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Sud Quotidien N° 6433 du 13/10/2014

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Horizon 2017... Tours, barres d’immeubles, émergence...: Dakar, le piège des tentatives géantes
Publié le mardi 14 octobre 2014   |  Sud Quotidien


Macky
© aDakar.com par DF
Macky Sall a procédé à la pose de la première pierre de la cité de l`émergence
Dakar, le 23 Septembre 2014- Le président Macky Sall a procédé à la pose de la première pierre de le cité de l`émergence. D`un coût global de 17 milliards de Fcfa, la cité de l`émergence va abriter 17 tours et sera bâtie sur le site de l`ex garage "Pompiers".


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Qui ne risque rien n’a rien, entend-t-on souvent dire. A 53 ans, Macky Sall est un jeune président. Un homme qui a sans doute une seule obsession : construire un Sénégal nouveau et plus prospère. Dans cette démarche où se mélangent les exigences d’une bonne démocratie et la réalisation des objectifs fixés pour le mandat, un obstacle majeur lui fait face : le temps. Dans un continent en mal de véritables leaders, les présidents charismatiques et pratiques se comptent désormais au nombre de leurs réalisations. De Kigali à Dakar et de Kinshasa à Nairobi, la nouvelle Afrique des bâtisseurs prend forme. Chacun veut ses tours, ses barres d’immeubles, son aéroport ou son nouveau port. Géante tentation, vous avez dit ! Le Sénégal n'est pas en reste. Il veut être dorénavant perçu comme un beau reflet du monde de demain. Un univers de buildings quoi que cela coûte.

Face à la crise et aux difficultés quotidiennes de la vie, les jeunes présidents ne manquent pas d’audace et d’envie dans la nouvelle Afrique en esquisse. De Kagamé à Faure Eyadema, jusqu’à Macky Sall, chacun joue de ses projets et de sa vision. Dans la pénombre d’un Afrique qui a du mal à décoller, ils aiguisent leurs stratégies pour donner une autre image au continent. Vous avez dit émergence. Le mot fétiche leur appartient.

A Dakar, comme dans le reste du pays, le nouveau mot à la mode pour le président et ses équipes est sans conteste : l’émergence. Quoi que cela puisse coûter. Simple trouvaille d’une équipe d’experts ou slogan de campagne, quel Sénégalais n’a pas entendu parler de ce mot ? Mais au-delà du concept, il s’agit d’aller traduire tout ce vocabulaire savant en mélange de réel et de concret. Par des projets réalisables dans les délais raisonnables et visibles par le grand nombre. Cela suppose aussi, quand on parle d’émergence, d’aller au-delà des espaces géographiques traditionnels autour de Dakar, pour bâtir un pays neuf et non et simplement, une ville neuve.

Le président Macky Sall a annoncé au mois de mai, la construction, de 28 tours sur le site abritant la gare routière "Pompiers", à Dakar. Un projet immobilier de 28 tours de 10 étages chacune, le défi est géant pour ne pas dire gigantesque.

Emergence ! Oui ! Mais, faudrait-il les réduire au seul fait de finir l’autoroute à péage, sur Diamniadio, l’Aéroport Blaise Diagne, le futur siège de la réunion de la Francophonie en novembre ? En décidant de construire plus d’une vingtaine de tours à Dakar et ses environs quand le tourisme ne fonctionne plus, faute de renouvellement de l’offre et d’adaptation à la nouvelle demande de métier, qui en demande tout le temps. Construire et concevoir par nous-mêmes, tout l’enjeu aussi est là. Il s’agit aussi d’aller au-delà du saupoudrage actuel de nos économies.

