Ousseynou Samb, enseignant de droit sur les réformes judiciaires: "La nouvelle réforme n’aura de sens que si elle est accompagnée de mesures de recrutements"
L’enseignant de la faculté des sciences juridiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Ousseynou Samb, a estimé que «la création de nouvelles juridictions doit être accompagnée du recrutement en nombre de magistrats et de greffiers ». Sinon dit-il, « ladite réforme n’aura aucun sens ». Il s’est longuement entretenu avec nous hier mardi 28 octobre 2014 sur cette question tout en faisant une genèse des différentes réformes judiciaires qu’a connues notre pays du président Abdou Diouf à Macky Sall, en passant par Abdoulaye Wade.
«La réforme n’aura de sens que si elle est accompagnée de mesures de recrutements en hommes, aussi bien en magistrats qu’en greffiers. En ce moment on aura le contentieux de Dakar éclaté en trois ou quatre zones. Le magistrat qui sera à Dakar va voir son volume de travail diminuer», soutient l’enseignant de droit.
«Et en diminuant son volume de travail par deux, on lui donne plus de temps pour mieux étudier ses dossiers. Et en ayant le temps de mieux étudier ses dossiers, il rend une décision excellente. Nous avons d’excellents magistrats mais avec le volume du travail, les magistrats peuvent facilement se tromper », poursuit-il.
Le professeur de droit est ainsi convaincu que «la création de nouvelles juridictions doit être accompagnée du recrutement en nombre de magistrats et de greffiers sinon la réforme n’aura aucun sens ». Il explique que les magistrats n’auront pas à bâcler leurs dossiers parce qu’ils auront moins de travail. « Aujourd’hui, la réforme qui a été votée hier (lundi 27 octobre 2014), du moins la loi 2014-22, supprime les tribunaux départementaux et les tribunaux régionaux qui sont remplacés par les tribunaux d’instance et les tribunaux de grande instance. L’intérêt de la suppression des tribunaux régionaux et départementaux réside dans le fait qu’en parlant de tribunal régional, on ne pouvait en avoir qu’un seul dans une région parce que la compétence du tribunal régional était circonscrit au territoire de la région», déclare-t-il.
De la même manière au niveau départemental, il explique qu’il ne pouvait évidemment pas y avoir qu’un seul tribunal avec la loi de 1984. Mais, avec la nouvelle configuration démographique du Sénégal où certains pôles sont beaucoup plus peuplés que les départements ou certaines régions, à l’exemple des Parcelles assainies, Keur Massar et Mbour qui ont un très fort contentieux, il était important aux yeux de M. Samb « de créer une pluralité de juridictions devant être plus proches des populations. Il fallait changer l’appellation de sorte que dans un même département, on pouvait avoir trois (3) tribunaux, de sorte que dans une même région, on pouvait avoir trois tribunaux qui ont les mêmes compétences qu’un tribunal régional ».
Avec la nouvelle réforme, renseigne-t-il, «on a la possibilité de créer un tribunal qui a les mêmes compétences qu’un tribunal régional à Keur Massar, aux Parcelles assainies ou à Mbour parce qu’on n’est plus lié par la région, c’est-à-dire le critère de création d’une juridiction n’est plus le territoire mais ça va être l’importance du contentieux ».
Toujours selon lui, «si on voit que dans telle zone le contentieux est important et que les populations sont assez éloignées du lieu où se trouve le tribunal, il devient nécessaire de créer un tribunal dans cette zone ». Et de poursuivre : « Les populations qui quittent les Parcelles, Keur Massar pour venir au tribunal régional de Dakar n’auront plus besoin de se déplacer. Quand vous habitez Diamniadio aujourd’hui il y a un contentieux que vous ne pouvez régler qu’au tribunal de Dakar, et avec le développement du pôle urbain de Diamniadio, si les choses marchent comme c’est prévu, il sera nécessaire d’y avoir un tribunal de grande instance ».
Adieu les cours d’assises, bienvenue les chambres criminelles
Une autre aubaine pour les populations est la suppression de la cour d’assises. « En 2008 on avait réformé, mais en 2014 on supprime purement et simplement les cours d’assises. En lieu et place on a créé des chambres criminelles au niveau des tribunaux de grande instance», fait-il remarquer. Mieux, «au lieu que les personnes soient jugées par sessions (la cour d’assises n’était pas une juridiction permanente, les sessions siégeaient une fois les quatre mois), c’est-à-dire que la cour d’assises ne pouvait siéger que trois dans l’année ».
Dans son développement, Ousseynou Samb a rappelé qu’on avait cinq (5) cours d’assises au Sénégal, portant le nombre de sessions à quinze (15). « Or, le contentieux criminel est assez volumineux. Aujourd’hui, les lenteurs que nous notons ne sont pas dues au traitement judiciaire des dossiers mais par rapport à la disponibilité des juges parce que lorsqu’on ne statue que par session », indique-t-il.
