Le colonel Abdoulaye Aziz Ndaw peut bien dormir tranquille en attendant d’être appelé à faire valoir ses droits à la retraite dans quelques mois. En tout cas, ce n’est pas l’Etat du Sénégal qui va le traquer suite à son brûlot sur la Gendarmerie nationale. Selon le garde des Sceaux, ministre de la justice, «ce qui est prévu par le code militaire lui a été appliqué». Un point ! Me Sidiki Kaba confie dans l’interview accordée au groupe Sud Communication dont nous publions le dernier jet, qu’il appartient désormais au général Abdoulaye Fall d’ester en justice, s’il estime avoir été diffamé. L’ancien président de la FIDH est aussi revenu sur le procès de Karim Wade, la séparation des pouvoirs et les lois sur le gaspillage, le tapage nocturne, l’excision qui peinent à être appliquées.
Le brûlot d’Abdoulaye Aziz Ndao, contient de graves révélations. On n’a senti aucune issue judiciaire à ce dossier, sinon que l’auteur a fini de purger son arrêt de rigueur. Pourquoi il n’y a-t-il aucune suite judiciaire dans ce dossier ?
Nous sommes dans une société qui est régie par des principes de l’Etat de droit. La société sénégalaise protège tout citoyen contre la diffamation, l’injure, la menace et les sévices. Quiconque se sent menacé, le rôle de l’Etat notamment celui du Garde des sceaux, ministre de la Justice que je suis, est de veiller à ce tout citoyen ait la justice. Si vous vous estimez diffamé, c’est à vous de prendre la responsabilité de saisir les juridictions pour que votre honneur soit lavé. En ce qui concerne la personne concernée (le colonel, Abdoul Aziz Ndao), il lui reste encore quelques mois avant d’aller à la retraite, ce qui est prévu par le code militaire a été appliqué à son encontre. Il a purgé sa peine. Les autres développements qui sont en cours sont internes à un élément des forces de l’ordre qui a manqué au devoir de réserve et doit rendre compte. En ce qui concerne le mis en cause (le général, Abdoulaye Fall), c’est à lui de se substituer et réclamer justice.
Que dites vous de l’auto-saisine du procureur ?
Pourquoi faire ?
Mais pour éclairer l’opinion parce qu’il y a de graves révélations qui sont contenues dans les livres. Notamment de meurtre.
Ah ! Entre l’affirmation dans un ouvrage et les preuves produites, cela fait deux choses. Donc, avant d’engager une quelconque procédure, il faudrait au préalable en avoir la certitude absolue. Ce qui est inexistante. Celui qui est accusé (le général Abdoulaye Fall) doit pouvoir répondre.
Mais le concerné ne réagit pas et pourtant il est accusé de pratiques qui n’honorent pas l’un des plus prestigieux corps de la République ?
Poser lui la question. L’honneur de la République, de la Magistrature, de la Police et de l’Armée sont toujours saufs. Il peut arriver à un moment qu’un corps porte atteinte à cet honneur. Alors là, la réaction du corps, c’est de l’extirper. C’est de prendre la bonne décision.
Le Président Macky Sall a fustigé les gaspillages dont les Sénégalais font montre, notamment dans les cérémonies. Pourtant, il y a des lois contre le gaspillage, le tapage nocturne, l’excision, qui peinent à être appliquées. A quoi bon finalement de voter des lois si elles ne s’appliquent pas?
Un Etat doit affirmer son engagement à respecter la loi de l’Etat. Il est d’abord de l’honneur de l’Etat de respecter, l’honneur d’un Etat. L’Etat de droit respecte le droit de l’Etat sans évoquer la raison de l’Etat. Et dans ce cadre là on assure la protection des citoyens. Si nous protégeons un citoyen, nous nous protégeons nous- mêmes. Le citoyen doit avoir le sentiment qu’il peut être protégé contre l’Etat et contre qui que ce soit. Le recours à la justice contre l’excès de pouvoir existe. Cela veut dire que le citoyen peut se lever contre lui-même lorsqu’il estime que ces droits sont violés. Celui qui dit : allez le prendre, mettez-le là-bas, car j’étais sur la route et il ma coupé la route et qu’il mette l’arbitraire au service de l’Etat, il brûle le principe de l’Etat de droit. Il doit affirmer l’ensemble des principes qui fondent un Etat de droit. La parole de l’Etat doit être une parole de protection.
Où en est le dossier de la traque des biens mal acquis ?
