S’habiller sexy ! C’est ce que les jeunes sénégalais et d’ailleurs appellent être à la mode, au diapason. Des tenues vestimentaires qui frisent l’indécence sont légion dans la capitale sénégalaise. Les pantalons taille basse, les hauts décolletés et les mini jupes ont pris le dessus sur les tenues traditionnelles léguées par nos ancêtres. Chacun essaie d’être «in» comme on le dit. Les jeunes filles ne se soucient guère de porter un vêtement qui laisse paraitre certaines parties intimes de leur corps notamment les fesses et les seins. Dans les boutiques et les magasins de la place, il est difficile voire impossible de trouver un pantalon taille haute ou un haut qui n’est pas décolleté. Cette mode qui consiste à tout montrer choque de plus en plus les sénégalais.
Il est 11h 30 minutes au marché Sanadaga de Dakar. En cette matinée de samedi, le marché tant fréquenté par les jeunes filles de Dakar et sa banlieue grouille de monde. Piétons et automobiles se disputent la chaussée. Malgré la chaleur de plomb qui dicte sa loi sur Dakar, les gens vaquent à leurs occupations.
La musique distillée par les chaines à musique des commerçants et le cri des marchands ambulants créent un tintamarre indescriptible.
L’avenue Emile Badiane communément appelé «Roukhou disquette» qui est tant fréquentée par les filles pour faire leur shoping vit au rythme de l’été.
Devant les boutiques, sont exposés des vêtements de toutes sortes. Pour tous les goûts. Mais ce qui attire l’attention de tout visiteur qui s’aventure dans cette rue, c’est le côté dit sexy des habits vendus surtout ceux des filles. Des Jean legging, des bas, des pantalons taille basse, des hauts décotés ou «pathial», des jupes courtes ce sont entre autres les articles les plus vendus dans ce coin du marché Sanadaga.
Ce sont presque les mêmes articles qui sont exposés dans toutes les boutiques.
«C’est la mode sexy qui est au diapason»
Debout à l’entrée d’une boutique de prêt à porter, Fama Diop, moulée dans un top beige assorti d’un bas noir trouve que les «jeunes filles de Dakar sont branchées» car argue-t-elle, «elles suivent la mode du jour au jour».
Interpellée sur son accoutrement qui laisse transparaitre certaines parties intimes de son corps, la demoiselle, âgée de 23 ans soutient : « Le monde a évolué et les gens doivent se conformer à cette évolution. Nous ne sommes plus aux années 70 et 80 mais au 21ème siècle. Tout a changé. C’est pour cela d’ailleurs que nous ne pouvons pas nous habiller comme le faisaient nos parents. C’est la mode sexy qui est au diapason».
Plus loin, Fatima Diallo, la démarche gracieuse, les lèvres bien lippées, très à l’aise dans son jean taille basse qui laisse entrevoir son string abonde dans le même sens.
«Au Sénégal, les gens ont tendance à décrier l’habillement des jeunes filles alors que nous ne faisons que suivre la mode. Nous sommes des jeunes. Au fur et à mesure que nous prenons de l’âge nous allons nous habiller autrement. Il faut que jeunesse se fasse», se défend-elle avec fermeté.
Rencontré dans les rues de plateau, Ousmane Sarr, étudiant dans une école de formation de la place ne trouve pas mal le port vestimentaire des jeunes filles.
Pour lui, c’est normal que les filles s’habillent sexy pace que c’est la mode.
«Je pense qu’il n’ya rien de grave dans l’accoutrement des jeunes filles. Si elles portent des boubous traditionnels, elles vont ressembler à de vieilles femmes. Et dans ce cas, elles n’attireront pas les regards des hommes. Il faut être sexy pour que les hommes s’intéressent à toi», soutient-il sous un air taquin.
Au garage Lat Dior, le calme plat règne sur les lieux. Il est 13h 45 minutes. Les rabatteurs qui sont devant les cars de transport en commun, guettent les clients qui se font rare en cette période de la journée où le soleil est au zénith. Trouvé dans un car le temps de se reposer en attendant que son tour vienne, Moussa Fall apprenti chauffeur déplore avec la dernière énergie le port vestimentaire des jeunes filles.
«Les petites culottes, les strings et les perles de rein sont au vu de tout le monde»
Pour ce jeune ressortissant de Diourbel, les filles exagèrent maintenant dans leur habillement.
