Le nouveau code général des Collectivités Locales est passé comme lettre à la poste. En une demi-journée, les députés ont voté le document. Un record qui étonne plus d'un notamment, le spécialiste en décentralisation, Malick Diagne. L’ancien chef du Desk politique de Sud Quotidien dénonce «l'absence de débat de fond lors du vote des lois va fortement atténuer la portée révolutionnaire de cette réforme». Il revient sur la communalisation et la départementalisation ainsi que sur la véritable vocation des collectivités locales.
Dix huit ans après la réforme de 1996, pourquoi un nouveau processus de décentralisation ?
Ce nouveau processus baptisé Acte III la décentralisation correspond manifestement à une option du président de la République, de la territorialisation des politiques publiques, comme il l’a du reste annoncé pendant la campagne électorale et lors des Conseils des ministres décentralisés de Tambacounda et de Matam. Cette réforme s’inscrit dans une logique globale de remise en cause de l’organisation administrative du Sénégal. Selon l’exposé des motifs, la loi votée à l’Assemblée nationale la semaine dernière énonce une volonté irréversible de construire le renouveau de la modernisation de l’Etat à travers une décentralisation cohérente dans ses principes et performante dans sa mise en œuvre. C’est une option de refondation de l’action territoriale de l’Etat
Que prévoit le nouveau Code des Collectivités locales ?
La grande nouveauté, c’est la suppression des Conseils Régionaux, l’érection du Département en Collectivité locale et la communalisation intégrale. Le Département sera une Collectivité locale à part entière. Les 370 communautés rurales vont devenir des communes de pleine exercice. C’est une remise en cause totale de la réforme de 1972 à l’origine de la création de la Communauté rurale et des lois de 1996 qui ont érigé la Région en Conseil régional. La remise en cause concerne la nature même de l'organisation politico-administrative héritée de ces deux réformes.
L’architecture institutionnelle de 1996 était composée de trois niveaux de collectivités locales (la Région, la commune et la Communauté rurale, Ndlr) en plus de la Commune d’arrondissement qui était un niveau intermédiaire. Désormais, il y aura seulement deux niveaux de Collectivités locales : le Département et la Commune. En apparence, les choses sont simplifiées. En réalité, cette réforme va accélérer le processus d’émiettement et de morcellement du territoire national en Collectivités locales.
Le Sénégal va se retrouver avec près de 600 Collectivités locales sur une superficie de moins de 172.000 Km2. En matière de morcellement du territoire national, nous sommes devenus les champions en Afrique, exception faite du Mali.
Il faudrait cependant se féliciter du fait que le nouveau Code général des Collectivités locales fait un clin d’œil aux citoyens en consacrant un titre à la participation citoyenne. On relève en effet une dizaine d’articles de loi qui insistent de façon symbolique sur la participation citoyenne. Le législateur n’autorise pas encore le référendum local et le droit de pétition pour les citoyens, comme on le fait un peu partout dans le monde maintenant avec les lois sur les libertés locales et les responsabilités citoyennes qui reconnaissent aux citoyens la possibilité d’initier des procédures de référendum local et de pétition sur des sujets d’intérêt communautaires. Mais, c’est un début et le fait que l’on reconnaisse déjà le principe de la participation citoyenne est en soi une révolution.
N’est-il pas prématuré pour le Sénégal de parler de référendum local et de droit de pétition ?