La culture de la réédition des comptes doit être intégrée par tous les Sénégalais.
En tant défenseur des droits de l’homme, comment pouvez-vous accepter que la charge de la preuve soit inversée dans la traque des biens supposés mal acquis ?
Il ne faut pas oublier qu’il y a un système judiciaire avec des Cours et des Tribunaux. Et au sein de ces systèmes judiciaires, il y a une cour qu’on appelle, la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) crée en 1981.
Mais elle n’a jamais été appliquée.
Certes ! Mais, elle n’a jamais été abolie non plus. C’était une loi spéciale qui doit être abolie par une autre loi spéciale. Quand il a été dit que cette Cour n’existe pas, il a été rappelé à ceux qui le disent qu’il y a eu des actes qui ont été pris et qui ont montré la continuité. Maintenant, quel en est le contenu ? Le renversement de la charge de la preuve. Une juridiction quand elle existe, elle a une vocation. Dans ce cas, elle consiste à dire si le citoyen, qui a un train de vie sans commune mesure avec son revenu normal peut être interrogé pour dire cette apparence d’aisance, qu’est ce qui le justifie. C’est une matière assez délicate où il est difficile d’établir la réalité de l’accusation. La convention contre la torture de 1983 des Nations Unies, la convention de l’Union africaine sur la prévention de la torture, se sont inspirées de cette loi sénégalaise. Mais, cela ne signifie pas que lorsqu’une loi fait débat, que les discussions ont eu lieu pour qu’elle soit une loi qui puisse être le plus conforme aux attentes de tous les citoyens et de toutes les autorités. Ce qui est certain, cette loi est aujourd’hui fortement contestée par les défenseurs de ceux qui sont en proie avec la justice. Ce qu’il ne faut pas oublier, beaucoup d’organisations ont fait une prise de position qui peut être fondé au regard du fonctionnement normal de ce que peut être une juridiction où il y’a le double degré de juridiction.
Maintenant, c’est au regard de toutes ces critiques, de leur légitimité que les juges doivent prendre une décision. Qu’eux seuls, libres, avec leur conscience et le rapport de souveraineté avec la loi, vont nous édifier. Et nous attendons. Il faut peut-être de la patience. C’est en cela que je parle de l’incertitude du moment et qui n’est rien d’autre que la glorieuse incertitude du résultat judiciaire. Parce que tous, nous entendrons ce qui se fera, ce qui se dira et ce que sera la vérité judiciaire du moment.
Seulement, il n’y a que Karim Wade qui est en prison. Où en êtes-vous avec les autres dossiers?
Beaucoup de dossiers sont en cours. Ce procès soulève beaucoup de passions en raison de la qualité de la personne.
Ce qu’on peut en dire, c’est que les Sénégalais en seront édifiés lorsque nous aurons une décision de justice. Mais, vous avez pu le voir depuis bientôt trois mois. On ne peut pas dire qu’on n’a pas un système judiciaire où le débat n’a pas lieu. Les avocats font passer leurs messages et discutent leurs preuves âprement, avec beaucoup d’énergie et sans concession, et le Procureur se defend, de même que les avocats de l’Etat. C’est ça, le principe du contradictoire d’un procès de cette nature.
Que répondez-vous à ceux qui parlent de procès politique ?
La politique est néfaste dans la justice. Une justice politique est nuisible pour tous les citoyens. Je ne le soutiendrai pas parce que tout simplement elle se retournerait contre tous les citoyens. N’oublions jamais, et il faut le retenir, lorsque nous sommes au service d’une cause, il ne faut jamais le contextualiser, il faut le laisser dans la permanence, c’est ça l’Etat de droit.
Pour une bonne marche de la justice, il faut de la quiétude. Or, beauoup de tribunaux sont dans des situations de bail. D’autres sont implantés au centre des marchés, comme c’est le cas à Kébémer. Sans occulter la mutinerie qui a eu lieu dans la MAC de Tambacounda. Que comptez vous faire pour enrayer tous ces problèmes?
Trois types d’action: la première, la construction d’infrastructures. Depuis 1863, nous n’avons pas construit de prison au Sénégal (à St Louis). La seule que nous avons construite à Dakar, c’est celle de Rebeuss en 1929 qui ne peut contenir que 600 places.
Or, à l’heure actuelle, il y a près de 2200 prisonniers. Il faut dépasser tout cela à travers la construction de nouvelles infrastructures judiciaires, de nouvelles prisons pour une réponse à l’engorgement des prisons.