«Les filles s’habillent n’importe comment. Si la société ne réagit pas les choses vont dégénérer. Les affaires intimes comme les petites culottes, les strings et les perles de reins sont au vu de tout le monde. De nos jours, rien n’est caché. Je me demande même si nous avons vraiment besoin de nous marier puisque nous savons déjà tous ces secrets de femmes», s’est-il interrogé.
Et à son collègue de renchérir : « dans les cars rapides et «Ndiaga Ndiaye» (cars de transport en commun) on a l’habitude de voir des filles assises sur des Versailles et dont les fesses sont exposées. Ce qui me dérange le plus, c’est le fait que cela ne les dérange point. Elles font comme si de rien n’était alors que des personnes âgées partagent avec elles, les cars ».
Même si la plupart des jeunes filles s’habillent indécemment à Dakar, force est de reconnaitre qu’il y en a quand même certaines qui s’habillent correctement et avec beaucoup de classe. C’est le cas d’Aicha Cissé, rencontrée devant le lycée Seydou Nourou Tall de Dakar.
Habillée d’une tunique en soie verte qui tombe sur un pantalon d’un même ton, la demoiselle d’une vingtaine de berges pense qu’on peut suivre la mode tout en portant des habits décents.
«La mode n’a rien à voir avec le fait d’être sexy. On peut suivre la mode et en même temps porter des boubous corrects et respectables. Je pense que tout est question d’éducation car, pour moi, ce sont les parents qui sont responsables de l’habillement de leurs enfants», a-t-elle martelé.
Le mea-culpa des parents…
La nouvelle tendance vestimentaire chez les jeunes à Dakar n’agrée nullement les adultes. Bon nombre d’entre eux, notamment les responsables de familles que nous avons approchés dans le cadre de ce travail, se disent même préoccuper par la tournure que prenne le phénomène. Certains vont même jusqu’à voir derrière ce penchant des jeunes pour les habits courts et légers, une crise de valeurs ou une crise de personnalité chez cette tranche d’âge. Plus ouvertes sur la question que les hommes, les femmes estiment ne pas comprendre cette passion de la nouvelle génération pour les habits «malsains» et en déphasages avec les réalités sénégalaises.
«C’est un désastre que nous vivons actuellement. Qui pouvait imaginer cela dans ce pays ? Voir des enfants de rien de tout exposaient leurs parties intimes à travers les rues de Dakar. J’ai l’impression qu’ils ont perdu tout sens de pudeur. Sinon, comment comprendre cette nouvelle façon de s’habiller», s’insurge Madame Ndiaye née Fatou Diouf.
Rencontrée à la cité Scat Urbam de Grand Yoff, cette mère de famille (cinq enfants dont deux filles) n’a pas non plus manqué de dénoncer l’attitude de certains parents dans cette nouvelle façon de s’habiller les jeunes.
«Si, les jeunes s’habillent de plus en plus en tenues lascives qui, laissent transparaître leurs parties intimes, certains le font avec la bénédiction de leurs parents», dit-elle avant de poursuivre sous les regarde de sa fille cadette : «Les enfants n’ont rien à imposer sur leur mode d’habillement. C’est aux parents de prendre leur responsabilité. J’ai deux filles et c’est moi qui les donne de l’argent pour acheter leurs habits. Sur ce, je les ai clairement dit ce que je veux et attend d’elles : pas de bouts de tissu chez moi. Je crois qu’en tenant un langage clair aux enfants sur le respect des valeurs notamment sur l’importance d’une tenue correcte, ils finiront par accepter la réalité».
Abondant dans le même sens, Ouleye Keita déclare, «J’ai l’impression que le ciel me tombe dessus quand je vois les enfants surtout les filles s’habiller de la sorte. Il y’a vraiment de quoi à s’inquiéter. Je crois que le phénomène est beaucoup pire ici à Grand-Yoff (quartier populaire de Dakar, Ndlr). Il arrive même que je me pose la question de savoir si ces filles habitent avec leurs parents. Car, je ne peux pas admettre que quelqu’un laisse sa fille sortir de chez lui avec certaine tenue. Tout en sachant une fois dehors, c’est toi, le parent qu’on va insulter».
Cette femme résidant dans le populeux quartier de Grand Yoff, déplore également l’attitude de certains hommes dans l’éducation des jeunes. «Les hommes ne jouent pas leur rôle. Ils préfèrent laisser tout aux femmes et se mettre à l’écart pour ensuite rejeter tout dans le dos des femmes quand ça ne marche pas». Se faisant avocat des hommes, Mamadou Ndiaye, résidant à Guédiawaye indique pour sa part que l’absence des hommes dans certains débats au sein de leur famille est lié à leur position et non à un désengagement.
