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Le Quotidien N° 3480 du 8/9/2014

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Fonctionnement des écuries et écoles de lutte : Le filon de l’anarchie
Publié le mardi 9 septembre 2014   |  Le Quotidien




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Plus d’une vingtaine d’écuries ou écoles de lutte existent au Sénégal. Au-delà des conditions administratives à remplir pour les créer, les structures ont une gestion autonome de leurs entités. Ce qui explique un tant soit peu l’anarchie qui règne dans leur gestion. Cela pousse certains acteurs de la lutte à inviter le Comité national de gestion à plus de vigilance.
Chaque après-midi, des jeunes aux muscles saillants s’échinent à répéter les gammes qui feront d’eux de futurs champions de la lutte. Des écuries foisonnent partout dans le Sénégal. Si l’écurie de Fass était considérée comme une usine à champions, pour avoir produit Mbaye Guèye, le premier Tigre de Fass, avant l’avènement de son jeune frère Moustapha Guèye, devenu deuxième Tigre de Fass, il faut souligner que l’épicentre de la lutte s’est déplacé dans la banlieue de Dakar, avec un foisonnement d’écuries et d’écoles de lutte. On ne parle plus que de l’écurie Balla Gaye qui a révélé Omar Sakho alias Balla Gaye 2, qui a perdu le titre de «Roi des arènes» face à Bombardier de Mbour, deux ans après l’avoir repris des mains de Yékini qui a connu un règne de quinze ans.
Modou Lô constitue l’autre attraction de la banlieue, lui qui a pu s’affirmer comme le porte-étendard des Parcelles Assainies après avoir pris le meilleur sur des lutteurs comme Gris Bordeaux, intronisé troisième Tigre de Fass. Au-delà de l’aspect qui est de voir les écuries s’identifier à leur chef de file, comme Balla Gaye 2, Modou Lô, il faut souligner que la manière dont fonctionnent les écuries et écoles de lutte, aimante l’attention d’une certaine opinion.
Organisation communautaire
Les lutteurs sont encadrés par des écuries qui apparemment sont calquées sur le modèle des associations sportives. Mais ici, ce sont des sociétés sportives assez singulières unies par des liens communautaires. On a l’écurie sérère, qui regroupe les lutteurs de l’ethnie sérère. L’écurie Ndiambour concen­tre les lutteurs originaires de la région traditionnelle du même nom. Fass est l’association des lutteurs lébous. Si la lutte traditionnelle est un affrontement inter­communautaire, selon l’ouvrage Corps en lutte, l’art du combat du Sénégal écrit par Dominique Chevé, la lutte avec frappe est une opposition intercommunautaire. L’écurie est considérée par les lutteurs comme un instrument qui leur permet de gagner leur vie. «Tout le monde se lève le matin pour aller travailler, toi tu quittes ton domicile pour venir t’entraîner ici jusqu’au soir», raconte un lutteur cité dans l’ouvrage.
Structuration d’une écurie
Depuis quelques années, on note la naissance d’entités nouvelles dites «écoles de lutte», qui se déclinent comme des centres de formation. Elles sont créées par d’anciens champions qui cherchent à retrouver leur place dans la marche de la lutte. Etre membre d’une écurie ou d’une école de lutte, à l’image de Balla Gaye 2 qui est leader de l’école de lutte de Balla Gaye, ou de Modou Lô qui s’identifie à l’écurie de Rock Energie, offre un cadre approprié pour être sollicité pour un combat. Au-delà de l’aspect individuel que revêt la lutte avec frappe, l’athlète qui la pratique doit appartenir à une structure qui implique une certaine organisation.
Créée à une époque où la lutte n’avait pas acquis autant d’intérêt auprès de l’opinion, l’écurie de Fass se réclame la plus structurée de toutes. Si l’on s’en tient aux propos de son président Abass Ndoye, Fass s’est imposé une bonne structuration avant même que le Cng ne demande aux écuries et écoles de lutte de se mettre en règle en acquérant un récépissé. «C’est l’année dernière que le Cng a invité les écuries à se régulariser. Il y a certains qui participaient aux compétitions sans disposer d’un récépissé. A Fass, il y a longtemps que nous sommes structurés», renseigne le président de Fass. Composé d’un président, de trois vice-présidents, d’un secrétaire général et son adjoint, d’un trésorier et son adjoint, de la direction technique où on retrouve un entraîneur et deux adjoints, l’ancienne écurie de Moustapha Gueye dispose d’un entraîneur de boxe et d’un préparateur physique.
Une écurie comprend une commission technique généralement constituée d’anciens lutteurs qui font office d’entraîneurs ou de conseillers. La commission a pour vocation la préparation technique et physique des lutteurs à court ou long terme. Elle peut s’opposer à tout combat programmé sans son aval. Elle a pouvoir de suspendre un sportif qui a transgressé le règlement intérieur ou le code de conduite. Rattaché à une ou plusieurs écuries, le manager est chargé de défendre les intérêts des lutteurs. A charge pour lui de trouver à ces derniers des combats, en signant des contrats avec les promoteurs qui organisent les combats. Le Cng veille au fonction­nement légal des écuries tout en les laissant libres dans la gestion de leur structure.
Répartition de cachets
Parlant des managers, il faut souligner que si dans certaines écuries de lutte ou école de lutte, il est permis aux lutteurs de collaborer avec le manager de leur choix, au niveau de Fass comme de l’écurie Walo, celui qui veut être investi de ce rôle doit être un membre à part entière de la structure. A Fass, Alassane Diakhaté est le manager de Gris Bordeaux. Mbaye Guèye le premier Tigre, s’est reconverti manager. Alors qu’à l’écurie Door dorate, c’est Mbaye Diagne, qui appartient à l’école Ndakaru, qui est manager de Zoss.
Les 10% sur les cachets des lutteurs, représentant la commission tirée par les managers par rapport au combat qu’ils réussissent à décrocher, ne sont pas une règle qui s’impose à Fass. Selon Abass Ndoye, cette somme ne profite pas seulement au manager qui n’est pas plus méritant que l’entraîneur de boxe. «Les 10% tirés des cachets des grands combat sont repartis comme suit : le manager a droit à 3,5%, et 6,5% sont destinés aux membres de l’encadrement technique», informe la personne morale de Fass. Parlant du cachet sur le sponsoring, le président de Fass renseigne que 10% en sont prélevés pour le bénéfice des accompagnants du lutteur. «Ça leur permet de se retrouver avec environ 50 ou 100 mille francs entre les mains. Cela leur permet de vivre», souligne Abasse Ndoye.
Des rapports sans base juridique
Le rapport entre le sportif et les écuries pose beaucoup de questionnements sur le statut du lutteur au regard du droit du travail et de la sécurité sociale. S’ils sont censés être des professionnels, les lutteurs avec frappe ne sont liés par aucun contrat de travail ni d’assurance avec leurs écuries ni avec les promoteurs. Selon l’ouvrage Corps en lutte, il n’existe qu’un lien de licence entre le lutteur, l’écurie et le Cng. Contrairement au football professionnel où les cachets sont négociés et versés aux clubs employeurs, dans ce sport bien de chez nous, c’est une tierce personne qui rémunère le lutteur. Ce dernier empoche directement l’argent. Si l’écurie soumet ses athlètes à une certaine réglementation, le paradoxe se situe au fait que si le lutteur commence à gagner des centaines de millions, son écurie n’aura plus d’emprise sur lui. Balla Gaye 1, directeur technique de Balla Gaye 2, ne dira pas le contraire pour avoir vécu l’expérience.
C’est grâce à lui que Balla Gaye 2 est devenu ce qu’il est aujourd’hui. Mais une fois que la valeur marchande de l’ancien «Roi des arènes» a connu une flambée, son père biologique Double Less s’est intronisé manager de son fils. Les gros cachets gagnés par les ténors de l’arène sont une porte ouverte aux parents des lutteurs pour s’immiscer dans la gestion de la carrière de leurs rejetons. Oumar Diagne Omez, l’ancien directeur technique de Baol Mbollo, avait bien illustré cete situation pour Le Quotidien le 26 août dernier : «…Les écuries ne sont pas bien organisées. C’est ce qui explique que les parents s’immiscent dans la carrière de leurs enfants.». Il a poursuivi en ces termes : «Il y a trois ans que le père de Tapha Tine nous a fait déménager de l’école Imam Abdou Ndiaye 3 aux Champs de courses, pour s’y entraîner. Depuis 2011, nous sommes là-bas. Alors que ça devait être une décision de la direction technique et du président de l’écurie. J’ai toujours attiré l’attention de l’écurie sur ça.» Après avoir quitté Baol Mbollo au lendemain de la défaite du géant de Baol Mbollo face à Balla Gaye 2, Omar Diagne révèle que si c’était à refaire, il n’allait travailler avec Tapha Tine que sur la base d’un contrat.