Cela dépend de la posture où l'on se trouve. On peut considérer qu’il est prématuré de parler de lois sur les libertés citoyennes. Mais tout compte fait, le Sénégal a atteint un niveau inégalé de maturité politique dans la sous-région avec maintenant des transitions démocratiques apaisées et des élections régulières et transparentes avec souvent zéro contestation. C’est à mettre à l’actif des citoyens qui aspirent à beaucoup plus de démocratie. Régulièrement, vous voyez des pétitions circuler dans certaines localités pour obliger le maire à aller dans le sens voulu par les initiateurs. Malheureusement, cela n’a aucune valeur juridique parce que ce n’est pas reconnu par la loi. Le temps est peut-être venu d’encadrer le droit de pétition par une loi s'il le faut. De même, on peut aujourd’hui valablement faire confiance à ces mêmes citoyens en leur donnant le droit d’initier des référendums locaux consultatifs s’ils jugent qu’on doit pouvoir les écouter sur des questions d’intérêt public local. Dans les pays où le référendum local et le droit de pétition sont expérimentés, les lois sur les libertés et les responsabilités citoyennes ont beaucoup contribué à pacifier les relations entre les citoyens et les élus locaux. Parce que c’est vrai qu’une fois élus pour un mandat de 5 ans, les Exécutifs locaux ont tendance à ne pas se soucier de ceux qu’ils représentent durant leur mandat. C’est un des avatars de la démocratie représentative. Aujourd’hui, on ne peut plus faire l’économie d’un débat sur notre système de représentation politique.
Quand cette réforme va-t-elle entrer en vigueur, ne risque-t-on pas d’assister à ce qui s’est passé à la première année de la réforme de 1996 ?
Le nouveau Code général des Collectivités locales va entrer en vigueur dès après sa promulgation. Les Conseils départementaux vont se mettre en place aussitôt après les élections locales de juin 2014, de même que les nouvelles Communes issues des Communautés rurales et des Communes d’arrondissement. Vous avez raison de faire un parallèle avec ce qui s’est passé en 1997, en relevant notamment les difficultés nées de l’installation des communes d’arrondissement et des Conseils régionaux. Sous l’angle de la communalisation intégrale, nous allons vers une généralisation de la fracture territoriale avec une aggravation des inégalités sociales. Pour vous donner un bref aperçu, une ville comme Dakar va se retrouver avec un budget de 30 milliards là où les communes qui étaient anciennement des Communautés rurales vont avoir de la peine à mobiliser des ressources de 40 millions, voire 30 millions. Dans un contexte de transfert de compétences où l’Etat n’intervient plus, cela vous donne une idée précise des inégalités que l’on va avoir dans l’offre de services de proximité.
A moins que le Gouvernement n’intervienne grâce à des instruments adaptés de péréquation pour contrebalancer. Or sur ce plan, il faut reconnaître que l’Etat du Sénégal n’a pas une culture de péréquation. D’ailleurs, le budget du ministère des Collectivités locales connaît une baisse en 2014. C’est vous dire….
Le Nouveau Code des Collectivités locales a été voté en une demie journée à l’Assemblée nationale . Qu’est ce que cela vous inspire ?
En 1996, le vote des textes de loi de la décentralisation a mobilisé l’ensemble des députés sur une longue période. Quelque 500 amendements ont été faits entre la Commission des lois et les plénières. En ce qui concerne les réformes de l’acte III, les lois ont été votées en une demi-journée. L’Assemblée nationale n’a pas joué le rôle que l’on attendait d’elle sur une réforme qui mobilise tout le Sénégal depuis plus d’un an maintenant. Or, sur cette question précise, on attendait une plus grande liberté des députés dans l’affirmation de leur pouvoir législatif. Le nouveau Code général des Collectivités locales aurait pu nourrir un débat intéressant à l’Assemblée nationale, d’abord parce que les députés de cette législature n’avaient pas le droit de faire moins que leurs devanciers. Ensuite parce que cette réforme touche à l’essence même et aux fondamentaux de notre organisation territoriale telle que nous l’avons héritée des Présidents Senghor, Diouf et Wade. Enfin parce qu’on annonçait une réforme révolutionnaire qui a fait l’objet d’une large campagne d’explication à travers une caravane de sensibilisation C’est la première fois au Sénégal et dans la sous région, on vote des lois de la décentralisation en une demie journée, sans un débat de fond. Certains diront que c’est un fait inédit qui annonce un recul net de la démocratie parlementaire à mettre à l’actif de cette législature. C’est vrai que l’absence de débats de fond le jour du vote du projet de loi va fortement atténuer la portée révolutionnaire de cette réforme
Est-ce que le vote du projet de lois va clore cette réforme ?
