L’érection du Centre de conférence de Diamniadio vient remettre au bon goût du jour le financement très lourd de la troisième édition du Festival mondial des arts nègres (FESMAN). Si d’après les chiffres officiels de l’Etat, ce complexe qui va abriter le prochain sommet de la Francophonie prévu en novembre a coûté un peu moins de 60 milliards de francs CFA, le FESMAN, ‘’managé’’ par Sindiély Wade, fille de l’ex-Président Wade, aura coûté 95 milliards de francs CFA, selon les derniers chiffres ‘’certifiés’’ par l’Inspection générale d’Etat.
L’analyse des procédures de financement du prochain sommet de la Francophonie au terme duquel l’ex-Président Abdou Diouf devrait prendre la retraite fait ressortir qu’une enveloppe globale de 59,6 milliards de francs CFA a été décaissée pour rendre possible l’érection du Centre International de Conférence de Diamniadio (CICD). Sur cette somme, l’Etat du Sénégal a pu soutenir un effort financier de 27 milliards de francs CFA. La Coopération turque a pu mobiliser 38 milliards, y compris un financement complémentaire de 10 milliards de francs d’Eximbank Turquie, remboursable par le contribuable sénégalais.
95 milliards CFA, aucune infrastructure
Si le Centre international de conférence de Diamniadio (CICD) va nécessiter pour les prochaines années des efforts de remboursement pour la partie ‘’dette’’, ‘’au moins un édifice est là visible’’, relève un architecte présent sur les lieux, qui s’est empressé de se demander ‘’quelle infrastructure’’ ( ?) pour les 95 milliards du Fesman’’. Réponse : ‘’Aucune en vérité’’.
A l’en croire, même pas un centre de formation d’artistes. Bien au contraire, l’ambassade du Sénégal à Washington continue encore d’enregistrer des plaintes et complaintes de citoyens américains qui ont pu offrir leurs services sans être payés. Les dettes dues aux entreprises françaises sont évaluées à 10 milliards de francs CFA. Un artiste a pu confier à EnQuête, faisant référence à un célèbre téléfilm sénégalais, que le FESMAN, c’est ‘’75 milliards (Ndlr, 95 en vérité) dans le vent’’.
En vérité, les 59,6 milliards de Diamniadio ne sont rien comparés aux chiffres du dernier Festival mondial des arts nègres (FESMAN). EnQuête a pu prendre connaissance de documents prouvant de façon indubitable que 74 milliards de francs Cfa sont inscrits dans les livres du Trésor. Compte non pris des participations de pays amis du Sénégal qui ont cotisé avant et même après l’événement culturel et des dernières découvertes de l’IGE. Dans ce méli-mélo, les livres du ministère de l’Economie et des Finances révèlent que 43 milliards CFA ont pu être ‘’injectés’’ dans l’événement grâce à des décrets directement pris par le chef de l’État.
Le récapitulatif des budgets inscrits dans les lois de finances fixe un total de 33 milliards de francs CFA prévus pour la tenue de la troisième édition du FESMAN. Ce pactole est éclaté sur trois ans. Ainsi, 5 milliards de francs CFA ont pu être décaissés en 2008 ; 10 milliards en 2009, 18 milliards en 2010. Mais ce n'est là que l'arbre qui cache la forêt. Car, entre les sommes prévues au départ et ce qui a été décaissé réellement, le fossé est immense. Avec ce que les techniciens des finances appellent des ‘’actes modificatifs’’ et ‘’autorisations d'engagements’’, on grimpe très rapidement sur l'échelle à milliards.
Aussi, peut-on voir dans le tableau récapitulatif ouvert au niveau du Trésor public, que la participation de l’État au FESMAN 3 est d'un montant de 74 174 949 698 de francs CFA sur la période 2008-2011. Nos sources qui ont pris connaissance des documents assurent que ‘’ces subventions de l’État accordées à la Délégation du FESMAN ne prennent pas en compte les autres ressources collectées à travers d’autres mécanismes comme le ‘’don’’.
Ces sommes ont été décaissées grâce à la procédure prévue par la chaîne des dépenses qui intègre l’ouverture d’un compte, l’approbation du ministre de la Culture qui fait l’engagement de crédit, celle du Directeur général de la Comptabilité publique qui valide en même temps que la Délégation générale du FESMAN. Ce sont ces opérations comptabilisées dans les livres des Finances qui s’élèvent à 74 174 949 698 de francs CFA.
Le Président Wade avait pompé 43 milliards en décrets d’avance
Pour atteindre ce plafond, il a fallu utiliser les subtilités qu'offre la loi, en abusant précisément des décrets d'avance. Les décrets d’avance permettent au gouvernement de majorer les crédits limitatifs et d'en ouvrir, sans demander l'autorisation du Parlement, qui les ratifie a posteriori au travers d’une loi de finance rectificative. Ces décrets sont généralement pris pour des cas supposés dictés par l'urgence.
Comme nous le révélions dans nos précédentes éditions, 8 milliards de francs CFA provenant de la défunte taxe sur les appels entrants ont pu être affectés à la Délégation générale du FESMAN, il reste que ceci n’est qu’une goutte d’eau par rapport à ce qui va suivre en 2011. Ainsi, si dans la loi de finances initiale de 2011, rien n’a été prévu dans le cadre du budget pour financer les activités du FESMAN qui avait baissé rideau le 31 décembre 2010, il reste que le Président Wade trouvera les moyens de signer deux décrets d’avance. Le premier décret d’avance, référencé 2011-258 du 21 février 2011 est de 20 milliards de francs CFA.
Il fait suite à l’accord du président de la République de prélever cette somme sur divers projets pour le financement du FESMAN. Mais le décret d’avance le plus problématique, du point de vue des montages financiers qu’il implique, c’est celui portant les références N°2011-2049 du 26 décembre 2011. Les sommes impliquées sont de 15 milliards de francs CFA. Il fait suite à la demande du Président Wade de proposer un ‘’arrangement financier’’, selon les termes utilisés par nos sources, pour la clôture des opérations du FESMAN. Il faut d’ailleurs préciser que ce décret d’avance qui a été approuvé le 26 décembre 2011 seulement, va passer à l’Assemblée nationale cette année, pour y être ratifié, n’ayant pas pu l’être, car la seconde loi de finance rectificative 2011 a été soumise au Parlement avant la signature du fameux décret.
Il s’y ajoute d’autres zones de mystère liées aux dons faits par certains pays.Le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Me Madické Niang, a pu faire le tour de plusieurs pays dont le Tchad, la Libye et le Soudan pour ramasser la participation de ces pays à la troisième édition du Festival mondial des arts nègres (FESMAN) qui avait baissé rideau. Ce, au profit de Sindiély Wade. Me Madické Niang s’y était rendu à bord d’un jet privé loué pour la circonstance.
A combien s’établissent réellement les participations de ces pays cités ? L’IGE a-t-elle pu toutes les retracer ? L’autre zone mystère réside dans les participations en nature (véhicules et autres logistiques) de pays qui n’ont pas voulu participer financièrement. Cette participation a-t-elle été quantifiée correctement ? Autant de questions aujourd’hui sans réponses.
Il faut espérer que le prochain Sommet de la Francophonie, qui a pris un bon départ avec l’inauguration de centre, n’emprunte pas en cours de route les mêmes travers…