Le sculpteur Ousmane Sow, 78 ans, va entrer à l'Académie des beaux arts à Paris, en tant que membre associé étranger, le premier Africain à entrer sous cette coupole-là. Ce mercredi 11 septembre, à 15 heures, l'artiste sénégalais sera installé par Jean Cardot, dans un fauteuil précédemment occupé par le peintre américain Andrew Wyeth (1906-2001), alors que le monde célèbre la mémoire de Neslon Mandela, que Sow a statufié.
« Mandela occupera une place extraordinaire dans l'histoire de l'humanité, comme Gandhi ou Jésus : il est arrivé à réconcilier un peuple ; je ne dis pas qu'il n'y a plus de racisme en Afrique du Sud mais il en a fait une société apaisée », explique Ousmane Sow dont la statue du dirigeant sud-africain, sculptée en 2009, se trouve au siège de la Compagnie française d'Afrique occidentale à Sèvres (Hauts-de-Seine).
L'entrée d'Ousmane Sow à l'académie des beaux arts va réunir une foule plus bigarrée qu'à l'ordinaire, des chanteurs Jane Birkin ou Youssou N'Dour à l'écrivain Jean Christophe Rufin jusqu'au couturier d'origine tunisienne Azzedine Alaïa, qui lui a offert son habit de cérémonie. C'est l'ancien président du Sénégal Abdou Diouf, secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie, qui remettra l'épée au nouvel académicien.
Ousmane Sow en a dessiné lui-même le pommeau, avec un homme Nouba en plein vol plané. « Je l'appelle le saut dans l'inconnu », explique le géant à la barbiche blanche, « car je ne regrette pas de m'être lancé dans l'art à 50 ans passés », avec de premières grandes sculptures représentant des lutteurs Nouba du Sud-Soudan, inspirées par le travail photographique de la cinéaste Leni Riefensthal.
Né à Dakar en 1935, Ousmane Sow débarque à Paris à l'âge de 22 ans, où il vit de petits boulots avant d'entrer à l'école de kinésithérapie de Boris Dolto, un personnage qui le marquera fortement. A l'indépendance du Sénégal, en 1960, il opte pour la nationalité de son pays natal où il s'installe. Après plusieurs décennies à soigner les corps, il choisit de les modeler dans une mixture dont il a le secret, à base de sable, de paille et de jute, soit une vingtaine de produits longuement macérés ensemble. La carrière d'Ousmane Sow a pris un tour décisif à partir de 1999 quand, en face de ce même Institut de France, il expose ses sculptures sur le pont des Arts, au-dessus de la Seine.
3 MILLIONS D'ADMIRATEURS POUR LE GRIOT DE LA GLAISE
Trois millions de personnes ont admiré ses œuvres gigantesques, grandiloquentes et sensuelles, pétries de terre africaine. Les critiques d'art contemporain avaient beau s'étonner de cet engouement pour une œuvre figurative, décrier le « tapage » médiatique, les curieux ont continué d'affluer sur le pont, au point que certains se sont inquiétés de sa solidité. « Le Pont des Arts est un événement qui est resté dans les mémoires, dans tous les pays : les gens m'en parlent comme si c'était hier, en se trompant de dates ou de pont de Paris, mais ils ont encore les yeux qui brillent », se félicite Ousmane Sow, surnommé le griot de la glaise par l'écrivain John Marcus.
Ethnies d'Afrique puis Indiens d'Amérique représentant, en 1999, « la bataille de Little Big Horn », éclatante victoire sur le général Custer : Ousmane Sow fait l'apogée des fragiles contre les puissants, de David contre Goliath. « Ceux qui se soumettent sans rien tenter ne m'intéressent pas : j'aime souligner que les petits ont une chance contre l'asservissement », confirme-t-il. Après ces grandes séries, l'artiste a représenté des personnalités qu'il estime, de celles qui empêchent « de désespérer du genre humain ».
TRENTE ANS APRÈS LÉOPOLD SENGHOR
Dans la série intitulée « Merci », on trouve pêle-mêle : son propre père (un poilu de 14-18), Victor Hugo, le Général de Gaulle, Martin Luther King, Nelson Mandela... Il doit prochainement livrer une statue de Toussaint Louverture – libérateur de Haïti mort dans une prison française – commandée par la ville de La Rochelle, qui a décidé d'assumer son passé négrier.
Trente ans après un autre Sénégalais, Léopold Senghor, reçu le 2 juin 1983 à l'Académie française, Ousmane Sow considère comme « un véritable honneur que de représenter aujourd'hui le peuple noir au sein de l'Institut ».