Absent de la scène musicale depuis un certain temps, Alioune Mbaye Nder vient de mettre sur le marché un album produit par le label Prince Art. Et avant la tournée nationale et internationale qu’il prévoit, dans le cadre de la promotion de ‘’mbegel rek’’, le leader du Setsima Group est revenu avec EnQuête sur la conception de cet opus de 6 titres. Pour ensuite parler de ses difficultés actuelles, ainsi que de ses rapports avec Macky Sall et Abdoulaye Wade.
Parlez-nous de votre nouvelle production.
C’est vrai que je viens de mettre sur le marché un nouvel album après être resté absent du marché du disque pendant 3 ans et demi. C’est pour moi une occasion de revisiter mon répertoire et de mettre quelques morceaux pour les mélomanes. Tout le monde sait l’importance que j’accorde à la qualité de la musique. On a voulu sortir 16 morceaux. Des problèmes sont survenus après un travail de 2 ans et, finalement, on s’est contenté de 6 titres.
Musicalement, c’est fort. On a travaillé sur différentes sonorités et même repris une chanson de Michel Sardou (ndlr la maladie d’amour). On l’a retravaillée et on a vu que c’est l’apothéose. Ce n’était pas évident de reprendre un classique français qui a au moins 40 ans. On a bien travaillé et je pense que la reprise est réussie. J’ai eu des retours, par rapport à l’auteur même, à travers le net. Il a fait des déclarations qui me sont favorables. J’ai fait un titre en l’honneur de mon ami Petit Mbaye qui m’est très cher. J’ai également chanté Youssou Ndour. L’album parle dans un cadre général de l’amour.
Vous chantez beaucoup trop l’amour. Seriez-vous en panne d’inspiration ?
Oui, je le reconnais, je chante beaucoup l’amour. Il y a même des gens qui disent que quiconque veut maintenant chanter l’amour n’a qu’à aller voir Alioune Mbaye Nder. J’ai vécu avec ma mère. J’ai perdu mon père quand j’avais 7 ans. Je sais ce qu’est l’amour maternel et c’est ce qui fonde ma complicité avec les femmes. L’amour que j’éprouve pour ma mère se transfère facilement à toutes les femmes du monde. Je connais leurs souffrances, leurs passions, leurs amours, etc. Depuis ‘’leneen’’, j’ai toujours défendu la femme. J’aime les femmes, je les adore.
Entre votre dernier album et celui-là, il y a eu l’émergence d’une nouvelle vague de chanteurs qui s’est imposée avec un style différent. Avez-vous pris en compte ces changements ?
Oui, j’avoue qu’il y a parmi ceux-ci des gens qui le font bien, en respectant les règles de cet art. Malheureusement, il y en a d’autres qui prennent la musique pour un jeu. Ils font du sabotage, selon moi. Sauf que cela ne va pas durer. Il est aujourd’hui temps que les acteurs culturels parlent de ce qui se passe. Aujourd’hui, la musique ne vend plus. Personne ne vit de son art actuellement. On est pratiquement dans la dèche, comme on dit. Et pourtant, on est de très bons chanteurs.
On a fait beaucoup de choses dans ce monde surtout au Sénégal. On voit très rarement un chanteur qui vit de son art. Il y a des chanteurs qui sont à l’hôpital et qui n’ont même pas de quoi acheter leurs ordonnances. Il y a des gens pour qui on fait la quête. C’est difficile. Il faut une volonté politique culturelle pour changer les choses, sinon cela ne va pas marcher. Beaucoup d’artistes ont réussi, c’est vrai, mais il nous faut plus de rigueur dans ce que l’on fait. Les grands aussi n’ont pas le droit de laisser la musique comme çà. Ils doivent parler.
Seriez-vous dans la dèche ?
