Le flou est total au Burkina Faso. Après l’annulation du projet de modification de l’article 37 de la Constitution du Burkina Faso devant permettre au Président Blaise Compaoré de briguer un troisième mandat en novembre 2015, suite à une folle journée d’émeutes dans les rues de Ouagadougou et des autres villes du pays, qui se sont soldé par l’incendie de l’Assemblée nationale et auraient fait plusieurs morts et blessés, l’armée par la voie du général de Division Honoré Traoré avait annoncé l’instauration de l’Etat de siège, qui a été annulé hier soir, et l’organisation d’élections dans une période de 12 mois. Alors qu’auparavant dans l’après-midi, le chef de l’Etat Blaise Compaoré, à travers un communiqué, décrétait la dissolution du gouvernement et de l’Assemblée nationale. Avant de déclarer : «je transmettrai le pouvoir au Président démocratiquement élu». Malgré tout, la question qui taraude toujours les esprits demeure : Qui dirige le pays ?
ans jamais qu’il n’y ait de vote à l’Assemblée nationale burkinabè, le «Non» l’emporte sur le «Oui» au sujet du projet de loi devant réviser la Constitution et offrir un nouveau mandat au Président Blaise Compaoré. Décidé, le Peuple par la désobéissance civile a pu s’imposer, empêchant la tenue de la rencontre des députés à l’Hémicycle. Chronologie d’une journée de fièvre à Ouagadougou.
Ambiance de fièvre
Hier à 7 heures, la Place de la Nation était noire de monde. Point de place pour se rendre vers l’Assemblée nationale. Depuis la veille, l’institution était d’ailleurs encerclée et protégée par les Forces de l’ordre. Pourtant, les populations semblent décidées. Elles scandent des cris hostiles au pouvoir en place et envers les députés de la majorité. De l’électricité dans l’air. La tension est perceptible dans toutes les ruelles. Tous les quartiers traversés, de Ghoughin jusqu’à la Place de la Nation sont en ébullition et en feu. Ça craint. Ça fait peur. Ça part et ça vole dans tous les sens. Partout, ce sont des barricades de pneus enflammés.
De part et d’autres, opposants à la révision de la Constitution et Forces de l’ordre se sont lancés des pierres, des cocktails molotov, et des gaz lacrymogènes. Ces scènes de guérilla urbaine sont colorées par la fumée noire du caoutchouc brûlé et les nombreuses flammes qui jalonnent les rues. Des chaînes humaines n’ont d’ailleurs cessé d’alimenter ces feux, en pneus et de consolider les barricades à l’aide de sacs de gravats. Le cœur de la ville de Ouagadougou ressemble à un enfer chaud.
10h 30mn, les manifestants réussissent à entrer à l’Assemblée nationale, malgré les nombreuses Forces de l’ordre dépêchées sur les lieux. L’Armée nationale devenue impuissante a laissé faire. Très vite sur place, ça dégénère. Finalement, les députés de la mouvance présidentielle ont été transportés manu-militari vers des lieux inconnus. «Les manifestants se sont introduits dans l’Assemblée nationale qui a été mise à sac. Les Forces de l’ordre se sont retirées des lieux, après avoir vainement tenté de repousser les opposants. Plus d’une dizaine de voitures garées dans la cour et à l’extérieur du bâtiment ont été brûlées, du matériel informatique pillé et des documents brûlés. Chaque bureau a été méthodiquement visité», renseignent des manifestants très euphoriques.
De l’autre côté de la rue où se tient le bâtiment, précisément à l’hôtel Azalaï où les députés ont été retenus depuis la veille, ces derniers ne seraient plus en sécurité. L’accès fermé depuis avant-hier est ouvert. Il faut aller voir. Mais à peine arrive-t-on à hauteur de l’espace hôtelier que l’on constate qu’un groupe de manifestants est déjà parti enflammer l’hôtel Azalaï. D’ailleurs dans la rue qui part de la salle de conférence Sembène Ousmane jusqu’à l’Assemblée nationale, ça court dans tous les sens.