Quand les affaires aussi sont un peu en berne parce que l’occident n’arrête pas de traverser depuis une décennie, une des crises monétaires, financières et par delà économiques de ces trente dernières années. Dans ces conditions comment le Sénégal, à moins de vendre une bonne partie du pays aux Chinois et aux Indiens, peut-il se sortir de la situation, nantie d’une croissance de 5% ou plus ? Aujourd’hui, on parle du Maroc. Bel exemple de la coopération sud-sud initiée par nous-mêmes. Mohamed VI est un jeune président qui a comme ambition de repositionner l’économie du continent sur l’échiquier mondial.

Le pays a de la ressource, mais quel pays stable soi-disant sur le continent n’en a pas. Il faut certes de l’audace, mais aussi et surtout du réalisme. Le gigantisme des projets a certes permis à la Chine de faire le grand barrage des Trois gorges, mais avec les conséquences que l’on connait. Le Barrage d’Assouan n’a pas fait de l’Egypte, un pays émergent malgré les efforts gigantesques des années 1950-1960-70. Alors l’émergence par les tours, n’est-ce pas le chemin du plus grand bluff auquel on devrait assister, même le pays est fort d’avoir négocié avec ses partenaires un confortable panier de plus de 3000 milliards Fcfa.

Macky est certes un homme audacieux, mais l’imagination des grands hommes pour l’histoire, a été souvent construit au péril de leurs ambitions partisanes et la logique des mandats qu’ils cherchent auprès de leurs électeurs et du peuple. Wade, Président voulait garder son parti, le Pds, à la tête du pays pendant cinquante ans à travers ses réalisations infrastructurelles, son autoroute, son aéroport international et l’héliport de Touba. Si Macky Sall veut faire la même chose sans intelligence, la voie d’entrée est libre, comme celle pour la sortie.

NOUVELLES FOLIES URBANISTIQUES - LA VILLE SE PARTAGE

Derrière les grands mots, se cachent souvent des idées et un grand dessein pour un pays et un pays. Mao Tsé Toung avait inventé, avant la Révolution culturelle, le Grand bond avant, sur la période 1958-1966. La Chine en a payé longtemps la note quand il a fallu solder les comptes de cette politique qui voulait mettre en pratique deux notions essentielles du développement chinois avec un critère de choix : l’agriculture comme base, l’industrie comme facteur dominant.

Dans l’Union soviétique de Staline, le choix pour une industrie lourde dominante n’aura fait qu’accélérer « la Course aux armements » avec pour conséquence dans le monde de la guerre froide, une autre forme de diplomatie fondée sur le jeu des rôles et des forces. Bienvenue dans « L’équilibre de la terreur ». Aujourd’hui, pendant que l’argent n’a jamais été aussi bas dans sa valeur, que la crise des subprimes aux Etats Unis a montré les limites du système bancaire et des modalités de prêts aux couches moyennes pour l’accès à la propriété et au logement, que valent toutes ces sommes investies dans l’immobilier et le Btp ?

Dans le genre, la mesure prise l’année dernière par le gouvernement de baisser le coût du loyer en corrigeant les surfaces et adaptant le coût à la réalité économique du pays, a fait des heureux, mais bute encore sur la mauvaise volonté de certains Sénégalais à obéir à cette mesure salutaire et très appropriée pour le moment.

Alors si les nouvelles tours construites à coup de milliards de Fcfa au portail du centre ville ne viennent se greffer au dispositif que pour ajouter à la confusion d’un secteur dans lequel l’Etat a encore bien du mal à faire le ménage, cela ne servirait à rien. Dakar pour l’essentiel sera et restera une ville chère pour les affaires, au premier desquelles l’accès au logement où un loyer d’affaire à usage commercial. Pour profiter des avantages liés à son statut de Pays les moins avancés (Pma), le Sénégal a souvent revu sa position par rapport aux avantages que lui offrait cette situation.