La deuxième action, c’est la formation en nombre suffisant de magistrats pour que les procès ne durent pas, pour que cela puisse se faire le plus rapidement, et pour que par la formation et l’expertise, l’on tienne compte de tout ce qui est prévu par le droit des detenus, des justiciables, des prévenus, des inculpés, des accusés, de manière à ce que nous ayons la meilleure justice possible.
Mais, il faut aussi, dans le cadre de la formation, assurer la formation des gardes pénitentiaires. Le président de la République vient de signer lors de la réunion du dernier conseil des ministres le mercredi passé (le 22 octobre, Ndlr) le decret portant création de l’école nationale d’administration pénitentiaire. Ce corps va être renforcé. La surveillance du territoire et la surveillance dans le milieu carcéral sont deux choses diffèrentes. Ce sont deux types de compétence qui ne signifient pas la même chose.
On doit éviter les types de problèmes qu’on a connus. Si l’on est bien formé, l’on évitera de commettre de certaines formes de bavures.
La troisième action, c’est la réforme des textes. Nous venons de supprimer les Cours d’Assises. Une des causes qui permet de rester pendant longtemps, cinq, voire six ans, sans être jugé et de béneficier un jour de l’acquittement.
Nous avons créé des chambres criminelles qui, dorénavant permettront de juger de façon permanente et régulière. Nous aurons donc, des delais beaucoup plus courts et une justice rapide.
Ces trois élèments confondus, nous permettent de dire que nous avons l’accès à la justice pour tous les citoyens. Nous aurons une justice de proximité parce que les tribunaux sont dans toutes les régions et dans tous les lieux où les infractions ont eu lieu mais, en même temps une justice moins chère parce que le temps que l’on fait pour se déplacer lorsqu’il y a appel ou pourvoi en cassation, tout cela est réduit en ce que les citoyens pourront rester sur place et le faire.
Mais, lorsqu’il y a des bavures, c’est que l’attitude de l’Etat doit être d’une certaine permanence.
Vous avez évoqué le cas de Tambacounda. Il faudrait montrer sa compassion pour toutes les victimes et à toute leur famille. Mais, ce qu’il faut surtout retenir, c’est la position qui a été la mienne, qui a consisté à ordonner immédiatement une enquête, et une arrestation provisoire de toutes les personnes mises en cause, et une autopsie pour savoir les raisons, les causes et les circonstances de la mort avant que l’enterrement ne soit ordonné avec la remise du cadavre.
Le reste, le juge prendra sa décision. Et ce qui importe en ce moment, c’est que l’impunité ne soit pas là. Qui que vous soyez, dans les forces politiques, dans les forces administratives, dans les affaires, le privé...que si vous avez maille à partir avec la justice, si d’aventure le dossier est consistant et que les preuves tangibles sont là, la justice peut entrer en voie de condamnation.
La séparation des pouvoirs est extrêmement importante dans une République. Comment est-ce que vous pouvez comprendre que c’est le président de la République qui préside le Conseil supérieur de la magistrature, ancienne revendication des magistrats pour une bonne indépendance de la magistrature?
Tout pays a un sytème judiciaire. A un moment aux Etats-unis, le débat en cours était de savoir s’il fallait se trouver dans la République des juges. Faudrait–il nommer les juges ou faudrait-il les élire ? Sur les 51 Etats américains, il y en a qui élisent leurs juges et qui font des campagnes pour dire qu’ils suppriment la peine de mort, ou la maintenir, ou parfois qu’ils vont corser les lois, ou qu’ils seront durs pour telle ou telle catégorie d’infraction. Donc ils cherchent et visent qu’il y ait une adhésion à la vision de la justice qu’ils vont imposer. Nous sommes donc une société qui a hérité du droit français, notre droit est d’inspiration française.La constitution de 1958 de la France parle de l’autorité judiciaire, par contre dans la quasi totalité des constitutions africaines, on parle de pouvoir judiciaire. Montesquieu dans L’esprit des Lois parle bien de cette séparation des pouvoirs. La séparation des pouvoirs dans l’esprit des lois n’est pas une opposition des pouvoirs. Le président de la République est élu sur la base du suffrage universel c’est-à-dire qu’il a une légitimité démocratique. Les représentants du peuple sont élus par les citoyens à travers le suffrage universel. Les juges sénégalais ne sont pas élus mais nommés.Mais leur indépendance est assurée parce qu’il y a des garanties. Vous ne pouvez pas changer un juge à la tête d’une juridiction sans sa consultation. Je dis bien un juge. Parce qu’on fait la confusion entre la magistrature debout et la magistrature assise. La magistrature assise concerne les juges et ils bénéficient du principe de l’inamovibilité. Les faire changer pour nécessité de service, il faut que ces services soient probants. Si tel n’est pas le cas , il ne peut pas être déplacé. Pour la magistrature debout, dans l’exercice de leurs fonctions même s’il y a un lien avec la chanchellerie, on dit aussi dans notre jargon “la plume est serve , la parole est libre”. Il est des situations où le Parquet peut dire que je vais réquérir contre les instructions de la chanchellerie. C’est comme ça qu’il faut comprendre cette indépendance. Mais, elle peut être renforcée dans le cadre du conseil supérieur de la magistrature où il y a les membres de droit qui sont les chefs de Cour, et les membres élus du conseil qui veillent sur les droits de l’ensemble des magistrats. Cela aussi est à renforcer. Avoir l’indépendance de la justice, c’est assurer aussi les conditions d’une bonne justice. Parce que le magistrat qui juge doit avoir une conscience qu’il juge sans aucune crainte.
