A situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle. L'Organisation mondiale de la santé a donné son feu vert, mardi, à l'utilisation de traitements non homologués contre la fièvre Ebola. Soit des médicaments dont l'efficacité est incertaine et les effets secondaires mal connus. Mais face à la gravité de l'épidémie, qui vient de franchir le cap des 1000 morts, et alors qu'aucun traitement spécifique n'existe actuellement contre le virus, les autorités sanitaires tentent le tout pour le tout.
Cette autorisation inhabituelle vise notamment le sérum dit "ZMapp", mis au point par un laboratoire privé aux Etats-Unis. Alors qu'il n'avait jusqu'alors jamais été testé sur l'homme, il suscite un fort espoir depuis la possible guérison de deux soignants américains contaminés, Kent Brantly et Nancy Writebol. Cette dernière "voit son état physique s'améliorer, ses yeux s'illuminent, elle sourit et plaisante même un petit peu", a témoigné son fils, Jeremy Writebol, interrogé sur la chaîne américaine NBC, précisant que les médecins traitants pensent qu'elle devrait se remettre complètement.
Manque d'investissements
Le ZMapp, enfin une parade efficace contre Ebola ? Pas si simple. Le pasteur espagnol Miguel Pajares, première victime européenne du virus, est décédé mardi malgré l'administration ce sérum. Et les doses disponibles du sérum sont très faibles. Ebola est "typiquement une maladie de pauvres dans des pays pauvres dans lesquels il n'y a pas de marché" pour les firmes pharmaceutiques, a expliqué mardi Marie Paule Kienny, assistante du Directeur général de l'OMS.
"Sans les investissements des gouvernements", ces traitements expérimentaux n'existeraient pas. Mais les étapes finales relèvent de l'industrie pharmaceutique, et il faudrait désormais des investissements beaucoup plus importants, a-t-elle indiqué.
Très touché par la fièvre hémorragique, le Liberia avait demandé le 8 août aux Etats-Unis de lui fournir du ZMapp. Avant même la décision de l'OMS, les autorités américaines avaient accepté, lundi, et des doses devraient être acheminées dans le courant de la semaine.
Que sait-on du "serum miracle" (et est-il si miraculeux) ?
Deux humanitaires américains qui avaient contracté le virus Ebola en Afrique de l'Ouest ont vu rapidement leur état s’améliorer cette semaine, après avoir reçu une dose d'un mystérieux sérum. Du coup, tous les regards se tournent vers ce dernier, qui apparaît soudain comme la nouvelle potion magique contre le fléau qui a déjà fait plus de 900 morts en Guinée, au Liberia, en Sierra Leone et au Nigeria. Que contient-il et peut-on l’utiliser rapidement pour soigner toutes les populations touchées ?
Qui a mis au point le sérum ?
Le sérum "ZMapp" a été mis au point par la société de biotechnologie Mapp Biopharmaceutical, basée en Californie, à San Diego, en collaboration avec la société canadienne Defyrus. Il a ensuite été testé pendant dix ans, en partenariat avec le gouvernement américain
Que contient-il ?
Le sérum contient trois anticorps "monoclonaux", des molécules capables de reconnaître la protéine d’enveloppe du virus et de l’empêcher d’infecter les cellules. Il n’empêche donc pas le virus de se multiplier - comme le font les tri-thérapies pour le VIH par exemple - mais simplement d’être nocif. Un procédé "classique", notamment utilisé dans le traitement de la rage, indique à metronews Sylvain Baize, responsable du Centre national de référence des fièvres hémorragiques virales à l’Institut Pasteur. En revanche, la combinaison particulière de ces trois anticorps spécifiques est nouvelle.
Pourquoi n'est-il pas sur le marché ?
Le sérum n'avait jusqu'à présent jamais été testé que sur des souris et des macaques. Il a fait l’objet de deux publications scientifiques, l’une dans la revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) en 2012, l’autre dans la revue Science Translational Medicine en 2013. Un essai clinique - sur des humains, donc - est prévu prochainement. Ses résultats seront connus à la mi-janvier 2015 et un vaccin pourrait être prêt à la mi-2015, selon le Dr Anthony Fauci, directeur de l'Institut américain des allergies et des maladies infectieuses (NIAID). Pour Sylvain Baize, il faudrait plutôt tabler sur 2020. En attendant, il n’existe aujourd’hui aucun traitement disponible sur le marché contre le virus Ebola.
Quelle efficacité lors des tests animaux ?
Sur des macaques, le sérum a donné des résultats proches de 100% de guérison lorsqu’il était administré dans l’heure qui suivait l’inoculation du traitement. Trois ou quatre jours plus tard, les résultats étaient divisés par deux mais une combinaison avec une autre substance, un "interféron", donnait encore de bons résultats même plusieurs jours après.
Quelle efficacité sur les deux humanitaires ?
Exceptionnellement administré aux deux humanitaires contaminés au Liberia, le traitement aurait significativement atténué les symptômes de l'infection chez l'un (le Dr Kent Brantly, 33 ans) dans l'heure qui a suivi la première dose, selon l'un de ses médecins cité par CNN. Un résultat étonnant, relève Sylvain Baize, compte tenu des observations faites sur les macaques : l'homme présentait en effet les symptômes de la maladie depuis plusieurs heures déjà. "Même si on bloque le virus, c’est tout de même étonnant d’avoir une amélioration si rapide”, commente le spécialiste. L'autre patiente (Nancy Writebol, 60 ans) a elle aussi montré des signes d'amélioration. Quoi qu'il en soit, l'éventuelle guérison de deux personnes n'aurait pas valeur de test. La prudence est donc de mise pour interpréter tout résultat.
Peut-on mettre en urgence le sérum à disposition des populations ?
Trois experts internationaux, Peter Piot - qui a découvert le virus - David Heymann et Jeremy Farrar, ont appelé les autorités sanitaires et les laboratoires à ouvrir les traitements expérimentaux aux populations de la région touchée. Faisant donc pression pour sauter les étapes réglementaires de la mise sur le marché d’un médicament. Mais selon les scientifiques, étant donné la complexité de la technique utilisée pour le produire, il faudrait plusieurs mois pour en fabriquer rien qu'une faible quantité. "Ce qui a été fait pour ces deux humanitaires est très particulier. D’un point de vue éthique, il n’est pas possible de le reproduire à grande échelle”, ajoute Sylvain Baize.