Je ne suis pas dans la dèche, parce que tout simplement j’ai de quoi nourrir ma famille. Je n’ai pas de comptes bancaires fournis, parfois même je roule en taxi. Mais pour moi, ce n’est pas un problème. Il y a un journaliste qui a écrit un jour : ‘’de Hummer à taxi’’. Je me suis dit il s’est trompé ; il devait dire de ‘’Hummer à taxi clando’’. Ce n’est vraiment pas une information ça. Rouler en Hummer ou en Mercédès, c’est du pareil au même pour moi. Une voiture, ce n’est pas un luxe. C’est une nécessité. Avoir un téléphone qui coûte 400 000 et un autre qui coûte 10 000 et qui te permet de recevoir des appels et d’en émettre, pour moi, c’est la même chose. Tant que Dieu me donne de quoi nourrir ma famille, de quoi payer le loyer et entretenir ma mère, je dis alhamdoulilah.
Est-ce que ce n’est pas le train de vie dispendieux que vous meniez qui vous a amené aujourd’hui à vous suffire du minimum ?
Non, je ne pense pas. C’est le public. Vous êtes journaliste, vous me parlez de la dèche, mais, en venant ici, vous avez rencontré dans la rue des gens qui vendent mon cd à 500 F. Pourtant, on a travaillé pendant 2 ans et demi sur ce produit-là. On le vend à 3000 F Cfa. Il y a une différence de 2500 F. Les gens sont dans leurs voitures, s’arrêtent naturellement pour acheter ces produits piratés sans pour autant sentir une once de culpabilité. Acheter ces produits, c’est comme acheter du chanvre indien. C’est honteux. Tu ne donnes pas le droit à l’artiste d’aller acheter du ‘’gerté caaf’’ dans la rue.
Tu ne lui pardonnes pas les sandales qu’il porte dans la rue et encore moins le fait qu’il puisse se déplacer en ‘’ndiaga ndiaye’’. Vous-mêmes, journalistes, dès que l’artiste le fait, vous le mettez demain à la une pour le buzz. Et Dieu sait que rien qu’aller en studio coûte cher. On peut payer 250 000 la journée. Quand on doit le faire pendant un mois ou deux, c’est une fortune. Les panneaux publicitaires peuvent coûter jusqu’à 10 millions. Il y a les affiches murales. Les spots télé, n’en parlons pas. La RTS demande, pour un spot de 45 secondes, 380 000 F par passage. Imaginez 10 passages et quand on doit faire plusieurs télés. Cela fait en tout 30 à 40 millions. Après la sortie de l’album, on se retrouve avec moins de 2 millions.
C’est difficile, même si on a derrière des personnes qui nous appuient, ce n’est pas gagné d’avance. Avant d’intégrer Prince arts, je faisais toutes ces dépenses suscitées et je n’ai pas comptabilisé ce qu’on paie aux musiciens. Après les gens se permettent d’acheter ton album à 500 F et si Alioune Mbaye Nder reste 2 ans sans sortir d’album, on dit qu’il est dans la dèche. Si c’est cela, oui, je suis dans la dèche. Je ne peux pas me permettre de sortir ou d’investir entre 30 à 40 millions dans la confection d’un album et les gens achètent après le cd à 500 F. C’est honteux même.
Est-ce le fait de n’avoir plus d’argent qui vous a amené à Prince arts ?
Non ce n’est pas cela. On travaille en collaboration. Prince arts est une structure qui est là pour les artistes. Moi, je suis bon, je pense. On a discuté pendant longtemps pour être ensemble et c’est finalement fait. Moi, j’ai besoin de travailler avec une structure. Je l’ai toujours dit. Je travaillais avec Africa de Mamadou Konté. Pendant ces 3 dernières années, je me cherchais. Je me suis trouvé à travers Prince arts. Je travaille avec des gens nobles et on se voue un respect mutuel. Un artiste doit avoir des gens à ses côtés.
Pendant les dernières élections locales, on vous a vu prester pour l’APR de Grand-Yoff…
(Il coupe) Non je ne suis pas un politicien. J’ai des amis sénégalais qui font de la politique.
Adama Faye en fait partie ?
