Il a été dépeint par certains comme un déséquilibré mais force est de dire que, dans la gestion des affaires judiciaires pendantes devant la Crei, les faits et gestes de Alioune Ndao ont conforté ses détracteurs. Alioune Ndao, avec une hargne inquiétante, s’est révélé un électron libre qui n’avait cure des instructions de sa hiérarchie, au risque de gêner grandement le Président Macky Sall qui a fini par se révolter.
Alioune Ndao a été démis de ses fonctions de Procureur spécial près la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei). Il a été remplacé par Cheikh Tidiane Mara, un haut magistrat d’ailleurs d’un rang supérieur, qui a eu à officier notamment au Tribunal pénal international pour le Rwanda (Tpir). La nouvelle a surpris du monde dans les milieux judiciaires, y compris Alioune Ndao lui-même, surtout qu’un Conseil supérieur de la Magistrature (Csm) avait fini d’être tenu, il y a quelques jours de cela, sans qu’une telle mesure ne fût envisagée. Il aura fallu au Président Macky Sall et au ministre Me Sidiki Kaba, de procéder illico presto à une consultation à domicile des membres du Csm pour décider du limogeage de Alioune Ndao. En effet, le Chef de l’Etat et son ministre de la Justice ne supportaient plus de subir une situation que d’aucuns ont perçu comme une attitude de défiance du Procureur spécial.
Alioune Ndao a irrité son monde sur bien des dossiers judiciaires en instance au niveau de la Crei. Le zèle jugé excessif dont il faisait montre dans le traitement de certaines affaires avait fini par faire croire qu’il aurait des motivations autres que celles de faire passer la justice. Ainsi, se demandait-on dans certaines sphères du pouvoir si Alioune Ndao n’était pas dans une logique de sabotage. Alioune Ndao donnait avec insouciance du grain à moudre à ses détracteurs. Déjà que ses relations avec Me Sidiki Kaba étaient exécrables, mais le procureur spécial engagera un bras de fer épique avec le pouvoir politique.
Macky Sall finit par se révolter
Alioune Ndao avait tenu coûte que coûte à faire «coffrer» le maire de Ziguinchor, Abdoulaye Baldé ancien ministre d’Etat. La hiérarchie a eu beau essayer de faire comprendre à Alioune Ndao qu’une telle mesure était inopportune et contre-productive, à la veille des élections locales. Le ministre de la Justice a argué que jeter Abdoulaye Baldé en prison serait interprété comme une instrumentalisation de la justice contre un candidat, redoutable adversaire du parti au pouvoir. Il ne voudra point lâcher du lest et enverra des gendarmes pour cueillir Abdoulaye Baldé. Les pandores rentreront bredouilles car il avait été conseillé à Abdoualye Baldé de ne pas rester à son domicile. Il avait fallu des instructions écrites du ministre de la Justice à l’endroit du Procureur spécial, qui les avait d’ailleurs exigées, pour arrêter la machine contre Abdoulaye Baldé, le temps que les élections locales fussent terminées. A ces instructions écrites, Alioune Ndao avait tenu à répondre par écrit pour dire vertement à son «patron» qu’il reviendrait à la charge dès le lendemain du scrutin. Il tiendra parole et demandera le placement de Abdoulaye Baldé sous mandat de dépôt. La Commission d’instruction de la Crei passera outre de telles réquisitions pour inculper le maire de Ziguinchor en le laissant sous contrôle judicaire. Aussi, le procureur spécial, qui semblait revêtir une toge de justicier avide, a cherché à impliquer dans des procédures judiciaires les épouses de Lamine Faye, ancien Garde du corps de Me Abdoulaye Wade ou Ndella Wade, l’épouse de Mbaye Ndiaye, ancien Directeur général de l’Agence des Aéroports du Sénégal (Ads). Pour ce faire, il a exercé une forte pression sur des officiers de police judiciaire. Le Président Macky Sall ne voulait pas d’une telle démarche qui n’épargnerait ni les enfants ni les épouses des personnes mises en cause. Il en a été de même dans le dossier Tahibou Ndiaye, à l’occasion duquel Alioune Ndao s’est montré hystérique.
Entêtement dans l’évacuation de Bibo Bourgi
Le procureur spécial, une fois de plus, est passé outre les instructions du ministre de la Justice qui lui demandait d’attendre la fin du procès de l’affaire Karim Wade avant d’enrôler une nouvelle affaire en jugement par la Crei. Me Sidiki Kaba estimait que le président Henri Grégoire Diop et ses assesseurs sont assez occupés par la première affaire, qu’ils ne trouveront pas de temps pour en appeler une nouvelle. Cette attitude de Alioune Ndao a fini par conforter tous ceux qui, à sa nomination au poste de Procureur spécial, considéraient que cela procédait d’une véritable erreur de casting.
L’homme a une réputation de donner l’impression de n’être pas toujours en possession de toutes ses facultés mentales. D’ailleurs, il y a quelques semaines de cela, la rumeur a couru dans certains salons dakarois que Alioune Ndao avait failli en venir aux mains avec un de ses fils adultes. Dans l’affaire de l’évacuation sanitaire en France de Bibo Bourgi, il a systématiquement ignoré les instructions de sa hiérarchie qui étaient favorables à la délivrance d’une autorisation de sortie du territoire à Bibo Bourgi pour lui permettre de recevoir des soins médicaux en France. Il a eu à exiger des instructions écrites qui lui ont été données, pour ensuite passer outre. Il faut dire que ce comportement récurrent de Alioune Ndao avait été interprété comme celui d’une personne qui se sentirait presque intouchable.
Il avait plusieurs fois brandi sa démission du temps de Mimi Touré
Plus d’une fois, le Président Macky Sall a été dissuadé de limoger Alioune Ndao, de crainte que les procédures judiciaires en cours au niveau de la Crei aient à en souffrir, surtout que le procès contre Karim Wade allait s’ouvrir. On se rappelle que du temps où Aminata Touré exerçait la charge de ministre de la Justice, Alioune Ndao avait menacé, à plusieurs reprises, de donner sa démission.
Le chef de l’Etat a fini par refuser ce qui lui apparaissait comme un chantage et a mis fin aux fonctions de Alioune Ndao comme Procureur spécial près la Crei. Néanmoins, il ne faudrait pas s’étonner d’entendre dire dans certains milieux, que le Procureur spécial a été emporté parce qu’il aurait touché des intérêts supérieurs. Déjà, dès hier, les milieux de la Justice bruissaient du bruit qu’Alioune Ndao aurait «touché à des intouchables», ce qui justifierait son limogeage.