L’enseignant-chercheur Ibrahima Wane a reçu samedi le grade de docteur d’Etat ès lettres de l’Université Cheikh Anta Diop pour sa thèse intitulée : ‘’Chanson populaire et conscience politique au Sénégal : l’art de penser la nation’’, un travail scientifique qui lui a valu la mention ‘’très honorable’’ et les félicitations du jury.
Le nouveau docteur d’Etat ‘’fait découvrir, dans sa thèse, comment des textes musicaux engagés contribuent à l’émergence ou à la consolidation d’un certain nombre de valeurs de civilisation comme la bravoure, le sens de l’honneur, la dignité, l’éthique, l’endurance...’’, a souligné le président du jury, le linguiste et grammairien Moussa Daff.
‘’En ayant campé votre texte entre 1960 et 1985, vous mettez en exergue deux figures politiques : les présidents Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf. On voit comment tous ces éléments sont organisés et comment l’Etat, par le biais de la chanson populaire, devient une instance républicaine qui fixe les règles sociales’’, a-t-il indiqué.
Le professeur de lettres Bassirou Dieng a pour sa part qualifié Ibrahima Wane d’un ‘’des plus brillants chercheurs de sa génération’’, soulignant qu’avec lui ‘’il est beaucoup plus question de partage que d’autre chose’’. ‘’Il est capable de fonder une école, de bousculer les frontières de la recherche, s’il en a le vouloir’’, a affirmé M. Dieng.
Dans son travail, Wane propose une lecture de l’histoire politique du Sénégal à travers la chanson populaire, analysant 84 compositions de 47 auteurs, dans la période allant de 1960 à 1985.
Il y parle notamment de la transition des groupes folkloriques à la formation des premiers orchestres, des événements culturels qui ont servi ‘’d’embrayeurs’’ – selon Bassirou Dieng -, comme le premier Festival mondial des arts nègres (avril 1966), la place centrale de la chanson dans l’activité de l’homme politique, le rôle des clubs culturels surtout dans les formations politiques de gauche alors dans la clandestinité.
Le professeur Amadou Ly a, lui, signalé que ‘’cette thèse fait le point sur une question d’ordre littéraire qui a une portée sociopolitique fondamentale qu’elle éclaire’’, regrettant cependant l’absence d’annexes telles que des photographies ou des transcriptions de quelques chansons en notes musicales.
Il a salué le travail sur le contenu idéologique et social des chansons politiques, l’esprit de recherche d’Ibrahima Wane qui, a-t-il dit, ‘’nous met en face d’une partie très importante de notre héritage artistique et de ce que notre génération va léguer, parce qu’il s’agit là d’une étude sur les dernières productions de l’oralité’’.
Dans la présentation de son travail, Ibrahima Wane a signalé que le parcours qui a mené à sa thèse d’Etat a commencé il y a une vingtaine d’années, lorsqu’il s’est intéressé à la littérature orale à travers les enseignements de Bassirou Dieng. Ainsi a-t-il été conduit à ‘’mettre à distance les signes, les discours qui peuplent (son) quotidien’’ et à apprendre à ‘’lire autrement (son) univers’’.
Le fait de baigner dans cet univers où évoluent Amade Faye, Amadou Ly, Bassirou Dieng, qu’ils considèrent comme ses maîtres, l’a conduit à ce travail de recherche et d’analyse, avec l’objectif de ‘’faire autant qu’eux en contribuant à ouvrir quelques volets du champ qu’ils ont initié’’, a-t-il expliqué.
Pour cette thèse de 621 pages – en deux volumes (une partie théorique et un corpus de textes en pulaar et wolof, traduits en français) – le chercheur procède à une étude du contexte de genèse de ces œuvres, lesquelles apparaissent, selon lui, ‘’à la fin des années 1960 en contrepoids du discours officiel’’.
Ibrahima Wane relève en conclusion que la chanson constitue un lieu de symbiose de différents héritages, signalant que la langue dans laquelle elle est dite est une vision du monde qui réarticule le message. Le nouveau docteur d’Etat analyse aussi les questions de la modernité et du développement en soutenant que la première ‘’n’est pas contradictoire à un retour à soi’’.
‘’C’est une excellente thèse, d’une grande facture. Ibrahima Wane a produit un bon texte, uni, organisé et cohérent, qu’on lit avec beaucoup de plaisir. La langue est claire. Les insuffisances sont plus liées aux contraintes de temps qu’à votre valeur intrinsèque’’, a dit le président du jury, le linguiste et grammairien Moussa Daff, avant la délibération.
La soutenance de cette thèse d’Etat – dirigée par le professeur de lettres de Bassirou Dieng – s’est déroulée, pendant un peu plus de trois heures, à l’amphithéâtre de l’Ecole des bibliothécaires, archivistes et documentalistes (EBAD).
Outre MM Daff et Dieng, le jury comprenait le linguiste Momar Cissé, le philosophe Ibrahima Sow et le professeur de littérature africaine Amadou Ly, qui ont tous donné leur appréciation et critique.