Adama Faye est un jeune frère. C’est lui qui m’a présenté Macky Sall. J’ai de bons rapports avec le président de la République parce que c’est lui-même qui m’avait demandé de faire un titre pour Abdoulaye Wade, en 2007, pour sa campagne, parce qu’il était son directeur de campagne et Premier ministre. Quand Adama Faye fait quelque chose et me demande de passer pour faire un playback, je le fais. Et il m’a payé. Il m’a présenté quelqu’un avec qui j’ai eu de très bons rapports, Macky Sall ; et malgré tout cela, il m’a payé. Pourtant je pouvais le faire gratuitement parce que c’est Adama Faye. Je n’ai pas une carte de l’APR, ni du PDS. J’ai une carte du parti ‘’Sénégal’’.
Vous voulez dire que vous n’avez jamais été wadiste ?
Non, non je n’ai jamais été wadiste, je vous le jure. Je ne suis pas non plus mackyste. Je suis ‘’nderiste’’. Seulement, on ne peut pas être dans un coin et se dire qu’on est chanteur puis croiser ses bras. Il nous est permis d’avoir des amis politiciens.
Que répondez-vous alors à ceux qui disent que vous êtes une girouette politique ?
Ces gens qui disent cela sont fous. Je ne suis pas un politicien. Je suis musicien et je peux être avec tous les Présidents du monde. Le Président qui est là actuellement, je suis très à l’aise pour parler de lui. Et Macky Sall me connaît. Il en est de même avec Wade.
Vous avez connu Macky et Wade ; en tant que Présidents, quelle est la différence entre les deux ?
Vous savez, on est tous différents. Chacun d’eux a la volonté de faire de bonnes choses dans ce pays. Quand tu te bats pour être à la tête de ce pays, c’est pour le développer, je pense. Abdoulaye Wade, je lui souhaite la paix et une longue vie. A Macky, je souhaite une réussite totale.
On dit que Wade est plus généreux que son successeur. Qu’en pensez-vous ?
Non, Macky est aussi trop généreux. Lors de notre deuxième rencontre, alors qu’il était directeur de cabinet, il m’a aidé à faire une soirée ‘’sargal Abdoulaye Wade’’. C’est quand Wade a eu le prix Hophouët Boigny. Beaucoup de musiciens étaient partis pour lui rendre hommage. Moi je n’ai pas pu. C’est en ce moment que j’ai connu Adama Faye par l’intermédiaire de son jeune frère Malick qui est un inconditionnel de Nder. Adama Faye m’a emmené voir Macky et je lui ai expliqué mon projet ‘’sargal Abdoulaye Wade’’.
Je lui ai dit que je n’avais pas d’argent pour payer la salle et autres. Il m’a demandé combien il me fallait je le lui ai dit et il a doublé la somme. Donc, c’est quelqu’un de généreux. Il m’a dit qu’il ne voulait pas que les gens sachent que c’est lui qui avait financé cet évènement. Avec cet argent, j’ai fait la chanson pour la campagne de Wade en 2007. Je n’ai pas fait une chanson pour louer Wade, mais plutôt pour parler de son bilan. Je suis un griot, donc je pouvais me permettre de chanter les louanges de Wade, mais je ne l’ai pas fait. Moi je ne chante une personne que par rapport à ses faits.
Si vous deviez chanter Macky…
(Il coupe) Non je ne peux pas encore consacrer de chanson à Macky Sall. Et je ne suis pas là que pour chanter les Présidents. Je n’ai osé chanter Wade qu’à la vue de ses réalisations. Il n’est pas exclu que je chante Macky un jour.
Idrissa Seck fait partie de vos amis politiciens, que pensez-vous de son ‘’jëbelu’’ ?
Cela vraiment ne concerne que lui. C’est lui qui sait pourquoi il a fait cet acte d’allégeance. De toute façon, moi je suis un talibé Cheikh. Tout le monde le sait, mais j’ai beaucoup de respect pour Cheikh Sidy Makhtar ainsi que Cheikh Akhmadou Bamba. Cheikh Thioro Mbacké, le porte-parole de Cheikh Sidy Makhtar, est mon ami intime. Ils font énormément de choses pour moi. Moi je suis un talibé Cheikh et un talibé de Serigne Babacar Sy.
Que vous inspire la situation nationale actuelle ?
C’est difficile. Il y a trop de fronts. L’opposition se bat avec le pouvoir et le pouvoir également combat l’opposition. C’est normal, dira-t-on, mais chacun doit avoir de la considération pour l’autre.