Le président de la République, Monsieur Macky Sall, qui avait promis de réduire son mandat de 7 à 5 ans, pouvait respecter sa promesse dès les premiers mois de l’installation de l’Assemblée nationale, en utilisant la voie parlementaire.
Contrairement à ce qui est avancé ça et là, cette voie n’est pas illégale, elle a été juste écartée. Comment peut-on nous dire que le Président Macky Sall a été élu pour un mandat de sept (7) ans et considérer que réduire ce mandat à 5 ans par la voie parlementaire est anticonstitutionnel, alors que la légalité de la durée de sept ans repose sur cette même voie parlementaire ?
Cette question est d’autant plus importante que c’est le Président Macky Sall qui était à l’époque des faits le président de l’Assemblée nationale et qui avait dirigé de main de maître ce qu’il expose aujourd’hui comme une voie anticonstitutionnelle.
Si on considère que la disposition de l’article 27 de la Constitution sénégalaise modifiée par la Loi constitutionnelle n° 2008-66 du 21 octobre 2008 est une loi constitutionnelle qui s’applique erga omnes, on devrait considérer que toute disposition qui la remplace en empruntant la même procédure qui l’avait mise en place devrait s’appliquer erga omnes et être élevée au rang de loi constitutionnelle.
Cette partie d’explications passée, venons-en maintenant aux arguments juridiques qui sous-tendent nos convictions et interrogeons-nous sur le choix de la voie référendaire.
Sur les arguments juridiques qui légalisent la voix parlementaire
Les questions juridiques sont souvent considérées comme des questions ésotériques ; raison pour laquelle nous voudrions préciser que nous sommes titulaire d’une maîtrise en droit et avons eu une expérience professionnelle en tant que juriste interne dans un cabinet d’avocat. Cependant, sur cette question, il serait plus indiqué d’interroger les constitutionnalistes. Malheureusement dans notre pays, sur presque toutes les questions relevant de la Constitution, nous notons, très souvent, une différence d’approche entre constitutionnalistes, qui aboutit à des interprétations différentes.
Mais posons le débat de manière simple. Pour cela, nous allons convoquer les articles 27 et 103 de la Constitution.
L’article 27 de la Constitution modifiée par la Loi constitutionnelle n° 2008-66 du 21 octobre 2008 dispose : «La durée du mandat du président de la République est de sept ans. Le mandat est renouvelable une seule fois. Cette disposition ne peut être révisée que par une loi référendaire.»
L’article 27 tel que libellé dans la Constitution du 22 janvier 2001, avant sa modification en 2008, avait créé une controverse juridique. Quand d’aucuns pensaient que le dernier alinéa verrouillait la Constitution sur la durée du mandat et sur sa limitation, en ne prévoyant que la voie référendaire, d’autres avaient soulevé une interprétation qui n’avait pas manqué de soutiens. Selon ces derniers, le dernier alinéa, «cette disposition ne peut être révisée que par la loi référendaire», ne s’applique pas à la durée du mandat. En effet, le dernier alinéa utilise le singulier «cette disposition» alors que l’article parle de deux dispositions différentes : la première concerne la durée du mandat, la deuxième, la limitation du mandat. Le dernier alinéa ayant utilisé un pronom démonstratif (cette), il ne peut faire allusion qu’à la dernière disposition, c’est-à-dire la limitation du mandat. Par conséquent, la durée du mandat n’est pas concernée par le dernier alinéa de l’article 27 de la Constitution qui donne obligation de recourir à la voie référendaire pour une révision constitutionnelle. Cette démonstration bien qu’intéressante ne nous avait pas convaincu à l’époque. Nous estimions que l’esprit qui avait guidé à la rédaction de l’article 27 considérait la limitation et la durée du mandat comme étant une seule et même disposition.
Quoi qu’il en soit, ce débat intéressant a connu son épilogue.
Il a abouti à un vote et une validation à travers la voie parlementaire.
Cependant, il est aussi bon de préciser qu’aujourd’hui, nous ne sommes plus en face du même texte dans sa formulation initiale. En effet, en profitant de la révision de 2008, le législateur a opéré un changement dans la formulation de l’article 27 pour mieux étayer l’interprétation qui avait justifié sa compétence. Dans la rédaction de la nouvelle disposition, la limitation du mandat et sa durée qui étaient sur un alinéa ont été séparées sur deux alinéas pour montrer clairement qu’il s’agit de deux dispositions différentes. Une formulation qui renforce l’interprétation selon laquelle «cette disposition» qui ne peut être révisée que par la voie référendaire ne concerne que la dernière disposition qui est la limitation du mandat, mais ne concerne nullement la durée de celui-ci.
Aujourd’hui, s’adosser sur d’anciennes interprétations ne fera pas avancer le débat, car la disposition qu’on veut changer est différente de celle initiale. D’abord, cette disposition en vigueur a été adoptée par la voie parlementaire, contrairement à la disposition initiale qui découlait de la Constitution du 22 janvier 2001 adoptée par voie référendaire. Ensuite, le texte concerné n’est plus le même dans sa formulation initiale. Et enfin, le pouvoir constituant a changé. Le législateur est entré en jeu. Ce n’est donc pas le même sujet et par conséquent ne devrait pas susciter le même débat et faire resurgir les mêmes argumentaires.
