Le Procureur spécial près la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), Alioune Ndao, a été démis de ses fonctions, hier, en remplacement de Cheikh Tidiane Mara. Quid des raisons d’une telle décision en plein procès ? Enquête dresse ici quelques éléments de réponse.
Alioune Ndao n’est plus Procureur spécial près la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI). Il a été démis de ses fonctions hier. La nouvelle est tombée en fin de matinée obligeant le président Henry Grégoire Diop à suspendre l’audience avant même l’heure habituelle de la pause prévue à 13 heures. Sitôt annoncé, le limogeage a suscité beaucoup de supputations quant à ses raisons. Certaines sources interrogées par EnQuête avancent l’existence d’un conflit entre Alioune Ndao et sa tutelle, notamment le ministre de la Justice.
Le bras de fer qui a tout changé
Le désormais ex-Procureur spécial ne serait pas en odeur de sainteté avec le Garde des Sceaux depuis un certain temps. D’après nos sources, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est la décision prise par le parquetier de convoquer dès lundi prochain, l’ancien président du Sénat Pape Diop, l’ancien ministre de l’Economie et des Finances Abdoulaye Diop, Me Ousmane Ngom dans le cadre de la traque des biens mal acquis. Alioune Ndao envisagerait aussi de renvoyer en prison l’ex-Dg de l’Agence des aéroports du Sénégal (ADS), Mbaye Ndiaye ainsi que son épouse Ndella Wade. Des réquisitions avaient été envoyées dans ce sens à la Police judiciaire.
Il s’est trouvé qu’en prenant ces décisions, l’ex-Procureur spécial avait déjà fini de créer une pomme de discorde avec sa tutelle ou le gouvernement. Quoiqu’il en soit, les autorités n’avaient pas apprécié la convocation de Abdoulaye Baldé en pleine campagne électorale pour les locales. A en croire nos sources, Alioune Ndao avait été interpellé pour revoir sa position pour éviter au maire de Ziguinchor d’augmenter son capital de sympathie pour gagner les élections.
Il aurait rétorqué qu’il n’est nullement concerné par un quelconque agenda politique et que son souci était de faire son travail de magistrat. C’est la même réponse qu’il aurait servie après la décision prise de convoquer des personnalités de l’ancien régime, à quelques semaines du 15ème Sommet de la Francophonie et au moment où le Parti démocratique sénégalais (PDS) prévoit d’organiser une marche contre le régime.
Toutes ces raisons font croire à nos sources, qu’Alioune Ndao qui, soit dit en passant entretient depuis longtemps de bien exécrables relations avec le maire de Ziguinchor, a été perdu par sa propre stratégie. Certaines sources poussent le bouchon assez loin, se demandant si l’ex-Procureur spécial n’a pas tout planifié pour justement se faire limoger et d’éviter d’assumer un dégel dans la Traque des biens mal acquis. Certaines sources bien sérieuses estiment qu’il voulait être débarqué…
L’on évoque par ailleurs d’autres raisons, mais bien secondaires selon nos investigations, pour expliquer la chute du patron d’Antoine Félix Diome qui aurait aussi été emporté par les comptes de Singapour.
L’affaire des 47 milliards de Singapour, ‘’vraie’’ fausse piste ?
A la fin de la seconde instruction de l’affaire Karim Wade, le parquet spécial avait brandi un rapport d’expertise attestant que le fils de l’ex-président possédait dans ce pays un compte de 47 milliards de francs CFA. Avant même qu’il ne soit renvoyé en jugement devant la CREI, Karim Wade et ses avocats l’ont contesté en attrayant devant le tribunal correctionnel l’expert-financier, Pape Alboury Ndao, auteur du rapport. Celui-ci est accusé de faux mais aussi de tentative d’escroquerie à jugement. Des faits que l’ancien administrateur provisoire de DPW a toujours contestés. L’affaire est toujours pendante devant le tribunal correctionnel de Dakar.
Pour sa part Karim Wade, depuis le début de son procès et à chaque fois que l’occasion lui est donnée de prendre la parole, s’est fait un malin plaisir de demander les résultats de la commission rogatoire de Singapour. A plusieurs reprises, il a été recadré par le président de la Cour. Il a même fait l’objet de remontrances mais sans désemparer, Karim Wade réitérait sa demande jusqu’à même proposer sa collaboration pour le rapatriement des supposés fonds.
Tout en formulant sa requête, l’ancien ministre des Infrastructures clamait haut et fort que le plus petit centime ne sera découvert car le compte est inexistant. Et si l’on en croit nos sources, cette assurance et attitude de Karim Wade à remettre chaque jour sur la table l’affaire de Singapour avait fini par intriguer les autorités. Ces dernières auraient interpellé Alioune Ndao sur cette question à plusieurs reprises pour en avoir le cœur net. Nos interlocuteurs d’affirmer que l’ex-PS rétorquait toujours que le prévenu Karim Wade ‘’ bluffait ‘’ et que l’affaire de Singapour, ‘’c’est du béton’’.
‘’Alioune Ndao n’est pas pointilleux’’
D’autres raisons sont aussi avancées par certaines sources. Qui soulignent que les autorités qui s’intéressent au plus haut point à la traque des biens mal acquis ont jugé que M. Ndao ‘’n’est pas très pointilleux’’ dans les dossiers. Une attitude qui ne cesse de déteindre sur la procédure. C’est donc tout ce cocktail combiné qui a conduit au limogeage de Alioune Ndao, remplacé à son poste par le magistrat Cheikh Tidiane Mara, 36 ans d’expérience dans la Justice dont 17 ans (1996-2013) au Tribunal pénal international (TPI). Le nouveau Procureur spécial de CREI a la réputation d’être ‘’expérimenté et équilibré’’, témoigne-t-on au niveau de la magistrature.
Si la défense s’offusque de ce remplacement en plein procès, des juristes interrogés rassurent que rien ne changera à la procédure. Ceci d’autant que le substitut du procureur spécial, Antoine Diome a beaucoup joué dans l’instruction. Sans compter que son nouveau patron est réputé avoir une grande expérience en enquête financière.