C’est une longue bataille entre les Cae et le Tchad. Le transfèrement des deux ex-responsables de la Dds, inculpé au même titre que Hissein Habré pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et torture, crée la fracture entre les deux parties. Mais, les juges commencent à se rendre compte de l’évidence : Ndjamena ne se presse pas pour mettre les deux agents à la disposition des Cae. Sans eux, la tenue du procès est de plus en plus compromise. Il ne reste que la piste diplomatique via l’Ua pour presser Idriss Deby à respecter ses engagements.
Depuis un an, l’enquête tourne autour de Dakar et Ndjamena avec une multitude d’auditions et de Commissions rogatoires. Mais, de sérieuses doutent planent sur la tenue du procès de l’ancien président du Tchad annoncée en Avril 2015. Le Procureur général près des Chambres africaines extraordinaires, Mbacké Fall, qui avait annoncé cette date ne semble plus sûr de rien. Alors que Habré est incarcéré depuis un an pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et torture.
Mercredi dernier, à l’occasion de l’an I de l’inculpation de Hissein Habré, Serigne Mbacké Fall, répondant aux questions des journalistes, a déclaré que les Chambres africaines extraordinaires attendent toujours la réaction des autorités tchadiennes pour que l’instruction puisse être bouclée dans les délais raisonnables. Il a ajouté, en effet, que «sans la présence de Saleh Younous et Mahamat Djibrine inculpées au même titre que Habré à Dakar, le procès ne pourrait pas se tenir à date échue».
Aujourd’hui, le dossier se complique au fil de l’instruction. Et la suite à donner à cette affaire reste suspendue à la réaction des autorités tchadiennes. Depuis la troisième Commission rogatoire internationale à Ndjamena, l’Etat du Tchad commence à afficher des signes de réticence et collabore à peine avec les juges sénégalais chargés d’enquêter sur son sol. L’enthousiasme est retombé au fil de l’instruction et des inculpations qui mettent en cause de proches du régime du Président Deby.
Préférant la carte de l’enlisement dans cette affaire, le gouvernement du Tchad joue la montre. «L’Etat tchadien peut faire durer le transfèrement obligeant les juges à clôturer l’instruction sur l’inculpé présent à Dakar c'est-à-dire Hissein Habré», a d’ailleurs analysé Hugo Moudiki Jombwé, expert en droit pénal international. Cette stratégie semble être adoptée par le Tchad qui reste sourd à tous les appels pour «extrader» les présumés complices de Habré pour les mettre à la disposition des Cae. Le ministre de la Justice du Tchad, Béchir Madet, l’a affirmé récemment lors de son séjour à Dakar. Sans les codes diplomatiques requis, il soutenait que «le transfèrement de ces deux ex-responsables de la direction de la Documentation et de la sécurité (Dds, police politique de Habré) que son pays n’acceptera aucun ultimatum ni aucune pression de la part des Chambres africaines extraordinaires». «Cette attitude serait-elle les conséquences du rejet de la constitution de partie civile du Tchad dans l’affaire Habré», s’interrogent certains observateurs.
Saisine de l’Union africaine
Cette attitude du Tchad va obliger certainement les Cae à scruter d’autres options. Des sources proches des Chambres avancent pour le moment la voie diplomatique comme une solution pour amener le régime de Idriss Déby à une collaboration plus «sincère». La carte diplomatique arrivera-t-il à dépasser cette situation? De toute façon, les Chambres africaines extraordinaires sont déterminées à aller jusqu’au bout pour faire la lumière sur cette affaire. «Elles n’écartent pas l’idée de saisir l’Union africaine qui avait mandaté le Sénégal à juger Habré mais aussi la communauté internationale afin que celles-ci fassent pression sur le Tchad pour l’amener à jouer le jeu. Car, il n y ait pas de raison que ces personnes ne puissent pas être transférées à Dakar», révèlent des sources.
De l’avis de Hugo Moudiko Jombwe, l’Union africaine ne dispose d’aucun moyen de coercition pour contraindre le Tchad à transférer ces deux-ex responsables de la Dds. Par contre, souligne l’expert en droit pénal international, les juges des Chambres africaines extraordinaires peuvent ne pas suivre le Parquet. Ils peuvent boucler l’instruction et renvoyer le principal inculpé qu’est Habré sans les deux autres inculpés devant la Cour d’assises des Cae. Mais, il reste une question : Les juges vont-ils se désolidariser du Procureur dans sa volonté d’avoir sous sa main les autres inculpés ? Les Chambres seront-elles crédibles aux yeux de l’opinion sénégalaise et internationale si elles organisent le procès de Habré sans les autres inculpés ? Il y va de la crédibilité des Cae…que la défense ne cesse de vouer aux gémonies.