Le vote du Projet de loi est le premier jalon de cette réforme. Il revient au Président de promulguer la loi avant sa publication dans le journal officiel. Après, la partie réglementaire va suivre. Elle concerne les décrets d’application, les arrêtés et les circulaires ministériels qui vont préciser les modalités d’application. Pour cette partie, l’Assemblée nationale ne sera pas mise à contribution puisque les décrets et les arrêtés ne font pas partie de son champ d’application. L’initiative de la partie réglementaire revient au président de la République et au ministre de la Décentralisation chargé des Collectivités locales.
Que faut-il retenir de cette réforme ?
Le Sénégal a des problèmes pour aller au-delà du simple cadrage politique et institutionnel. La question de la vocation de nos Collectivités locales est fondamentale. Elle est même essentielle si on veut réussir nos politiques de décentralisation. Dans la plupart des cas, nos municipalités fonctionnent comme des permanences de partis politiques avec des dépenses de fonctionnement très élevées, un personnel pléthorique et sans qualification dans la plupart des cas, des pratiques municipales en déphasage avec le grand cadrage macroéconomique national. Tant qu’on ne fera pas de nos Collectivités locales des entités viables capables d’impulser le développement économique et social au même titre que l’Etat, le problème subsistera. Pour remédier à tout cela, il aurait fallu redéfinir clairement la vocation de nos Collectivités avec un cadrage qui définit de façon précise les règles du jeu. Ce n’est pas actuellement le cas
A un moment, il était envisagé d’élire le maire au suffrage universel direct, des députés avaient l’intention de déposer des propositions de loi à l’Assemblée. Où en est-on?
Cette initiative avait été envisagée avant d’être abandonnée en cours de route. Or, c’est un débat intéressant parce que les Exécutifs locaux sont les seuls à être élus au suffrage universel indirect, contrairement aux députés et au président de la République. Ce système a été institué pour favoriser la gestion collégiale et éviter l’hyper présidentialisation de nos Collectivités locales. Il faut aujourd’hui interroger nos pratiques politiques pour voir si effectivement ce système a produit les résultats attendus. Je constate, comme beaucoup d’autres, que malgré tous les verrous mis en place, l’hyper présidentialisation est toujours présente. La gestion concertée n’est pas une règle dans nos Collectivités locales, mais une exception. Les Exécutifs locaux s’accommodent très mal du principe de gestion concertée et collégiale.
Cela ne renvoie-t-il pas à la question du profil des maires? Certains trouvent d'ailleurs que la loi en la matière est trop laxiste. Qu'en pensez-vous ?
Le Sénégal a opté pour la démocratie représentative. Cela veut dire que la légitimité appartient au peuple qui peut la conférer à qui il veut. Un maire est légitime parce qu’il a été élu par les électeurs. Dans un tel système, il est impossible de dénier la légitimité à un maire qui a été élu par les populations, même s’il ne sait ni lire, ni écrire. La constitution sénégalaise en fait même un point d’honneur en mettant le suffrage universel au dessus de tout.
Maintenant, il y a matière à réflexion parce que notre démocratie a atteint un niveau tel qu’un maire peut se retrouver avec un budget de 30 milliards, en plus d’un personnel de plus de 1000 employés à gérer avec des compétences larges qui lui ont été transférées. Dans ces conditions, on ne peut pas impulser une vision, si on n’a pas le niveau pour comprendre les enjeux. Aujourd’hui, la gestion de nos Collectivités locales est devenue une affaire complexe qui appelle une expertise pointue et des pré-requis intellectuels. Malheureusement, il n’y a pas encore d’ouverture avec le nouveau Code général des Collectivités. Le minimum exigé pour un maire, c’est de savoir lire et écrire. On verra à la pratique ce que cela va donner.