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Sud Quotidien N° 6465 du 21/11/2014

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Fou Malade, artiste rappeur: "Le hip Hop est devenu un pouvoir"
Publié le samedi 22 novembre 2014   |  Sud Quotidien


Malal
© Autre presse
Malal Talla alias "Fou malade", rappeur, membre de "Y en a marre"
Malal Talla alias "Fou malade", rappeur, membre de "Y en a marre" incarcéré pour des propos jugés outrageants envers la police.


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Dans un entretien qu’il a bien voulu nous accorder mercredi dernier, 19 novembre 2014 à Dakar, l’artiste activiste, Malal Talla, plus connu sous le sobriquet Fou Malade, nous apprend que le mouvement hip hop est devenu un pouvoir, un moyen de pression qui a participé au Sénégal avec « Y’en a marre » au départ d’Abdoulaye Wade, et au Burkina Faso avec « Le balai citoyen » à faire partir Blaise Compaoré. Fou Malade a aussi parlé de la dimension poétique de son message, et pour le prétexte de la Francophonie, il s’est également prononcé sur le legs spirituel du Président Senghor, chantre de la Négritude.

Sud Quotidien : Malal, vous estimez que le hip hop n’est pas bien traité dans les médias, quelle compréhension doivent-ils avoir de cette forme d’expression artistique ?

Fou Malade : Tout est parti d’un manque de considération. En fait, puisque la plupart des journalistes ont eu leur diplôme au Cesti à l’Université, ils sous-estiment ceux qui viennent du grassroot, c’est-à-dire ceux qui viennent des populations autochtones et qui ne sont pas instruits. Et puis ils sont restés dans la stigmatisation et le stéréotyping de ceux qui sont dans le mouvement hip hop. Alors que le hip hop est une culture avec énormément d’éléments, une culture très profonde qui englobe beaucoup de choses comme la citoyenneté, l’art, la philosophie, la poésie. Par conséquent, il faut que les journalistes aillent à la recherche de ce qui est véritablement le hip hop pour essayer de comprendre ce mouvement et ses acteurs. Ils doivent aussi comprendre le rôle que ces acteurs jouent dans la société. Mais tant que les gens restent dans la stigmatisation, refusent d’aller chercher, de pénétrer les textes qu’écrivent les rappeurs, d’intégrer la chorégraphie des danseurs, le scratch du disc-jockey, d’essayer de décrypter le message du graffiti, ils ne peuvent pas comprendre le hip hop. Et c’est tout une culture. Au début, il y a des gens qui disaient que c’était un phénomène qui vient et qui passe. Or, le hip hop a 40 ans aux Etats-Unis et 25 ans aujourd’hui dans notre pays.

Ils n’avaient peut-être pas compris au fond ce que c’était, mais au-delà de tout ce que vous avez évoqué, quelle est sa véritable importance ?

En termes d’économie, le hip hop est pourtant deuxième. Du point de vue économique, il est deuxième aux Etats-Unis et au plan mondial. Donc c’est quand même important de prendre cette énergie en compte. Il est important d’aller chercher, de comprendre les mutations, c’est-à-dire comprendre la manière dont le hip hop est devenu un pouvoir. Au Sénégal, nous avons vécu l’exemple de « Y’en a marre », avec un mouvement porté par des hip hopeurs, qui a joué un rôle important pour le départ d’Abdoulaye Wade. Ce même mouvement est allé mutualiser ses expériences au Burkina Faso en mettant en place avec les Burkinabé le « Balai du citoyen » qui aujourd’hui a mobilisé les populations, galvanisé les jeunes pour faire partir Blaise Compaoré. Au Tchad la même expérience est en train d’être mise sur la sellette. Les mutations, les transformations sociales, économiques et politiques ne pouvaient pas se faire aujourd’hui sans la contribution du mouvement hip hop, parce que le hip hop c’est les jeunes, et en Afrique la moyenne c’est à peu près 75 % de jeunes dans tous les pays. Cela se passe avec le hip hop parce que c’est de l’entreprenariat de rue qui représente énormément de choses. Je pense que les journalistes ont besoin d’être formés sur les questions des cultures urbaines afin de pouvoir écrire, afin de pouvoir se départir des questions sensationnelles sur le hip hop à l’exemple de « Malal s’est battu avec Gaston », « Nit Dof a frappé Canabasse », « Les rappeurs ont insulté », etc. Même l’insulte du rappeur est une forme de poésie. Et ça il faut aller le comprendre.

