DAKAR - Un livre d'un officier supérieur de la gendarmerie sénégalaise intitulé "Pour l'honneur de la gendarmerie nationale", publié à Paris, fait polémique au Sénégal où il n'est pas encore disponible, mais dont de larges extraits ont été publiés par la presse locale.
L'auteur de l'ouvrage, le colonel Abdoulaye Aziz Ndaw, actuel attaché militaire auprès de l'ambassade du Sénégal à Rome, a été haut-commandant adjoint de la gendarmerie nationale.
Dans son livre, il accuse son supérieur direct, le général Abdoulaye Fall, ancien haut-commandant de la gendarmerie et actuel ambassadeur du Sénégal au Portugal, de corruption et de détournement de deniers publics.
Le colonel Ndaw cite entre autres "scandales", le cas des fonds de la coopération entre le Sénégal et le Frontex (Agence européenne pour la sécurisation des frontières extérieures de l' Union européenne) qui, écrit-il, "a généré des millions, voire des milliards (de francs CFA)"
Mais, poursuit Ndaw, "comme d'autres fonds, services rétribués, fonds des élections, ils ont été détournés de leurs objectifs et de leur but par un général véreux, corrompu. Avec la complicité de son cabinet et de certains officiers placés à des postes clés pour assurer une prédation continue et sans faille de toutes les ressources de la gendarmerie".
Autant d'accusations graves qui ont fait réagir, hommes politiques et acteurs de la société civile.
Pour le président du groupe parlementaire de la majorité présidentielle, Moustapha Diakhaté, "c'est un livre assez compromettant aussi bien pour l'image de la gendarmerie mais aussi pour notre pays".
"On a des outils comme la commission d'enquête parlementaire, l' audition, des questions écrites ou des questions orales, des missions d'information (..) Je verrai, après lecture du livre, quel est l'outil le plus adapté. En tant que parlementaire nous avons le devoir vis-à-vis de notre peuple de savoir ce qui s'est réellement passé", déclare le député.
Le Forum civil, section sénégalaise de Transparency international, salue le "courage et la responsabilité" du colonel Ndaw qui, dit-il, a "révélé les vices qui minent le corps de la gendarmerie".
Mouhamed Mbodji, coordonateur du Forum civil, interpelle le président de la République et l'Office national de Lutte contre la Fraude et la Corruption (OFNAC) pour faire la lumière dans cette affaire.
Le gouvernement qui avait dans un premier temps refusé tout commentaire sur cette affaire a fini par se prononcer. Le ministre des Forces armées, Augustin Tine, annonce la saisie de l' inspection générale des forces armées pour "enquêter sur les allégations du livre et en tirer toute les conséquences de droit".
Le ministre annonce également le rappel à Dakar du colonel Ndaw pour "répondre aux conséquences de ses actes au plan disciplinaire ", car, poursuit le ministre, il "a violé la réglementation en publiant ce livre, sans l'autorisation de sa hiérarchie. Par "ce fait, il a violé une obligation fondamentale qui pèse sur l' ensemble du personnel des forces armés : l'obligation de réserve".
Au Sénégal, la loi qui organise la défense nationale impose aux officiers d'active et de réserve, l'obligation de réserve jusqu'à l'âge de 65 ans. C'est-à-dire cinq ans après la retraite. Or, le colonel Ndaw est âgé seulement de 59 ans.
Citant par ailleurs le code de justice militaire, Augustin Tine, assimile "les agissements" de Ndaw à "une trahison, une révélation de secret classifié défense ou pouvant porter atteinte au moral des militaires".
Mais l'auteur du livre semble avoir prévu ses réactions et s' être préparé en conséquence. Dans une interview accordée au journal Enquête, le colonel Ndaw déclare : "Non seulement je n'ai pas tout dit, mais encore j'ai des preuves de tout ce que j'avance. Et si j'ai pris le risque de tout révéler, c'est en connaissance de cause. Je ne marche jamais aveuglément".