Un an après l’incarcération de l’ex-Président du Tchad, on peut dire pour l’instant que le bilan est mitigé. Malgré des actes importants qui ont été posés dans le cadre de cette procédure, beaucoup de choses restent à faire notamment le transfèrement des codétenus de Habré et des documents de la Dds. Des manquements qui peuvent peut-être prolonger une deuxième fois, la durée de la phase d’instruction.
C’était il y a 1 an : l’ex-Président tchadien, exilé au Sénégal depuis plus de 20 ans, était inculpé et placé sous mandat de dépôt pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes de torture durant la période 82-90. Et elle coïncide avec son règne. Cela avait, suite au réquisitoire introductif du Procureur spécial près les Chambres africaines extraordinaires, Mbacké Fall. Ce même réquisitoire avait également visé deux autres personnes à savoir des directeurs de la Direction de la documentation et de sécurité (Dds), la fameuse police politique de l’ancien chef d’Etat. Après son arrestation, Habré a séjourné en premier lieu au Pavillon spécial de l’Hhôpital Aristide Le Dantec avant d’être transféré quelque temps après au Cap Manuel dans une «prison normée» en attendant son procès prévu en avril 2015.
Dans l’actif des Chambres, il faudra aussi inscrire les quatre commissions rogatoires internationales qui ont eu lieu au Tchad. Ces déplacements ont permis aux juges et au Parquet d’enquêter sur les faits qui se sont passés durant la période de règne de Habré. En partenariat avec les officiers de police judiciaire tchadiens ainsi que leurs homologues du Sénégal, en l’occurrence la Division des investigations criminelles, ils ont rencontré et interrogé des témoins et des milliers de victimes qui se sont constituées d’ailleurs partie civile dans cette affaire.
A l’issue de ces voyages, les juges ainsi que le Parquet ont aussi mis la main sur des documents de la Direction de la documentation et de la sécurité (Dds), «compromettants» pour la défense. Aussi des sites supposés abritant des charniers ont été identifiés par la commission. Lors de la dernière commission rogatoire, la cellule de communication des Cae avait annoncé dans un communiqué, l’exploitation de ces dits charniers par des experts qui vont déposer après leurs conclusions sur la table des juges.
Tension vive entre la défense et les Cae
Ici à Dakar, la machine judiciaire s’est emballée à un certain moment. Créant une vive tension entre le Parquet, les juges et les avocats de la défense qui jusqu’à présent persistent à mépriser les Chambres, jugeant celles-ci incompétentes pour juger leur client. Mais cette attitude de la défense n’a pas eu trop d’impact sur la suite de la procédure. Hissein Habré continue d’être convoqué assez régulièrement au niveau des Cae à chaque fois qu’il est de besoin pour la suite de l’instruction. La tension avait été même au summum quand les deux domiciles de Habré ont reçu la visite sur délégation judiciaire de la chambre d’instruction, des éléments de la Division des investigations criminelles pour effectuer des perquisitions. Pendant des jours, la presse sénégalaise a eu droit dans ses colonnes à des comptes rendus de la réaction spectaculaire de Me Maître El Hadji Diouf, l’un des avocats les plus engagés dans cette lutte qui voulait empêcher cet acte. Il avait accusé la police de vol avant de les traiter de bandits.
Après cette épisode, il y a eu la constitution de partie civile de l’Etat tchadien qui a aussi soulevé beaucoup de critique de la part des organisations de défense des droits de l’Homme mais aussi des avocats des victimes qui voyaient dans cet acte du gouvernement du Tchad, une façon de garder un œil dans la procédure. Seulement, les Chambres ont tranché et ont jugé que cette constitution de partie civile était irrecevable. A la dernière nouvelle, l’Etat du Tchad avait introduit appel. Un des temps forts aussi qui a marqué les audiences, c’est l’affaire du turban de Habré qui avait suscité une polémique entre le Parquet et la défense.
Des doutes sur la bonne foi du gouvernement tchadien
Toutefois, il faut aussi reconnaître que si des actes importants ont été posés tout le long de la procédure, il reste beaucoup de choses à faire. Notamment le transfèrement des co-accusés de Habré à Dakar pour leur comparution. Le procureur avait expliqué le retard par des erreurs d’appréciation entre l’axe Dakar-Ndjamena et avait même avancé la date d’avril 2014. Mais, jusque-là Dakar n’a pas mis la main sur ces personnes. Des observateurs ont même soutenu que le régime de Déby ne jouait pas franc jeu dans cette affaire. Des accusations que le ministre de la Justice, venu récemment à Dakar, a balayées d’un revers de main disant que son pays ne va pas bloquer le procès de Habré. Alors pourquoi les juges peinent à mettre la main sur les co-accusés de Habré ?, s’interroge-t-on. Pourquoi les documents également trouvés, les documents de la Dds ne sont toujours pas transférés à Dakar comme convenu dans l’accord de coopération judiciaire entre les deux pays ? Des questions restent entières qui font douter de la bonne foi du Tchad à collaborer dans cette affaire. Sans compter les libertés provisoires accordées aux supposés bourreaux qui ont été arrêtés au Tchad dans le cadre de la procédure interne.