Jusqu’à hier, la défense s’arc-boutait sur les raisons d’une incompétence de la Crei à juger Karim et Co-prévenus. La mise en demeure a également occupé une place dans les débats. Auparavant, la cour a accordé à Bibo Bourgi une dispense de comparution durant toute la phase des exceptions.
C’est sur demande des conseils de Bibo Bourgi, accompagnée d’un dossier sanitaire, affirme le Président Henri Grégoire Diop, «que la cour a accordé une dispense de comparution au présumé complice de Karim Wade ». Prudente, la partie civile n’a pas hésité à demander à s’imprégner du rapport. Et le Président de rétorquer: « Ne vous en faites pas, vous pouvez consulter le rapport. S’il y a possibilité, vous nous soumettrez vos conclusions». Mais déjà la partie civile à travers Me Yérim Thiam , annonce une stratégie des avocats de la défense visant à préparer l’évasion de Bibo Bourgi : «Ils sont en train de préparer l’évasion du présumé complice pour créer un obstacle dans le dossier. Lequel consiste à dire que Karim ne peut pas être jugé sans la présence du présumé complice», confie Me Yérim Thiam . Il demande aux autorités judiciaires à doubler de vigilance.
CREI OU HAUTE COUR DE JUSTICE ?
La défense n’advient pas à accepter que «la nature de l’infraction puisse déterminer la compétence d’une juridiction ». D’ailleurs, renseigne-t-elle, « la nature de l’infraction ne joue que pour courir la prescription ». Embouchant la même trompette, Me Alioune Badara cissé, avocat du présumé complice Ibrahima Diassé, explique l’impossibilité de séparer les actes commis par Karim pendant et en dehors de l’exercice de ses fonctions. « Les actes supposés commis par l’ancien ministre d’Etat en sa qualité de ministre et de non ministre sont justiciables de la haute cour de justice en vertu du principe de l’indivisibilité manifeste qui profite à la qualité la plus importante ». Et de s’adresser à la cour : « si la commission d’instruction a fait une erreur dans la saisine, nous vous demandons de déclarer votre incompétence en permettant aux parties à mieux se pourvoir ».
Pour lui, la cour doit éviter de poser un précédent jurisprudentiel dangereux « qui permettrait à la haute cour de ne plus connaitre les faits relatifs à l’enrichissement illicite d’anciens ministre ». Me Demba Ciré Bathily de faire savoir que : « les conditions de poursuite sont liées à la fonction. La véritable compétence est rationae personae, c’est-à-dire la qualité de la personne poursuivie. On ne peut pas dissocier les faits commis par Karim Wade ». Me Souleye Fall, avocat de la partie civile, démontre que la défense est en train de faire du dilatoire : « Ils persistent dans l’erreur. Se taire, c’est leur plaire. Ils ont interverti l’ordre posé. Les fins de non recevoir ne sont jamais soulevées avant l’exception », souligne-t-il
Dans son réquisitoire, le parquet spécial estime que « la loi n’a jamais dit que celui qui est poursuivi d’un enrichissement illicite doit être titulaire de la fonction durant laquelle il a commis les actes. Si tel est le cas, on ira à la haute cour de justice. L’article 101 vise les infractions pendant que les personnes sont en activité. On ne peut pas remonter la constitution de l’infraction à l’exercice des fonctions gouvernantes ».Et son substitut d’ajouter : « l’enrichissement n’est pas une procédure relative à la gestion, mais celle du patrimoine. Or, un élément du patrimoine découvert à partir d’un moment où la personne n’a plus la qualité première, subit un régime ordinaire ».
Ce qui amène le parquet ,dans son réquisitoire, a demandé à la cour de se déclarer compétente pour connaitre du délit d’enrichissement illicite.
La mise en demeure, élément constitutif ou non du délit
La constitution du délit d’enrichissement illicite a secoué les débats. Selon Me Madické Niang, « la mise en demeure ne peut jamais être servie à un ministre en fonction. Même après la cessation des fonctions, l’immunité continue de jouer pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions ». Le délit de prescription ne se prescrit pas tant qu’il n’ y a pas la mise en demeure, soutient Me Pape Leyti Ndiaye .Mais pour la partie civile « la mise en demeure n’est que le premier élément de la constitution du délit d’enrichissement illicite ». Parce que, soutient-elle, « l’enrichissement illicite se constitue à partir du moment où la personne est soit dans l’impossibilité d’apporter des justificatifs ou que les éléments de réponse sont insuffisants ».
ME EL HADJ DIOUF, AVOCAT DE LA PARTIE CIVILE - «Nos amis baignent dans une contradiction inouïe»
Ils ont crié victoire l’autre jour. Quelle malhonnêteté intellectuelle ? N’est-ce pas que les avocats de la défense avaient soulevé l’irrecevabilité de la constitution d’avocat de Me Moustapha Mbaye et moi-même, Me El Hadj Diouf. Est-ce qu’ils ont eu gain de cause ? Ils ont été aussi débouté en même temps qu’El Hadj Diouf qui avait soulevé l’irrecevabilité de la constitution d’avocat d’un ancien Premier ministre et d’un ministre. Il ne faut pas qu’on trompe l’opinion.
Mais ce qui est plus grave, c’est que ces mêmes avocats, après avoir crié victoire, disent avoir gagné la première phase et qu’ils vont avoir d’autres victoires. Je reviens pour poser la question à savoir : qui leur a donné cette victoire dont ils parlent ? C’est la Crei. Et ils disent que la Crei n’existe pas, elle est illégale, anticonstitutionnelle, incapable de juger. Et malgré tout, contre toute attente, ils soutiennent que cette Cour qui leur a donné victoire, n’existe pas. C’est paradoxal. Nos amis baignent dans une contradiction inouïe. Ils peuvent dire qu’ils vont gagner demain. Demain appartient à Dieu et la Cour tranchera. Nous allons nous retrouver pour voire qui aura honte, qui aura préservé son honneur et sa dignité et l’histoire retiendra. Ces incohérences, vous-mêmes, vous les avez soulevées. On dit qu’une Cour est incompétente, qu’elle n’existe pas, et on la demande une liberté provisoire pour Karim Wade. Il faudrait savoir ce que l’on veut. Les nombreuses contradictions et incohérences de la défense, vous les avez relevées. Cela prouve que la vérité est révolutionnaire».
CIRE CLEDOR LY, AVOCAT DE LA DEFENSE - « Les avocats de l’Etat entretiennent la confusion »
Par rapport au temps pris par les avocats relativement à l’exception d’incompétence, Me Clédor Ly, signale une stratégie entretenue par les avocats de la partie civile visant à créer la confusion : « Les avocats de l’Etat ont intérêt à ce qu’il y ait la confusion dans l’esprit de la cour et du peuple. Ils sont dans leur rôle depuis le départ. Ils sont entrés dans la procédure par intrusion, ils y restent par la force. ». Et de préciser : « nous ne sommes pas encore sur certaines questions. Nous sommes pour le moment à une seule exception d’incompétence où nous demandons à la cour de statuer sur sa propre compétence. En tout cas, à travers le droit interne, les normes internationales, jurisprudentielles et de la doctrine, nous avons pu démontrer que la cour n’a pas compétence à juger Karim Wade ». Maintenant, précise-t-il, « sur l’incompétence de la CREi, certains pensent que son inexistence peut être un argument. La cour estimera si l’inexistence peut être une cause de nullité ou rentrer dans le cadre de la procédure ».