a aussi la coupe du bois. Il y en a qui trouve leur intérêt dedans. On a l’impression aussi que le calendrier de l’Etat et celui des groupes armés ne sont pas les mêmes (ils n’arrivent pas à s’accorder).
Les « messieurs Casamance » bloquent, parce que quand les gens reçoivent l’argent, ils ne veulent pas que ça finisse. L’Etat est souverain ; c’est donc à lui d’organiser la coordination et charger tel ou tel ministre de faire le travail. Mais, on laisse faire. On contacte les bailleurs de fonds. Il faut que l’Etat marque sa souveraineté. C’est à lui de désigner celui qui va coordonner les négociations. Personne ne doit écrire aux bailleurs de fonds pour demander de l’argent, si cela ne contribue pas à la recherche de la paix.