La deuxième journée du procès de Karim Wade et compagnie devant la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) était attendue comme une audience au cours de laquelle, les premières décisions de cette juridiction devaient tomber. Elles ont été au rendez-vous mais avec des fortunes diverses. (Voir ci-contre et par-ailleurs).
Un petit héros nommé Rampino
La cour devait entamer sa séance en réglant des questions qui étaient restées en suspens. La première de ces questions aura été de fixer le sort qui serait réservé au jeune Moïse Rampino qui avait provoqué un grave trouble à l’audience, jeudi dernier, en insultant les magistrats de la cour. Appelé à la barre, le jeune militant qui se revendique parmi les ultras du Parti démocratique Sénégalais (Pds) a voulu, encore une fois de plus, marqué les esprits. Il a rajouté une couche aux insultes à l’endroit de la cour et du président de la République Macky Sall. Moïse Rampino a voulu jouer au héros, la cour lui en a donné l’occasion en lui infligeant deux années d’emprisonnement ferme. Cette décision aura été un sévère avertissement pour tous ceux qui seraient tentés d’imiter l’insolence de Rampino. Il n’aura laissé à la cour la possibilité de lui trouver la moindre circonstance atténuante. D’ailleurs, il s’est trouvé dans la salle de nombreux militants du Pds qui ont manifesté leur désapprobation de l’attitude du jeune Rampino.
Moïse Rampino pourra peut-être se satisfaire un jour de titre de gloire dans la marche politique de Karim Wade. Une autre tuile reste suspendue au dessus de la tête de Moïse Rampino à savoir l’éventualité brandie par la cour de poursuites devant le Tribunal correctionnel pour le délit d’outrage à magistrat. Sur ce point, on peut rester dubitatif car la cour ne saurait préjuger de l’appréciation que le procureur de la République pourrait faire de l’opportunité de telles poursuites. Il s’y ajoute qu’on pourrait bien se demander si l’outrage à magistrats serait détachable de l’infraction pour laquelle Moïse Rampino venait d’écoper de deux années d’emprisonnement ferme.
Quand tout le monde pourra plaider...
La Crei avait mis en délibéré une exception soulevée in limine litis par un des avocats de l’Etat du Sénégal, Me El Hadji Moustapha Diouf, tendant à la récusation de la constitution de ses confrères Mes Souleymane Ndéné Ndiaye (ancien Premier ministre), Madické Niang et Alioune Badara Cissé (anciens ministres des Affaires étrangères) qui avaient fait devant la cour acte de constitution pour la défense de Karim Meïssa Wade. L’avocat récusateur estimait que la loi ne permettrait pas aux anciens membres du gouvernement de se constituer dans une cause en faveur ou contre l’Etat, ceci avant un délai de trois ans après la cessation de leurs fonctions gouvernementales. De leur côté, les avocats de Karim Wade cherchaient à arroser l’arroseur, en demandant, dans les mêmes termes, la récusation de Me El Hadji Moustapha Diouf, qui est présentement député à l’Assemblée nationale. La bataille fut âpre entre les deux camps.
Le ministère public, sollicité pour faire ses observations sur cette affaire, se déroba en déclarant ne point se mêler d’une affaire entre avocats. C’était mal à propos car cette question était une question de procédure qui pourrait affecter la régularité des actes pris par la Crei et susceptibles d’être déférés ultérieurement en Cassation. Le Procureur spécial Alioune Ndao et son adjoint Antoine Diome ont donc fait montre de ponce-pilatisme coupable. Leur attitude peut révéler cependant qu’ils voudraient exprimer le fait que la constitution des avocats ne les gênerait nullement et que cela ne pourrait fondamentalement pas changer grand-chose au fond du dossier. Mais enfin, la cour a tranché cette question mais par une pirouette. Le Président Henri Grégoire Diop et ses assesseurs ont jugé rejeter les exceptions soulevées de part et d’autre au motif principal qu’ils ne pourront juger que sur pièce alors qu’aucune partie n’a versé dans le dossier, des actes administratifs relatifs à la cessation des fonctions gouvernementales des avocats dont la validité de la constitution serait en cause.
