La deuxième manche du rayon des exceptions passait devant le prétoire la question de la compétence de la Cour de répression de l’enrichissement illicite. De l’avis des avocats de Karim Wade et de ceux de ses coinculpés, cette formation est incompétente pour connaître des faits pour lesquels elle est saisie. Arguments vigoureusement battus en brèche par le Parquet spécial. La cour entendra les observations de la partie civile aujourd’hui.
Les obus de cette exception visent en plein dans le mille la compétence de la Crei à juger Karim Wade et ses présumés complices. Pour les avocats de ces derniers, cette incompétence de la Crei est une évidence. «J’espère que la Crei va disparaître. Nous devons nous lever contre l’arbitraire», souhaite l’un d’eux avant d’assurer que la procédure enclenchée contre Karim Wade n’existe plus depuis le 14 octobre 2013. Pour eux, tout cet engrenage n’est rien de plus qu’une vaste supercherie juridique. Alors que le Procureur spécial Aliou Ndao leur avait suggéré de soulever toutes les exceptions avant de débattre sur le fond, les avocats ont regimbé : «Personne ne peut pas nous obliger à soulever toutes nos exceptions. L’incompétence est une question préalable à trancher. Nous avons d’autres exceptions, mais nous n’allons pas dévoiler nos batteries.»
Pour les avocats, la Crei a été tacitement abrogée à la faveur de la réforme judiciaire du Sénégal de 1984. Depuis cette réforme, la Crei a disparu du panorama juridique sénégalais avant d’être par la suite ressuscitée par des décrets de 2012 portant nomination des membres de cette cour. Ils précisent que seule une loi peut créer de nouveaux ordres juridictionnels ou les modifier. Rappelant une jurisprudence, un des défendeurs assure qu’un juge parmi les magistrats siégeant à la Crei a déjà pris une décision allant dans le sens de déclarer un décret présidentiel illégal. Pour lui, cette jurisprudence est identique à celle de l’affaire en cause. Par voie de conséquence, il juge le décret portant nomination des membres de Crei illégal.
D’autres conseils visent, eux, l’arrêt de renvoi lui-même. L’avocat de Mbaye Ndiaye, ex-Dg l’Agence des aéroports du Sénégal (Ads), explique ne pas comprendre en quoi son client «a pu se rendre complice de Karim Wade». Invoquant l’incompétence à un double point de vue ratione materiae et ratione temporis, l’un des avocats de Pape Abdou Diassé pense que la Crei est «radicalement incompétente» et relève que le délit d’enrichissement illicite ne peut s’appliquer à une personne sans qualité.
L’avocat de Pierre Agboba opère, quant à lui, avec une certaine subtilité. Pour lui, le combat sur la compétence est perdu d’avance. «Est-ce qu’on peut se poser des questions sur la compétence d’une juridiction ayant déjà pris des actes juridictionnels ?», s’interroge-t-il. Avant de répondre : «Une juridiction incompétente ne peut pas prendre des actes juridictionnels. C’est un combat légitime en droit, votre cour est incompétente. On doit débattre sur des textes obscurs. Mais là, les choses sont claires. Le texte sur la Crei a réglé le débat. La Haute cour de justice est compétente, parce que Karim Wade est poursuivi pour des faits rattachables à l’exercice de ses fonctions de ministre.»
Alioune Ndao : «Nous ne sommes pas des comploteurs»
L’autre argument soulevé par les conseils est d’opérer une similitude entre les affaires Karim Wade et Idrissa Seck. Antoine Félix Diome, substitut du Procureur spécial relativement à la Crei, observe : «En vertu du parallélisme des formes, lorsqu’une juridiction est créée par une loi, il faut que ce soit une loi qui la révoque.» Alors que les avocats des inculpés remarquent que la Crei ne figure pas dans la liste énumérative des juridictions de la loi de 1984, le substitut objecte : «Ce n’est pas seulement la Crei qui ne figure pas dans la loi 84-19. La Cour des comptes, par exemple, n’y figure pas.» Pour lui, ses adversaires confondent «immunité et privilège». Or, Karim Wade a été président du Conseil de surveillance de l’Anoci alors qu’aucune immunité n’est attachée à cette fonction. Pour sa part, le Procureur spécial Aliou Ndao note qu’il n’y a pas d’enrichissement illicite dans le dossier Idrissa Seck. «En ce moment, j’étais conseiller technique d’un ministre de la Justice aujourd’hui dans la salle et il n’a jamais été question d’enrichissement illicite. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?», bétonne-t-il avant de préciser : «Nous ne sommes pas des comploteurs.»
La cour, après avoir écouté la défense et le Parquet spécial, a suggéré aux conseils de la partie civile, de remettre leurs plaidoiries au lendemain (aujourd’hui). Ce que les avocats ont accepté pour mieux étudier les documents fournis par la défense.