Ouagadougou, 3 nov 2014 (AFP) - La situation restait tendue lundi matin au Burkina Faso quelques heures après le coup de force de l'armée qui à coups de gaz lacrymogène et de tirs de sommation a chassé les manifestants contestant sa prise de pouvoir.
En fin de journée elle a renouvelé son engagement à une transition concertée avec toutes les composantes de la société burkinabè, après une rencontre avec les chefs de l'opposition.
Le nouvel homme fort du pays, le lieutenant-colonel Isaac Zida, poursuivait également des consultations avec les ambassadeurs de France et des Etats-Unis, représentant deux alliés de poids du Burkina, selon la télévision nationale.
La communauté internationale a largement condamné la prise de pouvoir par les militaires.
La journée a été marquée aussi par la mort d'un jeune homme qui manifestait devant la télévision nationale, tué par une balle perdue, selon l'armée, lorsque les soldats ont dispersé l'attroupement.
- "Vive le peuple" -
En début d'après-midi, des soldats du régiment de sécurité présidentielle, unité militaire d'élite dont M. Zida était le commandant en second, ont tiré plusieurs rafales en l'air et pris le contrôle du bâtiment de la radio-télévision nationale, la RTB, d'où ils ont chassé une foule de manifestants et évacué le personnel, selon des journalistes de l'AFP. La RTB avait repris ses émissions en début de soirée.
Simultanément, l'armée a investi la place de la Nation, tirant en l'air, lançant des grenades lacrymogènes et faisant fuir les milliers de personnes qui y étaient réunies, selon un journaliste de l'AFP. La foule n'avait cessé dimanche de grossir sur la place, lieu emblématique de l'insurrection populaire qui a poussé le président Blaise Compaoré à la démission vendredi
après 27 ans au pouvoir.
Jeudi, des milliers de personnes avaient incendié le Parlement et d'autres bâtiments officiels pour protester contre un projet de révision de la Constitution qui lui aurait permis de prolonger encore son pouvoir. Une trentaine de personnes ont été tuées dans les émeutes, selon l'opposition.
Dimanche, c'est contre son successeur autoproclamé que la mobilisation s'est poursuivie, les manifestants brandissant des pancartes "Non à la confiscation de notre victoire, vive le peuple!", ou encore "Zida dégage".
La haute hiérarchie de l'armée avait adoubé samedi le lieutenant-colonel Isaac Zida, 49 ans, qui a pris la tête du régime provisoire. Le nouveau chef militaire a d'emblée promis un processus "démocratique" associant toutes les forces vives de ce pays pauvre du Sahel comptant quelque 17 millions d'habitants, mais en restant flou sur les modalités de la transition.
- condamnation internationale -
Le coup de force militaire de dimanche sonne comme un défi aux Etats-Unis qui avaient appelé, quelques heures plus tôt, "l'armée à transmettre immédiatement le pouvoir aux autorités civiles". Washington, allié privilégié du Burkina dans la lutte contre les jihadistes au Sahel, a également condamné "la tentative de l'armée burkinabè d'imposer sa volonté au peuple".
La Constitution burkinabè, que les militaires ont suspendue, prévoit que le président de l'Assemblée nationale assure l'intérim en cas de vacance du pouvoir.
L'Union européenne a quant à elle appelé l'armée burkinabè à respecter les droits fondamentaux de la population, y compris celui de manifester pacifiquement.
Le président ghanéen John Dramani Mahama, qui dirige actuellement la Cédéao, a appelé "au dialogue" et à la retenue, pour éviter que "la situation déjà précaire" ne dégénère.
La médiation internationale tripartite au Burkina, conduite par l'ONU, l'Union africaine (UA) et la Cédéao, l'organisation régionale de l'Afrique de l'Ouest, avait évoqué le matin la menace de "sanctions".
Lundi à Addis Abeba, doit se tenir à la mi-journée une réunion du conseil de paix et de sécurité de l'UA consacrée au Burkina.
"Nous espérons qu'il y aura une transition conduite par un civil, conforme à l'ordre constitutionnel", afin d'"éviter pour le Burkina Faso la mise en place de sanctions", a déclaré l'émissaire de l'ONU pour l'Afrique de l'Ouest, Mohamed Ibn Chambas.
Après une discussion d'une petite heure avec l'opposition dans l'après-midi, M. Zida a tenté de rassurer, déclarant dans un communiqué qu'"un organe de transition sera mis en place avec toutes les composantes qui seront arrêtées par un large consensus, et dont la durée sera précisé".
Dans un communiqué distinct, l'armée a annoncé l'allègement du couvre-feu de nuit, s'étendant désormais de minuit à 5 heures du matin, au lieu de 22 heures à 6 heures.
- l'opposition dépassée par la rue -
Visiblement hésitante, peut-être divisée et dépassée par le rythme rapide des événements, l'opposition n'avait pas semblé exclure une entente avec les militaires.
Son chef, Zéphirin Diabré, n'a fait aucune déclaration.
Dans la rue, les contestataires ont montré leur déception, avant d'être chassés par l'armée.
"Notre lutte maintenant, c'est le départ pur et simple du lieutenant-colonel Zida", a lancé Abdoulaye Traoré, un chômeur de 33 ans, sur la "place de la Révolution", ainsi que l'a rebaptisée le peuple, comme dans les années 1980, à l'époque de Thomas Sankara.
Cette icône du panafricanisme, assassinée le 15 octobre 1987 lors du coup d'Etat ayant porté Blaise Compaoré au pouvoir, est toujours dans les mémoires des Burkinabè. Sa veuve Mariam Sankara a estimé dans un communiqué qu'en renversant le président, "la jeunesse burkinabé a réhabilité Thomas Sankara".
Elle a demandé que M. Compaoré, qui après sa prise de pouvoir avait mené une politique de "rectification" caractérisée par l'élimination d'opposants, réponde "de ses actes et de ses crimes de sang".
Loin de cette confusion, l'ex-président jouit de la tranquillité d'un refuge doré à Yamoussoukro, en Côte d'Ivoire voisine, dirigée par son ami Alassane Ouattara, où il est arrivé vendredi soir et où il loge dans une résidence d'Etat pour les hôtes étrangers.
Paris, ancienne puissance coloniale et premier bailleur de fonds du Burkina Faso, ne s'est pas encore exprimé sur les derniers événements, suivis de très près en France et dans plusieurs pays africains dont les chefs d'Etat envisageaient, comme M. Compaoré, de modifier leur Constitution pour se maintenir au pouvoir.
bur-de/jr