La façon dont cette question a été réglée laisse de nombreux juristes sur leur faim. En effet, une telle position serait recevable dans le cadre d’une procédure civile mais la Cour a semblé oublier qu’elle officie dans le cadre d’une procédure pénale. Or, en matière pénale, la preuve peut être établie par tous moyens et dans le cas d’espèce, en rendant son verdict, le président de la Crei n’a même pas occulté en savoir sur cette situation par ailleurs. Naturellement, tout le monde dans la salle pouvait savoir que Souleymane Ndéné Ndiaye et Madické Niang ont cessé d’être membres du gouvernement depuis la défaite du Président Abdoulaye Wade à l’élection présidentielle de 2012, donc il y a moins de trois ans. Personne dans la salle d’audience ne pouvait être sans savoir que Me Alioune Badara Cissé avait été membre du premier gouvernement de Macky Sall formé au l’issue de la même Présidentielle de 2012, donc il y a moins de trois ans. En définitive, tous les avocats pourront plaider dans cette affaire. La décision de la cour a l’avantage néanmoins de couper l’herbe sous le pied de tous ceux qui comptaient sauter sur une invalidation de la constitution de certains avocats de la défense pour crier à l’injustice, pour dire que les droits de la défense ne sont pas garantis.
Le dérapage regrettable de Henri Grégoire Diop
Après avoir soldé cette querelle entre avocats, le président de la Crei a estimé devoir ramener de la sérénité et prêcher la bonne ambiance entre les avocats des différentes parties. Mais il versera lui-même dans la polémique. On a pu constater que les attaques dirigées contre la cour par les avocats de Karim Wade lors de la première journée d’audience et surtout à travers les médias sont restées en travers de la gorge des magistrats de la cour. Henri Grégoire Diop a tenu à recadrer les avocats «notamment étrangers qui semblent penser qu’ils sont encore au temps de la colonisation. La colonisation est terminée depuis plus de cinquante ans et les attaques contre les institutions du Sénégal ne sont pas acceptables».
Quelques membres du public semblaient acquiescer, mais le propos sorti de la bouche du président de la cour a gêné plus d’un. Me Alioune Badara Cissé se dévouera pour monter à la barre et dire ses regrets pour la sortie maladroite du président de la cour. Au corps défendant du Président Diop, on soulignera que les déclarations du bâtonnier de Paris, Me Pierre Olivier Sur, tendant à discréditer la Crei et le Président Macky Sall, pouvaient paraître inacceptables mais il n’appartenait pas au président de la cour de relever cela de façon aussi directe. Le message aurait mieux passé s’il se limitait à des généralisations quant au respect dû à la cour et aux institutions de la République d’un Sénégal.
L’indécence au sujet de l’état de santé de Bibo Bourgi
L’état de santé du prévenu Bibo Bourgi avait été une autre pomme de discorde entre les avocats des deux parties. Les avocats constitués par l’Etat du Sénégal avaient dans un premier temps demandé la comparution du médecin traitant de Bibo Bourgi pour s’expliquer sur l’état de santé de Bibo Bourgi. Me Yérim Thiam finira par renoncer à une telle demande car la cour avait tranché la question de la présence de Bibo Bourgi à l’audience en le dispensant de présence aux audiences du jour et celle du lendemain.
On se rappelle que lors de l’ouverture du procès, le président de la Crei avait décerné un mandat d’amener à l’encontre du prévenu hospitalisé. Ce dernier avait comparu sur chaise roulante avec des perfusions bien visibles. On aurait pu reprocher à la cour d’avoir laissé prospérer des débats autour de la santé du prévenu mais Henri Grégoire Diop précisera, à qui voudra l’entendre, que la cour tenait à préserver le secret médical et certains aspects relatifs à l’état de santé de Bibo Bourgi et à la nature des pathologies dont il souffrirait, étaient le fait de ses propres avocats.