«Le devoir de l’homme est de tout faire pour subvenir au besoin de sa famille. On ne peut pas être partout à la fois. Les femmes doivent comprendre cela», explique-t-il avant de confier: «Je crois qu’il est temps que les parents, y compris moi-même, se ressaisissent et reprennent les choses en main. On ne peut continuer à laisser les enfants faire ce que bon leur semble».
«Il n’est pas possible de suivre sa fille partout où elle va»
Il faut tout de même signaler que cet avis sur la responsabilité des parents dans cette nouvelle façon de s’habiller les jeunes ne fait pas l’unanimité. Puisque d’autres comme Marie Sagna, mère de famille résidant à la Liberté 3 pense le contraire. Selon elle, les parents ont fait ce qu’ils pouvaient mais ce sont plutôt les jeunes qui ne veulent pas changer. «Dire que les parents sont les principaux responsables de cette situation, c’est méjuger la ruse des enfants notamment les filles. Et, je ne pense d’ailleurs pas que ce soit un problème de contrôle ou de surveillance du comportement vestimentaire des jeunes notamment les filles. Car, ça ne sert à rien. Elles font tout pour paraitre correcte surtout quand elles vont à l’école. Mais, une fois dehors, elles se métamorphosent. Il est temps qu’elles se ressaisissent. Elles doivent s’auto-éduquer et arrêter de vouloir tout copier sur l’Occident», explique Mme Sagna.
Avis que partage par ailleurs, Sophie Faye, la cinquantaine. «On ne peut surveiller les tenues des enfants. Parce qu’il n’est pas possible de suivre sa fille partout où elle va».
ALY KHOUDIA DIAO SOCIOLOGUE, «UNE DEFIANCE FACE A LA MORALE ET A LA RELIGION»
Interpelé sur la question, le sociologue, Aly Khoudia Diao n’est pas allé par quatre chemins pour reconnaitre que l’habillement des jeunes d’aujourd’hui pose problème dans la mesure où il exprime une tendance contestataire face à la «vieille garde ringarde et dépassée» qui symbolisait un conformisme par rapport aux normes en vigueur dans la société.
«Avant, on s’habillait correctement car, la conscience collective imposait un respect strict du «paraitre», encadré par la morale et la religion», explique M. Diao.
Avant de poursuivre, «Une mauvaise attitude, un mauvais comportement, une conduite déviante et marginale étaient considérer comme un échec des parents».
«Aujourd’hui l’habillement des jeunes marque non seulement sa démocratisation car personne ne fait même plus attention au port vestimentaire des jeunes à cause de la succession des modes et tendances, mais aussi par le simple fait qu’un «jean» est plus commode chez l’homme et la jeune femme car personne ne va se demander si il est propre, repassé et bien entretenu. En plus les modes «check down», «pinw», etc. ont l’avantage de réunir cette jeunesse dans une tendance «in» qui favorise tous les excès, mais aussi toutes les acceptations», ajoute-t-il.
Cependant, M. Diao précise par ailleurs qu’au-delà de cet aspect, l’habillement des jeunes d’aujourd’hui est surtout un signe d’anti-conformisme par rapport à tout, à l’état, aux parents, à la société, c’est une révolte, c’est une défiance à la morale et à la religion.
Mieux, il assure que c’est un appel à l’apparence, au physique, au sexe. «Les hommes éprouvent un besoin inouï de paraitre fort et puissant, bien bâti et capable de faire fantasmer les femmes tandis que l’autre côté, les femmes préfèrent mettre en valeurs leurs atouts et rondeurs pour bien paraitre et bien se vendre. Pour les uns comme pour les autres, il faut être à la mode, il faut être bel et sexy», explique-t-il.
Avant de conclure «Cela donne forcément naissance au boody serré, au «nda ngal» et autre «pathial» qui épousent la carrosserie des femmes qui apparaissent sacrément bien balancées. De belles et grosses fesses savamment incrustées dans un jean moulant réveillent nos instincts de mâle dominant et décuplent nos fantasmes. C’est connu. Et c’est un plaisir partagé car, c’est bon de contempler une belle silhouette tout comme de l’autre côté, c’est beau de contempler un beau male. Il faut simplement veiller à ne pas franchir les limites de l’indécence, sauf si…»