Touba - Les trottoirs qui ceinturent la grande mosquée de Touba ressemblent à une bourse de change à ciel ouvert. Sortie de l’imagination des mendiants, cette trouvaille étonne par son originalité. Ici, handicapés, vieilles personnes et jumeaux en compagnie de leur maman font le décor.
Des pièces de monnaie disposées par terre, dans un désordre frappant, sur des couvercles de seau et autres supports quelconques, sous l’œil vigilant de ces cambistes au flair aiguisé complètent le tableau.
La monnaie se faisant rare durant cette période du Magal, elle est ainsi offerte à tout demandeur, moyennant une certaine marge sur la somme échangée.
Assis sur sa chaise roulante, Ousseynou Dieng, âgé d’une vingtaine d’années, est un jeune handicapé trouvé bien en vue sur le trottoir qui fait face au grand portail de la grande mosquée.
"Je fais ce travail à chaque édition du Magal, pour aider mes parents et trouver des revenus me permettant de me prendre en charge moi-même", s’explique-t-il. Il se garde de retenir une marge de la somme échangée par les demandeurs de la petite monnaie.
Selon M. Dieng, ici, chacun y va de son niveau de générosité, quand il s’agit de servir les demandeurs de la petite monnaie. Il admet que certains de ses camarades appliquent un barème de 50 francs CFA sur chaque opération de change égale à 500 francs.
"Je suis venu une semaine avant le Magal et je resterai deux semaines après le Magal. Je peux avoir une recette globale de 40.000 à 50.000 francs. Parfois, il m’arrive de faire une mauvaise campagne, en rentrant avec une recette de 15.000 francs ou moins que cela", ajoute le jeune cambiste.
Il dénonce la concurrence des personnes valides, soulignant que cette activité vient s’ajouter à la mendicité, qui est la principale occupation des personnes handicapés.
Mère de deux jumelles âgées de cinq ans, Seynabou Thiam fait partie de ce lot de mendiants doublés de cambistes, qui squattent les alentours de la grande mosquée. Et les environs des cimetières aussi, pour exercer cette activité occasionnelle.
"L’année dernière, je n’avais pas amené de la petite monnaie avec moi. Mais, j’avais récolté 25.000 francs au bout de cinq jours", se souvient-elle. "Je n’applique pas de retenue sur la monnaie, parce que mes jumelles doivent être nourries avec de l’argent dont la provenance est licite. On dit souvent que les jumeaux relèvent du don de Dieu", déclare-t-elle, précisant qu’elle s’en tient à la volonté de ceux qui donnent l’aumone.
Venu de Dakar, Amdy Moustapha Tine, un handicapé moteur, exerce aussi à Touba le métier de cambiste. Selon lui, c’est une activité qui se poursuivra jusqu’au "gamou" - dans 15 jous environ - pour la plupart d’entre eux.
"Chaque fois que la monnaie s’épuise, on s’approvisionne en petites pièces auprès des gardiens des mausolées. Ils ont besoin des billets. Nous travaillons avec la petite monnaie. Donc, chacun y trouve son compte", explique M. Tine.
Un bonnet bien vissé sur la tête, un chapelet roulé autour du coup, le quadragénaire reste avare en parole pour tout ce qui touche son chiffre d’affaires. Mais au rythme de ses opérations, son air avenant, tout à l’opposé de tant d’autres prestataires du coin, laisse deviner qu’il fait de bonnes affaires.