De la Magistrature en passant par la police, la gendarmerie, la douane, les faits, si dissemblables soient-ils, finissent toujours de la même manière. Enquête administrative, mis en cause blanchis. Alors que le cancer continue de ronger ces grands corps de l’Etat.
Le hasard du calendrier montre l’Etat de nos angoisses. Exactement à la même période de l’année dernière, le Sénégal est touché dans son cœur par un scandale qui maquille de honte l’uniforme de la police. Bis repetita : après la drogue dans la police, la gendarmerie est éclaboussée dans son honneur durant ce sombre juillet qui jette une lumière blafarde sur cette institution. Longtemps, elle est restée en marge des dossiers noirs qui peuvent éroder une réputation bâtie sur l’intégrité et le professionnalisme. Le brûlot publié par l’attaché militaire et naval à l’ambassade du Sénégal à Rome, Abdoulaye Aziz Ndao, montre qu’il y a d’autres reflets qui apparaissent derrière la glace. Sans doute, ce juillet est un mois aussi sombre que ces terribles révélations qui ternissent ces deux corps. Il dessine Abdoulaye Fall, Haut commandant de la gendarmerie jusqu’à sa retraite, sous les traits d’un général «corrompu» et roublard. Renversant !
Si dissemblables soient-ils dans les faits, les scandales qui mouillent la police, la douane, la Magistrature finissent toujours de la même manière. Après l’enquête administrative, la machine s’arrête net pour éviter d’explorer d’autres sphères beaucoup plus sensibles. L’Etat feint de stopper l’hémorragie. Alors que le cancer continue de ronger tout le corps. Complices, les autorités donnent des pilules… sans lendemain pour étouffer les demandes pressantes de certains défenseurs de l’Etat de droit. S’ensuit le bug médiatique. Le tour est joué.
Dans l’histoire de la Magistrature, l’affaire de corruption qui met en cause des juges est restée mémorable. C’était en 2005. Le personnage principal de cette affaire, Aminata Mbaye, avocate générale à la Cour d’appel de Dakar, est envoyé à la retraite anticipée. Elle coule ses jours heureux au Canada. Les complices continuent de servir dans la Justice sénégalaise. Toute honte bue. Après des sanctions maquillées, ils ont été recyclés dans le système. Récemment, un haut fonctionnaire de la douane est cité dans une affaire de gros sous. Diadji Bâ, qui avait thésaurisé 150 millions de francs Cfa chez lui, est rattrapé par la patrouille après qu’une bande de délinquants lui a subtilisé le sac rempli de liasses. Il porte plainte. La hiérarchie se saisit de l’affaire. Il est limogé de son poste de Dakar-Pétrole, une plateforme portuaire où coulent beaucoup de millions et mis à la disposition de la direction générale des Douanes. Clap de fin. Alors que les présumés voleurs de son «butin» sont toujours dans l’attente de leur procès. Cet épisode rappelle l’affaire des Bons à enlever (2005) qui a semé le trouble dans les rangs de la douane en impliquant plusieurs officiers. Que sont-ils devenus ? Ils servent toujours le système. Comme si de rien n’était.
Enquête administrative et bug médiatique
Eclaboussé par le scandale de la drogue, l’ex-directeur général de la Police nationale est limogé de son poste. Il sera blanchi par la justice. Son dénonciateur, le commissaire Cheikh Keïta, est conduit à l’échafaud. Désavoué, il est radié de la police qui n’a jamais cherché à savoir les connexions douteuses entretenues par les narcotrafiquants et des responsables de l’Ocrtis. L’arrestation du ripou, Ibrahima Dieng, étale sous la lumière du jour que ce service est infecté par des dealers dont le business est encadré par certains flics voyous.
C’est un pari : il est pratiquement probable que cette affaire connaîtra le même épilogue que les autres histoires. Gendarme en service, qui a pris un risque énorme pour briser l’omerta et sortir de sa réserve, le colonel Abdoulaye Ndao s’expose aux sanctions qui ont brisé l’élan de l’intrépide Keïta. Peut-on mouiller un ancien Haut commandant de la gendarmerie, directeur de la Justice militaire ? Le pari semble perdu au milieu de l’audace. A l’image des autres affaires, l’institution sera sans doute préservée pour cacher les plaies qui gangrènent le cœur de l’Etat.
Aujourd’hui, un romancier bien inspiré pourrait concocter une histoire pleine d’intrigues et de dénouements sans surprises sur toutes ces affaires qui affaiblissent certains corps de l’Etat. Lesquels bâtissent la fierté d’un Etat et garantissent sa sécurité. Ici, un dénouement-surprise ne se projette pas sous nos yeux avides de découvrir le véritable profil de ces hommes qui régentent le bon fonctionnement de la société sénégalaise. A chaque fois, le mot fin de l’histoire prend les apparences d’une évidence : les enquêtes sont commanditées avant d’être rangées au fond des tiroirs de la République qui dissimilent les péchés de ses «éminences grises» en «secrets d’Etat». L’expression cache mal un malaise ambiant qu’il entretient pour garantir une «impunité» à certains agents «véreux» qui profitent de leur position pour se sucrer sur la «bête». Sacrés veinards !