Depuis hier, l’Association des juristes du Sénégal (Ajs), en partenariat avec l’Ong Article 19, organise un atelier de formation et d’échanges sur le traitement médiatique des violences basées sur le genre. Cette rencontre a constitué une tribune pour l’Ajs et ses collaborateurs pour faire un plaidoyer dans le sens de l’application de l’avortement médicalisé.
Selon les organisateurs, «au Sénégal, la mortalité maternelle et son taux élevé posent un réel problème de santé publique, de développement et du coût économique et social qu’elle engendre». Elle est estimée à 392 cas de décès pour 100 000 naissances, d’après l’enquête démographique de santé. Et chaque jour, 5 femmes meurent en donnant la vie. Cette situation s’explique en grande partie par «les avortements à risque qui traduisent l’existence de la loi compromettant l’accès à l’avortement médicalisé et favorisant la récurrence des avortements clandestins dus aux grossesses non désirées, issues en partie des violences sexuelles, viols, incestes dont sont victimes les femmes», dit la juriste. Et rien qu’en 2010, d’après l’enquête démographique de santé, 24 % des femmes dans ce pays ont subi un avortement à risque. Toujours d’après la même source, il est recensé environ 75 mille avortements à risque qui se produisent annuellement au Sénégal.
Ces statistiques, qui font froid au dos, préoccupent l’Association des femmes juristes et l’Ong Article 19. Selon Fatou Kiné Kamara, les victimes sont des filles très jeunes et pauvres, âgées entre 9 et 18 ans. «Il y a une fille de 12 ans, handicapée mentale qui était enceinte, qui a accouché par césarienne et qui est morte quelques jours après. Nous avons le cas d’une petite fille de 9 ans qui allait à l’école, qui a été violée et qui est enceinte et qui n’a pu aller à l’école. Elle a aussi accouché par césarienne et quelques semaines après, elle est décèdée. Un autre cas que nous n’avons pas traité mais qu’on nous a raconté, une petite fille de 11 ans a accouché. Elle n’est pas morte mais après elle est paralysée des membres inferieurs», raconte-t-elle.
Face à ce péril, elle n’arrive pas à comprendre le comportement de l’Etat «d’autant plus que la convention a été votée à l’Assemblée nationale». «Ça fait dix ans que l’Etat s’est engagé solennellement à autoriser l’avortement médicalisé en cas de viol, d’abus sexuel, d’inceste», dit-elle. A l’en croire, «le Parlement a voté la loi de ratification en 2004». Les femmes ont le droit d’accéder, dit-elle, à l’avortement médicalisé, selon les conditions posées par le Protocole de Maputo. «Donc, il ne s’agit plus de dire si elles ont le droit ou pas. L’Etat l’a déjà dit», insiste-t-elle. «Et pour elle, on ne peut pas les mettre en prison parce qu’elles ont exercé ce droit. Ce n’est pas acceptable que depuis dix ans, des milliers de femmes et de filles meurent pendant que l’Etat ne fait rien parce que malheureusement ça ne touche que les pauvres et les sans voix», crache-elle. Par conséquent, elle invite les «médias à porter la voix de ces sans voix». «Car ce n’est pas humain que l’on accepte que les filles handicapées que l’on viole meurent dans l’indifférence générale», remarque-elle.