Du point de vue de la Constitution du Sénégal, le président de la République préside le Conseil supérieur de la Magistrature du Sénégal, et le Garde des sceaux en est le vice-Président. Mais lorsqu’il doit y avoir un conseil de discipline, ni le Président de la République encore moins le Garde des sceaux n’assistent à cette réunion. C’est là une expression de l’indépendance des magistrats. La sanction qui est infligée est celle prise par les magistrats à l’encontre de leurs collègues lorsque des manquements sont relevés.
Vous êtes aussi sur le terrain de la politique. D’aucuns parlent de parachutage.
Dans ma ville ? Tambacounda ? Où je suis né? Où je me suis battu, où je me suis signalé?
Non ! On ne peut pas parler de parachutage. Je suis en plein dans la politique et elle m’apporte quelque chose d’important.
Aprés 35 ans de combat pour les droits de l’homme, pour la justice, ici et à travers le monde devant plusieurs juridictions, il y a une dimension qui manquait et que je viens de découvrir, c’est la dimension politique. C’est la recherche de l’autre, de la proximité, de la préoccupation de mes concitoyens, aller vers eux pour la construction de la cité, et faire en sorte que cette cité soit au service de tous, de l’intérêt général. Je vis un moment d’émotion quand je suis à Tambacounda, et un moment de plein épanouissement avec les Tambacoundois.
Pourquoi n’avez-vous dans ce cas pris part aux dernières Locales ?
Doit–on faire la politique pour nécessairement avoir tous les postes? Ce n’est pas ma conviction de la politique. Je pense que le partage, c’est cela le pouvoir. Si chacun est dans un espace en apportant du sien.
Nous avons à Tambacounda des acteurs politiques qui s’engagent. Après toutes les péripéties que connaissent des élections, un Maire élu et un Président du conseil départemental élu, ont aujourd’hui la charge de la satisfaction des préoccupations des Tambacoundois.
Nous les aiderons dans ce travail et que leur mandat soit plein de succès. A notre niveau, en tant que membre du secrétariat executif de l’Alliance pour la République, nous ferons en sorte pour orienter les préoccupations au niveau national et particulièrement sur le plan local.
Les problèmes de Tambacounda sont ceux du Sénégal. Mais on peut les résumer. L’électrification rurale et ensuite le manque d’eau est un problème parce que j’ai été jusqu’à Bandafassi où il y a la nécessité de faire en sorte qu’il y ait l’hydraulique rurale. Ce que les populations demandent également, c’est la santé. Lorsque j’ai parcouru certains départements de Tambacounda j’ai vu qu’il y a un manque de structures sanitaires. J’ai vu les élèves, les étudiants qui ont besoin d’université. Ils ont besoin d’un lycée parce que le premier lycée qu’ils ont eu ce n’est pas l’Etat du Sénégal mais c’est grâce à un privé. C’est Djily Mbaye qui l’a construit. Il y a une équité territoriale qu’il faudrait rétablir. Ils ont besoin de se sentir dans la communauté nationale.
D’aucuns disent qu’il faut se méfier des grands tribuns. Vous en êtes un. Faut–il avoir peur de Me Sidiki Kaba?
A mon avis, on ne peut qu’exprimer ses convictions. C’est ce qui est le moteur de mon combat dans la vie.