La question pertinente et non polémique que nous devons nous poser est de savoir s’il est possible de faire la révision par la voie parlementaire en s’adossant aux dispositions actuelles de la Constitution. La réponse est oui et la solution se trouve dans l’article 103 de la Constitution.
Cet article indique en son alinéa 1 que:
«L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au président de la République et aux députés.»
Les alinéas 3, 4 et 5 quant à eux précisent ceci: «Le projet ou la proposition de révision de la Constitution est adopté par l’Assemblée nationale selon la procédure de l’article 71. La révision est définitive après avoir été́ approuvée par référendum. Toutefois, le projet ou la proposition n’est pas présenté́ au référendum lorsque le président de la République décide de le soumettre à l’Assemblée nationale. Dans ce cas, le projet ou la proposition n’est approuvé que s’il réunit la majorité́ des trois cinquièmes (3/5) des suffrages exprimés.»
Il est important de signaler que l’article 103 ne renvoie pas à l’article 27 pour en faire une exception en ce qui concerne la révision par la voie parlementaire. Les articles d’un même texte étant d’égale dignité, l’article 103, de par sa formulation, autorise une révision constitutionnelle par la voie parlementaire, en toute légalité. Il suffit de respecter la majorité des 3/5eme des suffrages exprimés.
Maintenant, certains diront qu’en passant par la voie référendaire, c’est l’occasion de verrouiller définitivement la Constitution et ne plus permettre une révision abusive. NON ! Ce n’est pas l’interprétation qui aboutit au choix d’une procédure qui va verrouiller la Constitution. Ce qui peut la verrouiller, ce sont des dispositions claires, des dirigeants vertueux et un Peuple qui veille constamment au respect des lois de la République.
Sur le choix de la voie référendaire
La question que nous devons tous nous poser est de savoir ce qui s’est passé entre 2008 et 2014 pour que, sur la même question relative à la durée du mandat, le Président Macky Sall opte pour deux procédures radicalement différentes ? Notre conviction est qu’en promettant au Peuple qu’il allait réduire son mandat de sept à cinq ans, il ne pouvait expliquer cette posture péremptoire qu’à travers une majorité parlementaire en vue et qui ne rechignerait pas à lui faire passer cette promesse par la même procédure qui avait abouti à l’allongement de la durée du mandat à sept ans. Le Président Macky Sall n’avait pas à attendre tout ce temps pour se décider à respecter une promesse. Il pouvait la faire respecter dès les premiers mois de la mise en place de l’Assemblée nationale.
Le choix du référendum avec le coût important que cela implique dans un tel contexte de morosité économique est quand même bizarre, d’autant plus que l’enjeu référendaire est inexistant. En effet, le référendum implique le départage du Peuple sur une question majeure qui peut susciter polémique ou controverse et dont l’incidence touche les fondements de la République ou du régime. Or, la question de la réduction du mandat présidentiel ne suscite aucune controverse, aucune polémique. L’opposition est d’accord, le pouvoir est d’accord, le Peuple a élu celui qui en avait fait la promesse. Quel est donc l’enjeu d’un tel référendum ?
L’idée d’adjoindre la question de la durée du mandat aux propositions de la Cnri, qui avait été évoquée par certains tenants du pouvoir, pour aller vers une grande réforme institutionnelle à travers un référendum, doit être appréciée sous plusieurs angles. Si le package concernait les travaux de la Cnri dans leur globalité sans qu’une virgule ne soit enlevée, le référendum serait une pure formalité comme l’a récemment affirmé le président Idrissa Seck. En effet, dans leur méthodologie de travail, les «cnristes» n’avaient retenu que les propositions qui emportaient l’adhésion d’au moins 75% des Sénégalais.
Par contre, si le président de la République voulait jouer à l’arbitre entre les prétentions de son parti (qui ne reflètent en réalité que ses propres prétentions) et celles de l’opposition et par conséquent, s’arroge le droit de tripatouiller les travaux, le package qu’il nous proposerait comporterait une touche partisane qui nécessiterait un avis clair du Peuple sénégalais.
Dans ce cas, l’idée de regrouper plusieurs thèmes de modification d’enjeux et d’importances différents et ne donner au Peuple souverain que la possibilité de dire «oui» ou «non» sera une forme de consultation biaisée. Certaines propositions qui devraient sécréter le «non» pourraient être emportées par le «oui» qui ne viserait qu’une partie des propositions du package qui a été livré. Le projet de réduction de la durée du mandat, qui est une promesse électorale, doit être détaché de ce package. A lui seul, ce projet suffit à emporter le «oui». Ce qui ne garantira pas une correcte consultation du Peuple souverain sur des questions d’intérêt national.
Quoi qu’il en soit, le président de la République devra apporter plus de clarté dans sa démarche et expliquer clairement à ses concitoyens ce qu’il compte faire. C’est un devoir.
Thierno BOCOUM
Député à l’Assemblée nationale
thbocoum@gmail.com