A l’aide de gaz lacrymogènes, les Forces de l’ordre tentent de discipliner les manifestants. L’on apprend sur le coup la confirmation du saccage de l’Assemblée nationale par les Forces de l’ordre elles-mêmes. Point besoin de risquer d’aller vers ces lieux. La seule alternative était de se rendre à la radiotélévision burkinabè, la Rtb. Peine perdue. Sur cette route noire de monde, c’est aussi le chaos total. Les manifestants ont déjà pris d’assaut la télévision et réussi à débrancher l’émetteur. Certains annoncent un coup d’Etat. Trop tôt pour savoir si c’est une réalité.
Partout, l’on se sent menacé. Il faut fuir. La peur gagne la foule. Les actes de vandalisme se multiplient devant la police impuissante ou «complice», si l’on en croit certains manifestants.
Le putsch avorté de midi
La foule crie : «Blaise, c’est la fin. Blaise c’est la fin.» Ces jeunes armées de gourdins, de balais, de machettes et de toutes sortes d’outils de défense décident à ce moment précis de se rendre au Palais de Kossyam. Ils veulent déloger le chef de l’Etat Blaise Compaoré.
Très vite, les radios annoncent le repli du gouvernement. Comme une odeur de parfum, l’agréable nouvelle se répand dans Ouagadougou : les députés ne votent plus la loi incriminée. «Le gouvernement informe l’ensemble des populations de l’annulation de l’examen du projet de loi portant révision de la Constitution», indique un communiqué que passent en boucle les radios. Ce communiqué «appelle les populations au calme et à la retenue». N’empêche ! Aux alentours de 12 h 30, les manifestants scandant «Libérez Kossyam. Libérez Kossyam», tentent de marcher sur le Palais présidentiel.
Très vite, des tirs de sommation fusent de partout. Les Forces de l’ordre sont déterminées à empêcher les manifestants d’aller au Palais. Sur le coup, un manifestant tombe et meurt. «Il a reçu une balle réelle», crient-on dans les rangs après un moment de panique générale. La foule recule, mais ne démord pas. Jusque tard dans la soirée, elle guettait la moindre occasion pour se rebeller. Mais la garde présidentielle ne manque pas de tirer en l’air, juste pour faire peur. Dans tous les quartiers de Ouaga 2000, ces tirs nourris inquiètent.
Aux alentours de 13 heures, l’on annonce que le général Kwamé Lougue a quitté le camp pour se rendre chez le Moro-Naba. Selon les informations glanées, ce dignitaire de l’Armée est pressenti pour prendre le pouvoir et diriger une transition. Il serait donc parti recevoir les conseils de l’autorité morale avant toute action. On annonce qu’il fera une déclaration à la Place de la Nation ou à la Place de la Révolution. Jamais il ne se pointera. Peut-être a-t-il été dissuadé par le Moro-Naba.
En tout cas, du côté de l’opposition à Blaise Compaoré, ce n’est pas la bonne solution et ce n’était pas l’objectif de la journée. «Nous voulons qu’il termine son mandat et qu’il s’en aille. On ne veut pas de coup d’Etat…», ont fait savoir, à tour de rôle sur les radios locales, plusieurs opposants au vote de la loi.
Zéphirin Diabré, le chef de file de l’opposition, est formel : «Nous ne cautionnons pas la prise du pouvoir par la force. Nous voulons juste le respect de la démocratie.» L’artiste Smockey, l’un des chefs de file du Balai citoyen, est de cet avis. Il estime qu’en empêchant le vote, l’objectif du jour est atteint. Pour cela, il dit ne pas encourager les manifestants à se diriger vers le Palais présidentiel.
La promesse des saccages tenue
Il faut signaler que depuis des jours, les manifestants ont prévenu qu’ils mettront ce jeudi à sac les domiciles des députés de la mouvance présidentielle. Ils ont tenu leurs promesses. Car hier, malgré le recul de ceux-ci et l’abandon du projet de loi, les maisons de plusieurs députés de la majorité présidentielle ont été saccagées à Ouagadougou et dans les régions. Certains dont la vie était en danger ont été traînés manu-militari vers des bases militaires. C’est le cas du réputé député Apollinaire Ouattara, Gilbert Noël Ouédraogo, Fatoumata Diendéré et bien d’autres qui n’ont eu la vie sauve que grâce aux forces de l’Onu présents à Ouagadougou. Selon des sources bien informées, ils ont été déposés en hélicoptère sur la base aérienne militaire qui se trouve vers l’avenue Kwame Nkrumah.