Au-delà de son activisme et de son agressivité, quelle est la dimension poétique du hip hop ?

Je te donne un exemple très simple. Tu prends le mot hip hop, même si les gens s’arrangent pour lui donner un nom politique de « Cultures urbaines » pour négocier, pour le faire entrer dans certaines institutions, le hip hop signifie un bon en avant ou bien de l’intelligence en mouvement. C’est une définition d’un de ses pères fondateurs Africa Bambata. Mais au-delà de ça, quand tu prends la littérature classique, il y a des courants littéraires comme le romantisme, le classicisme, le naturalisme, le symbolisme, le réalisme, le surréalisme, les parnassiens. Tu prends le hip hop, c’est aussi des courants littéraires où on a les gangsters rap, le hardcore. Au Sénégal on a le Deugeun Taan, le Kaamilan, on a la D Rich House, etc. Comme c’est un mouvement, ça bouge, ça fait allusion à des mutations importantes selon les générations. La génération de Public Ennemy ne peut pas être égale à celle de 2014. Aujourd’hui, nous avons une nouvelle tendance de D Rich House qui est née aux Etats-Unis mais qui fait l’éloge des rappeurs. C’est un courant qui dit ceci : « Nous n’allons pas dénoncer les hommes politiques, la ségrégation raciale, parce que grâce au hip hop nous existons. Nous avons travaillé avec l’outil hip hop jusqu’à ce que les fils de blancs nous imitent, nous écoutent. Nous avons transformé ces chaines d’esclaves en chaines de diamant ».

C’est pourquoi les rappeurs -là mettent les Bling Bling et chantent la joie parce que la colère a déjà été chantée par les Public Ennemy, etc. Donc quand tu reviens au Sénégal, et tu prends Senghor qui est le chantre du mouvement de la Négritude, tu te rends compte que beaucoup de jeunes ne peuvent pas le comprendre. Mais il faut traduire, le convertir pour que les nouvelles générations se l’approprient. Senghor, c’est Awadi aujourd’hui avec « Positive Black Soul » qui incarne la positivité de l’âme noire. Donc ce nom prend en charge la réhabilitation de l’identité culturelle nègre. Quand tu prends Xuman, avec son concept de « P Froiss », le « possee » c’est la famille, « Froiss » c’est froissé mais le sigle signifie « Front révolutionnaire organisé pour l’instauration d’un système sain ». Il prend en compte les questions de corruption, d’impunité et de mal gouvernance. Pour dire que le rap est une philosophie, un discours artistique sur l’actualité.

De Senghor dont vous avez parlé est parti le concept de Francophonie qui aujourd’hui revient en conclave au Sénégal pour honorer les femmes et les jeunes. Qu’est-ce qu’elle vous inspire ?

Je suis très content que ça se passe ici parce que je m’intéresse à son volet typiquement culturel, à son volet typiquement artistique parce que tout simplement elle permet aux artistes, aux acteurs de véhiculer un message qui n’est pas du tout conditionné quel que soit le thème de la Francophonie. Le graffeur, le peintre et le rappeur vont tous s’exprimer. Il y aura certes des colloques mais il y aura également une série d’événements, de concerts et d’expositions, en fait, que la Francophonie soutient. Maintenant, ça donne aux artistes l’occasion de promouvoir et de diffuser leurs créations aux plans national et international parce qu’on aura beaucoup de personnes qui viendront visiter le Sénégal. Mais ce qui est le plus agréable encore dans la Francophonie, c’est un espace pour dire ce qu’on pense. La thématique «Femmes et jeunes, vecteurs de développement», c’est très important qu’on en parle, mais que ça ne s’arrête pas seulement à la parole, il faut agir.

Le problème est posé depuis très longtemps. Les femmes et les jeunes sont exclus des processus de décision. Quand un Sommet aussi important que la Francophonie vient et donne une place aussi importante à ces jeunes-là il est important de dire aux jeunes de prendre leurs responsabilités. Toutefois, il faut que tout soit cohérent. On ne peut pas parler du rôle des jeunes dans des conférences et les faires animer par des vieilles personnes, des personnes déphasées par les événements d’aujourd’hui. Il est important maintenant de faire confiance aux jeunes, de leur donner la parole, mais surtout de les écouter.

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