La paire Karim-Cheikh Diallo était promise aux fastes et émargeait au registre des relations amicales les plus sincères. Au finish, elle se révèle être un échec. Chacun s’estime trahi. Flash-back sur l’histoire d’une relation.
Le témoin a cessé de sourire, lui qui indiquait dans son livre que son mot d’ordre «Si loin, si proche» lui tenait à cœur. Cheikh Oumar Lamine Diallo est à la barre des témoins. Les questions se succèdent et se ressemblent depuis trois jours. Il est mis au supplice par les conseils de Karim, cet ex-ami qu’il aurait «vendu» à la Crei. Face aux répétitions des avocats de la défense qui ne voulaient pas le lâcher, il est très énervé que tout le monde le considère comme une «taupe».
Caricaturé comme un informateur des enquêteurs, il constitue une «aubaine» pour la Crei : un lien entre un conseiller en communication et un «délinquant financier» renforce potentiellement la substance de la thèse du complot. D’autant que les affaires dans lesquelles Cheikh «le Burkinabè» a «balancé» sont désormais connues. De complice présumé, il est passé à un simple témoin. D’autant que l’ancien conseiller en communication de Wade-fils, dans le cadre de l’Agence nationale pour l’Organisation de la Conférence islamique (Anoci), a bénéficié d’un non-lieu. Les éléments rassemblés par l’enquête ne justifient pas la poursuite d’une action pénale contre lui.
L’histoire entre les deux hommes a commencé il y a plus de 14 ans. «A l’époque, je faisais la deuxième année de Droit», se rappelle Cheikh Diallo, jeune reporter au journal Le Soleil, qui s’est rapproché de Wade-fils, par hasard. Cheikh Diallo raconte : «Je ne les ai pas approchés. On s’est connus lors de la campagne de l’élection en 2000. Je faisais partie de l’équipe des journalistes qui suivaient le candidat Wade. J’étais au journal Le Soleil et chef du desk politique par intérim. Personne ne s’intéressait à lui, car les gens pensaient que c’était un candidat voué à l’échec.» Ils gardent toujours le contact, se rendent visite, s’appellent.
Une relation purement amicale, au début
Au début, leur relation était purement amicale. Quand Wade-père est devenu président de la République, les portes du Palais étaient ouvertes à Diallo. «Un jour même, à l’occasion d’un voyage, j’ai eu l’opportunité de fêter avec l’équipe des journalistes et la délégation, l’anniversaire du Président à quelques altitudes. C’était en présence de Karim (Wade). J’ai même écrit un livre sur lui», se rappelle le journaliste.
Avant même l’élection de Me Abdoulaye Wade à la tête de la magistrature suprême, les deux amis se sont vertigineusement rapprochés. L’ex-Dg de Cd Média confirme : «Karim Wade est un ami et un frère. On a eu des relations amicales avant l’élection présidentielle de 2000.» Alors que Karim Wade vivait en France avec son épouse française et venait régulièrement en vacances au Sénégal. Cheikh Diallo passait tous ses moments de vacances chez les Wade, au Point E.
Le journaliste ajoute même que leur proximité était telle que le fils aîné de Abdoulaye Wade lui a payé les frais d’études en France, sans doute à l’insu de tout le monde. «Karim Wade m’a aidé à partir en France pour mes études supérieures. Il m’a payé le billet d’avion et les frais d’inscription. A mon retour en 2004, j’ai été coopté à l’Agence nationale de l’organisation de la conférence islamique (Anoci) en qualité de chargé de communication où je suis resté jusqu’en 2009», reconnaît le journaliste.
Quelque temps après, les deux hommes se retrouvent en business. L’idée de mettre sur place un groupe de presse a été évoquée. De là surgit une relation professionnelle très saine entre Karim Wade et son désormais conseiller en communication. Est-ce que Wade-fils l’a enrichi ? Cheikh Oumar Lamine Diallo ne le précise pas dans les explications contenues dans le procès-verbal (Pv) de l’enquête préliminaire. Toujours est-il qu’il avoue que «la venue au pouvoir du Président Abdoulaye Wade a qualitativement changé ma vie, pendant quatorze ans».