Mercato des lutteurs : les écuries y trouvent leur compte
Les écuries disposent d’un droit pécuniaire sur le transfert de leurs poulains dans une autre structure. Cela a été rendu possible par une disposition édictée par le Comité national de gestion de lutte ignorée auparavant par la majorité des responsables des écuries. Il a fallu l’éclairage de l’ancien directeur technique de Baol Mbollo, Omar Diagne Omez, pour que ces derniers puissent se rendre compte qu’une telle disposition existe depuis longtemps.
Ainsi les responsables des structures de lutte ont le droit de réclamer des dédommagements lorsque leurs poulains veulent monnayer leur talent sous d’autres cieux. Parti pour rejoindre l’écurie Yoff après avoir été annoncé à de Door War, une nouvelle structure créée par Yékini junior, Malick Niang a fait les frais de cette disposition réglementaire du Cng de la lutte.
L’école Ndakaru n’a jamais été autant secouée que lors de la saison 2011-2012. Confrontée à plusieurs départs, la structure a vu des lutteurs comme Yékini junior, Malick Niang ou «Brise de mer» lui tourner le dos. Si Yékini junior a créé son propre structure dénommée «Door Waar», Malick Niang a été obligé de migrer vers Yoff. Pressé par les responsables de Ndakaru de payer un million de francs en guise dédommagement pour son départ inopiné de l’écurie, l’ancien pensionnaire de Ndakaru s’est acquitté de cette somme, ce qui lui a permis de préparer son combat victorieux contre Sa Thiès à Yoff.
Cela n’a pas été le cas pour ses anciens coéquipiers, comme Yékini junior ou «Brise de Mer» qui ont été obligés d’observer une année blanche parce qu’évoluant sous les couleurs de l’écurie Door War qui n’était pas encore reconnue par le Cng, faute de récépissé. Sauvés par une des dis­positions du Cng, ces lutteurs n’ont dû leur salut au fait qu’ils ont connu une année blanche après leur départ de Ndakaru. Laquelle disposition stipule qu’après une saison blanche, le lutteur n’a plus aucune obligation envers son écurie, en termes de dédommagement. Après sa dernière sortie en 2011, sanctionné par une victoire face Santang Ngingue, Yékini junior a réussi son baptême du feu sous ses nouvelles couleurs en venant à bout de Modou Anta de Thiès de fort belle manière.

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