Mais, ne dites pas aux Sénégalais qu’ils habitent un pays pauvre. Aujourd’hui, le seul mot qui tienne dans ce pays, reste l’émergence. Belle idée. Cependant quels sont les moyens humains, financiers, les sacrifices dont sont capables aujourd’hui, les Sénégalais pour arriver à prouver au monde, les signes de cette émergence ? Bien malin est celui qui saurait répondre à cette équation. L’émergence ne se décrète pas pense le grand nombre. Et, ce n’est pas simplement en en édifiant des tours, qu’on y sera.
Le développement est une affaire de temps. Il demande, explique l’économiste François Perroux, « la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population… » Cela, à un moment donné de son évolution. Il demande aussi, justifie Wilfried Rostow, « La maturité et les conditions préalables au décollage… » Toutes choses dont Macky Sall pour des raisons de temps évidentes de calendrier ne se soucie pas et qui risque de constituer les freins à son take off attendu par tous malgré tout. Le temps avait-on dit. Tout le monde manque finalement.

LE SENEGAL SUR LA CARTE : UN LABORATOIRE SUR LES PERSPECTIVES URBAINES DEVENU UNE NECESSITE

Si Macky Sall veut réussir son pari de faire du pays une aire généralisée d’émergence, l’heure est arrivée d’inaugurer avec les chercheurs, un véritable laboratoire de recherche sur les perspectives urbaines. Il ne faudrait pas rater cette étape. Mais pour cela, au sein de ce pouvoir naissant, deux mots retiennent l’attention : rupture et volonté de signifier quelque chose au bout. L’enjeu est de taille. Parce que les deux concepts collent à s’y méprendre aux véritables sous-entendus depuis la composition du dernier gouvernement de Macky Sall dirigé par Mouhammadou Dione.

Après les années difficiles de la période post-indépendance et ses plans, l’heure est aussi venue pour la génération d’après de faire ses preuves à travers la rupture, l’imagination et la capacité à faire de la ville africaine, une cité comme une autre dans le monde. De nouvelles têtes, une façon nouvelle de regarder et de voir les choses. Une manière d’être qui se veut plus adaptée à son monde qu’autre chose. Une seule ambition aussi pour cette nouvelle génération d’hommes et de femmes d’action : à savoir, rompre avec le passé très commode des Sénégalais et gérer plus intelligemment le présent pour écrire l’avenir sur des perspectives économiques et sociales à taille humaine.

Le défi est de taille et les mots ont chacun, un sens. Les gestes aussi, une signification. Tous ces nouveaux ministres connus ou inconnus arrivés à la tête de ministères revus ou reconfigurés (comme celui du renouveau urbain), ont une seule envie : sortir du passé tortueux du développement urbain hérité des colons et adapter les pratiques aux méthodes et aux exigences du monde dit moderne. Facile à dire, mais bien difficile à faire pour tous. Si pour le maire de Dakar, Khalifa Sall, qui a fini de jeter un autre regard sur le Dakar d’aujourd’hui, l’avenir est dans l’aménagement d’une ville plus organisée parce que moins envahie par les badauds et autres vendeurs ambulants, pour le super maire, qu’est le président Macky Sall, le regard est tout autre.

Pour le premier, Africités à travers la dynamique des régions et des territoires est passé par là. Pour le second, les leçons tirées des voyages à l’étranger, doublé de son passé de maire, ont changé le regard et la lecture de la vie en cité. Le Macky nouveau est devenu un adapte et ardent défenseur du gigantisme à la sénégalaise en passant allégrement à la carte et avec le crayon, des belles tours de Manhattan, à Palm Islands du coté de Dubaï. Géante tentation, vous avez dit ! Mais, tout cela n’est-ce pas du domaine du rêve, du beau et des fois, du paradoxe quand on voit ces jeunes dirigeants aujourd’hui africains, ne plus s’attarder sur le coté superflu de la politique, pour ne se pencher que sur le coté fonctionnel des choses ?

Il était temps que cela arrive aussi ici. Que ce soit au Sénégal ou ailleurs, le débat sur la ville et son organisation est aussi une manière de sortir des sujets résiduels liés aux mauvais entretiens des voies et des marchés, à la question lancinante d’Ebola, quand le grand nombre meurt de faim dans les cités.