Aujourd’hui on a la possibilité d’organiser autant de sessions que l’on veut et dans toutes les juridictions. Les personnes qui sont arrêtées à Tamba ne sont plus déférées à Kaolack pour y être jugées, celles qui sont arrêtées à Louga ne sont plus déférées à Saint-Louis pour y être jugées, ils peuvent être jugées et à Saint-Louis, à Tamba, à Louga ou à Kaffrine. De ce point de vue, « les longues détentions ne se justifieront plus », signale Ousseynou Samb qui est convaincu qu’une « bonne justice est une justice rapide ». Avec cet éclatement, « si on parvient à créer trois tribunaux de grande instance à Dakar, vous verrez que le tribunal régional de Dakar va totalement être désengorgé», soutient-il.
Chronologie des différentes réformes judiciaires sénégalaises
Auparavant, Pr Ousseynou Samb a fait la genèse des différentes réformes du système judiciaire de la loi 65-61 du 21 juillet 1965 portant organisation du code de procédure pénal qui avait prévu trois types de juridictions de premier degré : les justices de paix, le tribunal de première instance, et la cours d’assises. Mais l’évolution de la société sénégalaise, la loi 84-19 du 2 février 1984 avait réorganisé les juridictions sénégalaises en se disant que les anciennes appellations ne correspondaient pas trop à notre réalité sociologique. « Il fallait donner à nos juridictions des noms que les Sénégalais pouvaient comprendre et appréhender. C’est la raison pour laquelle on a supprimé les tribunaux d’instance et les justices de paix pour les remplacer par des tribunaux départementaux et des tribunaux régionaux », nous apprend le juriste.
« En 1984, toutes les contraventions relevaient des compétences du tribunal départemental, et il y avait un tribunal départemental en principe dans tous les départements. Et en principe, tous les délits devraient relever de la compétence du tribunal régional. Mais, pour en désengorger le tribunal régional, on avait pris 45 délits qu’on appelait petits délits, qu’on avait affectés au tribunal départemental », laisse-t-il entendre. Cette nouvelle configuration fait que le tribunal départemental avait aussi bien des compétences en matière de contraventions qu’en matière de délits. Et tous les autres délits, outres les 45 délits étaient de la compétence exclusive du tribunal régional. Et en matière criminelle, la cour d’assises avait une compétence exclusive. «L’objectif qui était visé, c’était de faire de sorte que les juridictions soient accessibles. La justice, elle est rendue au nom du peuple sénégalais et pour éviter que les gens ne se fassent justice à eux-mêmes, il faudrait que quand ils ont un problème qu’ils puissent trouver une juridiction proche et qui puisse prendre une décision rapide. Voilà ce qui avait motivé les modifications en 1984 », note-t-il. Une autre réforme va encore intervenir. « C’est en 1992 que, avec la loi 92-28, qu’on avait décidé de supprimer la cour suprême pour l’éclater en différentes juridictions. Là aussi qu’est-ce qui était recherché ?
La cour suprême était une seule juridiction qui connaissait tout le contentieux au niveau supérieur. On disait aussi que pour une bonne administration de la justice, pour rendre le travail de la cour suprême beaucoup plus efficace, il fallait faire des spécialisations, et éclater la cour suprême », nous apprend Ousseynou Samb qui précise que la cour suprême avait été éclatée en trois juridictions, le conseil constitutionnel qui s’occupait du contentieux constitutionnel, le conseil d’Etat qui s’occupait du contentieux public et la cour de cassation qui s’occupait du contentieux privé. Pour lui, l’objectif qui était visé était de rendre ces juridictions plus autonomes et plus efficaces par ce qu’étant spécialisés. C’est dans cette logique d’ailleurs que la cour des comptes avait été encore créée « dans le souci de rendre la justice encore plus performante ».
Quand Wade chamboule tout !
Mais tout allait changer quand le président Abdoulaye Wade est arrivé au pouvoir. M. Samb nous rappelle qu’il avait recomposé la cour suprême mais en ne tenant pas compte de l’ancienne cour suprême. « Car, la cour suprême qu’on avait créé en 2008, ce n’est pas l’ancienne cour suprême qui regroupait l’ensemble des juridictions. Or, la cour suprême créée sous Wade ne regroupe que la cour de cassation et le conseil d’Etat. Le conseil constitutionnel est resté à part et la cour des comptes est restée à part », rappelle-t-il. Avant d’apporter cet éclairage : « Dans la cour suprême d’Abdou Diouf, il y avait et le conseil constitutionnel et la cour des comptes. C’est pourquoi quelque part, les gens ne sont pas retrouvés dans cette nouvelle cour suprême parce qu’on n’a pas compris ce qu’on a voulu. On a trois juridictions supérieures. Or, quand on dit juridiction supérieure, elle doit être une seule juridiction qui coiffe toutes les autres juridictions. Mais, on a aussi au niveau supérieur trois juridictions. Ce qui de mon point de vue n’est pas très pertinent ». Toujours selon lui, « il fallait soit recomposer l’ancienne cour suprême, avoir l’ensemble des juridictions supérieures au sein d’une même juridiction, et que comme avant la cour de cassation devient une chambre, le conseil d’Etat devient une chambre, la cour des comptes devient une chambre et le conseil constitutionnel devient une chambre. C’était ça la logique mais ça n’a pas été fait ainsi ».