L'entreprise, née du rachat de la compagnie publique Sonacos par le groupe Advens en 2005, est mal en point : son chiffre d'affaires s'est effondré de 100 milliards à 57 milliards de F CFA entre 2011 et 2012. "Il ne devrait pas dépasser 30 milliards cette année, soupire Thiendiaté Bouyo Ndao. Sauf si nous écoulons nos 20 000 tonnes d'huile stockées au port de Dakar." Au cours actuel de l'huile d'arachide, c'est peu probable. "Chaque tonne nous a coûté 1 800 dollars, et les cours actuels sont inférieurs à 1 500 dollars", note une source interne sous le couvert de l'anonymat.
Pour ne rien arranger, la saison arachidière a débuté le 9 décembre sous les pires auspices. Le Comité national interprofessionnel de l'arachide a fixé le prix d'achat des graines à 200 F CFA le kilo, soit 10 F CFA de plus qu'au cours de la saison précédente. Dans le même temps, le prix de l'huile d'arachide sur les marchés internationaux a perdu environ 40 % de sa valeur depuis son plus-haut, à la mi-2012. L'État a décidé de ne pas subventionner la différence. Résultat : les grands huiliers du pays, Suneor, Copeol et le Complexe agro-industriel de Touba, qui souhaitaient payer 130 F CFA, refusent d'acheter la graine...
Un souci de plus pour Suneor, qui, comme ses confrères, souffre beaucoup depuis deux ans. L'ouverture du marché aux acheteurs étrangers, notamment chinois, a permis aux paysans d'augmenter temporairement leurs revenus, mais a plombé l'activité des huiliers et fragilisé la situation de leurs milliers d'employés. "En 2011-2012, nous n'avons collecté que 27 000 t d'arachides, alors que notre capacité industrielle est de 320 000 t", insiste Thiendiaté Bouyo Ndao. En 2013, deux des cinq sites industriels de Suneor, à Diourbel et Louga, sont restés fermés toute l'année. "Les autres n'ont ouvert que deux mois sur douze", complète un membre de la direction.
En 2013, deux des cinq sites industriels de Suneor, à Diourbel et Louga, sont restés fermés toute l'année
Le principal client, un groupe public chinois, a réduit ses achats d'huile brute d'arachide de plus de 40 000 à... 500 t. Un revers qu'Advens lie à la présence d'acheteurs chinois au Sénégal jusqu'au début de 2013 : "Ils étaient véreux, ils exportaient les graines vers la Chine en passant par le Vietnam, afin de payer moins de taxes et de contourner l'interdiction d'importer en Chine de l'arachide sénégalaise non transformée. Pékin a découvert la magouille et a mis en prison les intermédiaires. Mais il a aussi pris des mesures de représailles contre toute la filière sénégalaise", déplore un dirigeant d'Advens.
Acculé financièrement, Suneor négocie directement avec Dakar. "Durant les premières semaines, l'entreprise a surtout dû justifier ses liens supposés avec Karim Wade sur certaines opérations", commente une source proche du dossier. Puis les discussions pour son redressement ont vraiment commencé. Un premier projet porté par Suneor, qui comptait fermer toute son activité de raffinage pour sortir du rouge, a été repoussé par l'État, actionnaire minoritaire avec 15 % du capital. Les conséquences sociales auraient été trop lourdes : l'huilier, qui emploie 450 permanents et plus de 1 500 saisonniers, aurait réduit ses effectifs de moitié. Les discussions se poursuivent sur d'autres bases qui permettraient de protéger les industries locales.
Sixième directeur en huit ans
Mais Suneor a un autre souci que l'arachide, qu'il exporte en quasi-totalité : l'effondrement de sa part de marché dans les huiles de table consommées localement (qui, elles, sont importées). Après la reprise de la Sonacos, Advens avait pourtant bouleversé le marché, au point de représenter près de 70 % des ventes d'huile. "Les Sénégalais sont les premiers consommateurs au monde d'huile par habitant, indique Sébastien Loctin, qui a été pendant trois ans à la tête du marketing de Suneor. Nous avons revu les formats des emballages de notre marque d'huile de soja, Niinal, et avons engagé des actions de communication agressives. En moins de dix-huit mois, Niinal est devenue la marque d'huile préférée des Sénégalais, avec des volumes en très forte croissance."
La part de marché de Suneor dans les huiles de table consommées localement s'est effondrée à moins de 25 %
Les bénéfices de Suneor ont suivi la même tendance, mais, quatre ans plus tard, la courbe s'est inversée. La société, qui a relâché sa pression marketing, a été balayée par l'huile de palme importée plus ou moins frauduleusement de Malaisie. Sa part de marché s'est effondrée à moins de 25 %. "Depuis 2010, l'État a fortement limité la hausse des prix de vente de l'huile sur le marché local", souligne un dirigeant de Suneor. Le cours du soja bondissant sur le marché mondial, les marges du groupe en ont été affectées d'autant.
Suneor, qui en est à son sixième directeur général en huit ans, n'a guère de raisons d'espérer. Le groupe paie les errements d'un État incapable de structurer intelligemment, comme l'ont fait d'autres pays de la sous-région, une filière agricole pourtant essentielle à l'économie nationale, notamment en poussant à son intégration. De son côté, la filiale d'Advens n'a pas su relancer les ventes d'huile d'arachide sur son principal marché, l'Europe. D'ici à quelques semaines, son sort sera scellé.