La justice tchadienne est en train d’accélérer la machine judiciaire. Après avoir opposé un niet aux Chambres africaines extraordinaires pour le transfèrement de Saleh Younous et de Mahamat Djibril, la justice vient d’enrôler une procédure contre les deux précités ainsi qu’une vingtaine de gens présumés tortionnaires visés dans le cadre d’une instruction ouverte au Tchad en 2013. Une façon selon Me Assane Dioma Ndiaye de couper court aux prérogatives des Chambres africaines extraordinaires.
L’Union africaine risque d’échouer dans sa tentative de médiation entre l’Etat tchadien et les Chambres africaines extraordinaires (Cae) pour le transfèrement des co-accusés de Habré à Dakar. En effet, la justice tchadienne est en train d’accélérer la procédure. Elle a enrôlé cette affaire pour la première fois le 16 octobre dernier, selon Me Assane Dioma Ndiaye, un des avocats des victimes du régime de Habré qui donne cette information. Cette procédure, en plus d’une vingtaine de personnes présumées tortionnaires visées dans le cadre d’une instruction interne ou-verte au Tchad depuis 2013, concerne aussi les deux co-accusés de Habré, Saleh Younous et Mahamat Djibrine visés eux aussi par les Chambres africaines extraordinaires et dont le transfèrement sur Dakar continue de pourrir les relations entre Ndjamena et les Cae.
Les avocats des victimes, qui ne s’attendaient pas à ce scénario, ont dû répondre en catastrophe à cette audience le 16 octobre dernier pour plaider et obtenir un renvoi souhaitant avoir accès au dossier. A l’issue de cette audience qui a eu lieu avant-hier, la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Ndjamena a prononcé la mise en inculpation de 27 présumés complices de Hissein Habré dont Saléh Younous Alé et Mahamat Djibrine dit El Djonto. La Chambre d’accusation les a renvoyés par arrêt à la Cour criminelle de Ndjamena pour y être jugés conformément à la loi selon les termes de l’arrêt. Elle a aussi ordonné leur arrestation par une ordonnance de prise de corps parce que la plupart avait bénéficié de liberté provisoire.
Ces personnes, selon toujours l’arrêt rendu par la Chambre d’accusation, sont poursuivis pour tortures, barbaries, coups et blessures volontaires mortels, crimes, homicides volontaires, assassinats, escroquerie, vol… conformément aux articles 252, 253, 143, 239,240,241,149,150,et 151 du Code pénal tchadien.
«Si on nous rend un simulacre de justice, les victimes se réserveront le droit de saisir une autre juridiction»
Pourquoi cette précipitation de la justice tchadienne à vider ce dossier dans ce contexte de bras de fer ? Pourtant, dénonce Me Assane Dioma Ndiaye, cette plainte qui a conduit toutes ces personnes devant la barre de la Chambre criminelle de Ndjamena date de plus de 10 ans. «L’Etat tchadien n’a jamais voulu rien faire pour assouvir le désir de justice des victimes», déplore-t-il.
L’avocat des victimes croit savoir les raisons de cette précipitation. Pour Me Assane Dioma Ndiaye, l’Etat tchadien est en train de faire une fuite en avant. «Il est en train de couper court aux prérogatives des chambres en arguant que les lois nationales n’autorisent pas l’extradition de ses concitoyens. Mais, il oublie que c’est lui qui a signé la coopération judiciaire qui autorisait ce transfèrement», déclare Me Ndiaye.
Maintenant que les carottes semblent cuites, l’avocat ne crache pas pour autant sur ce procès. Il avertit ainsi la justice tchadienne. «Ce procès doit se faire selon les normes internationales. Nous voulons un procès équitable qui respecte les droits des victimes et ceux des accusés. Si au terme de ce procès on s’aperçoit que ça été une parodie de justice, les victimes se réserveront le droit de saisir une autre juridiction compétente pour solliciter un procès équitable», lance-t-il. L’Etat tchadien est donc avertit. Affaire à suivre.