POUR UN REGARD EQUITABLE SUR LA VIE DE LA CITE

La nouvelle économie que veulent les Africains ne saurait se construire autour du laid, de la maladie et de tous les manques dont souffre le continent. Il est temps d’agir sur les possibles. Voilà le message. Pendant des décennies, Dakar, comme Kaolack, Ziguinchor, Tambacounda, Kaffrine, Saint-Louis ne faisaient l’actualité que par les inondations, les maladies virales ou infectieuses y afférant et encore. Aujourd’hui, il faut parler du Sénégal avec d’autres grilles de lecture. Le crayon et le critérium sur la carte ! Oui, mais dans une vision d’équité pour tous depuis Sédhiou, Kolda jusqu’à Tambacounda, Kaffrine, Linguère, Matam, Bakel. D’équité également pour sauver ce qui reste des grands espaces dans ces villes : les terrains de quartiers, les places réservées aux monuments, aux écoles autres centres de santé etc.

C’est nul doute ce que veulent les nouvelles autorités, mais en ont-ils les moyens et le temps ? L’intelligence, personne n’en doute, mais parler de tours, au moment où le temps d’un mandat est aussi court que tout le reste, demande une réflexion d’ensemble avec le pays et son peuple d’ingénieurs et de techniciens de tous bords. Parler de tours, c’est aussi comme une nouvelle forme de tentation qui veut faire la promotion et l’apologie du beau. Il était temps. Beau, gigantisme, encore deux idées de l’ingénierie urbaine à la sénégalaise qui devraient devenir les enseignes lumineuses de l’émergence. Mais pas seulement.

Encore une fois, quelle sera la taille humaine de ce dessin sur le plan ? Aujourd’hui, un peu partout dans le monde, l’on a cessé de noter la persistance du dualisme au niveau des schémas urbains qui mettent en opposition deux cités dans une même ville : avec une partie très riche : le centre. Et une autre partie très pauvre : la périphérie et ses bidonvilles. Dénoncée par les géographes, urbanistes d’un coté, les sociologues, architectes et ingénieurs de l’autre, cette opposition de fait entre le centre et la périphérie reste le signe le plus perceptible du malaise urbain en Afrique en général et au Sénégal en particulier. En effet si la ville reste le modèle le plus impressionnant, mais encore le plus imparfait de l’intelligence humaine à travers ses divers aspects, elle est le creuset des fractures en tout genre. Terreau de la modernité ambiante face aux villages, « taakh » pour le citadin et « Kaw » pour le rural, la ville est aussi le lieu où l’on trouve les grands aéroports, les ports, les gares, les belles locomotives et les grosses cylindrées.

Mais, faut-il pour autant concentrer dans un pays comme le Sénégal tout cet effort d’urbanisme et de conceptions architecturales sur un rayon de moins de cent kilomètres entre Dakar, Diamniadio, Diass et peut-être un jour, Mbour. Ouvrir les perspectives urbaines au moment où se dessinent des tours, des gares et des aéroports demande de la réflexion de fond. Pour cela, les universités, les ordres professionnels, les polytechniques, comme les grandes écoles d’ingénierie ne devraient pas être laissés en rade. Les grands projets dans une vie ne se passent qu’à un moment. Pas tout le temps. Il est nécessaire pour l’histoire qu’ils soient partagés.

Dakar-Diamniadio-Diass, l’axe de la modernité ne saurait se résumer à ce triangle de l’émergence. Aux autorités nouvelles de le comprendre en ouvrant davantage leurs perspectives et leurs regards sur le Sénégal réel. Certains départements de polytechnique concernant tous les travaux du génie mécanique, électronique et électrique, comme les institutions de recherche pourraient aider à mieux affiner le cap de l’émergence en réduisant les marges d’erreurs.

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