A la barre, Cheikh Diallo est revenu sur la correspondance de mise en demeure que lui ont adressée les avocats de Karim Wade notamment Mes Demba Ciré Bathily, Seydou Diagne et Ciré Clédor Ly. Devant la Cour, le journaliste précise que, dans cette lettre, les avocats de Karim Wade lui ont imputé la paternité de Cd Média Groupe avant de lui demander de réclamer les actions, sinon la société risquerait de faire l’objet d’une expropriation. «C’est à partir de ce moment que j’ai senti que j’ai été lâché par mon ami. J’ai senti que j’ai été poignardé dans le dos. J’étais blessé, choqué et ahuri. Je ne parvenais pas à comprendre ce coup de poignard de mon ami. Je n’arrive pas à comprendre cette attitude», se souvient Cheikh Diallo. Il poursuit : «Karim ne m’avait jamais parlé de cette lettre qu’il a reçue du procureur. Je considère cela comme un acte déloyal de part de la personne avec qui on travaille et pour qui on travaille, on ne me fait pas ça. C’est un acte déloyal de la part de Karim. Lui et lui seul pouvait m’aider à apporter des éléments qui prouvent que la société Cd Média ne m’appartient pas.»
Comment cette relation amicale s’est-t-elle muée en partenariat d’affaires ? Cheikh Diallo ne le précise pas dans ses explications, à la barre. Toujours est-il qu’ils avaient une relation de confiance et que le 11 mai 2011, les deux amis se sont vertigineusement rapprochés en affaires. Ce jour, dans le bureau de Karim Wade, sis à l’immeuble Tamaro, une petite réunion s’est tenue entre Cheikh Diallo, la notaire Me Patricia Lake Diop et Karim Wade pour la constitution de Cd Média.
«Je m’étais senti poignardé par Karim»
Mais, l’homme, méthodiquement, démolit l’idée d’une machination. Il conteste l’idée selon laquelle il a obtenu non-lieu parce qu’il a chargé son ami. Pour lui, la vérité est «moins romanesque, moins cinématographique». «Je m’étais senti poignardé par Karim.» Il avoue que depuis le déclanchement de cette affaire, la roue n’a jamais tourné en sa faveur.
En tant que victime, il est convaincu d’avoir été visé pour des raisons indicibles. Lorsqu’il collaborait avec Karim Wade, Cheikh Diallo savait bien que ce moment arriverait. Il s’y était déjà préparé. Car il est établi que, pendant les quelques mois durant lesquels Cheikh Oumar Lamine Diallo conseillait Karim Wade, à cheval entre l’Anoci et Cd Média Groupe, quelques dizaines de contacts téléphoniques ont eu lieu entre les deux hommes. «J’ai eu une discussion d’homme à homme Karim en prison à Rebeuss. Il m’a demandé de tout assumer, de dire que tout le matériel de Cd média m’appartient. Mais, c’est justifier l’injustifiable. Car lui seul était en mesure d’apporter toutes les pièces de justification. Il sait d’où vient tout ça. En prison, Karim m’a demandé de continuer la publication du Pays au quotidien. J’ai dit non, comment il aurait payé à distance, puis qu’on était en prison, les frais de reportages, les frais d’imprimerie», raconte l’ami de Karim.
De complice présumé à un simple témoin, il est largement revenu sur les entretiens qu’il a eus avec Karim Meïssa Wade. Lui qui reconnaît qu’il y avait une relation de confiance entre lui et Karim Wade. C’est pourquoi d’ailleurs, il a accepté que ses initiales soient utilisées pour une société appartenant à autrui. Cheikh Diallo a rejeté la paternité de certains des propos contenus dans le procès-verbal de l’enquête préliminaire. A la question de savoir ce qui l’a poussé à changer de version, l’homme n’en dira rien.