Reprenant la plume à l’universitaire, cet administrateur qui a eu la chance de faire ses apprentissages auprès d’un homme du sérail, français comme lui, le gouverneur Colombani, va faire le reste et le plus agréable. Lui a vécu l’histoire comme témoin heureux et malheureux parce que l’essentiel de ses amis va se retrouver en prison au lendemain de l’indépendance du Sénégal pour laquelle lui, le Français a accompli une œuvre non négligeable aux cotés de Mamadou Dia, avec Valdiodio Ndiaye, Joseph Mbaye et Ibrahima Sarr. 1957-1962, on aurait pensé que l’histoire politique du Sénégal ne veut pas sortir indemne de la période de ces cinq années terribles : le référendum de 1958, avec la scission qui s’ensuit. La naissance puis la mort de la Fédération du Mali. Nous sommes en 1960. Et, en 1962, pour un simple remaniement du gouvernement et ce sera la fin toutes les illusions. L’esquisse sénégalaise et l’apprentissage auprès du gouverneur Colombani touche à sa fin à la veille des élections territoriales de 1957 après des visites au Sénégal oriental en pays bassari, au Sine Saloum, en Casamance. Roland Colin raconte aussi le rendez vous auquel l’avait préparé Colombani avec la sphère maraboutique. Il parle de Touba et de son magal de 1956 et raconte, « Le pèlerinage annuel à Touba (magal) réunissait plus de 100.000 fidèles mourides (talibés).
Les autorités s’y rendaient traditionnellement. J’ai accompagné Colombani au magal de 56 et subi le choc d’un rassemblement religieux d’une puissance incomparable à tout autre sur le sol sénégalais… Les nombreux trains spéciaux (le rail a été poussé jusqu’au cœur de la ville sainte) partis de Dakar sont, de façon inimaginable, chargés à ras bord jusqu’au toit des wagons, avec la foi inébranlable que Dieu protégera les siens ou leur ouvrira la porte du Paradis. L’immense mosquée, dont l’achèvement s’éternise, comme si son édification était vouée à ne jamais finir, surplombe de son très haut minaret, le plat pays arachidier du Baol… »
C’est ainsi que s’ouvre à Dakar, le 24 février 1957, le Congrès fondateur du Bps avec l’arrivée en force de la jeune garde : Senghor est Directeur politique du parti. Mamadou Dia en est le Secrétaire général, assisté de Valdiodio Ndiaye, Abdoulaye Guèye, Joseph Mbaye, Abdoulaye Ly, Amadou Mahtar Mbow, Assane Seck et Doudou Thiam sont Secrétaires à l’Organisation et à la propagande. Colombani quitte Dakar en cette année là, non sans avoir préparé l’homme qui deviendra par la suite, chef du cabinet de Mamadou Dia ; une fois que le comité exécutif du Bps réuni à Saint-Louis, le 28 avril 1957, ne désigne ce dernier candidat à la vice présidence du Conseil du gouvernement. Les futurs et véritables combats qui l’attendent dans ce pays qui l’adoptent sont ainsi à venir toujours plus rudes que ce qu’il a connu jusque-là auprès de son mentor.
Juillet 57, le voilà de retour à Dakar. S’ensuit donc une longue période qui marque des fois et à jamais la vie des gens ordinaires… « Les petites « misères » de Senghane Ndiaye, homme de confiance de Mamadou Dia souvent soumis aux moments d’humeur du patron. Il en était aguerri. « Je me souviens l’avoir surpris, sans qu’il en ait reçu la mission expresse, en train de « désenvoûter » nuitamment, en bon sérere qu’il était, le bureau du président qu’un précédent visiteur maléfique, aurait pu, selon lui, dangereusement « marabouter ».
C’était aussi cela le Sénégal, raconte R. Colin. Le récit se poursuit encore avec l’arrivée dans le cabinet du président, de Mame Aminata Guirandou Ndiaye, après le départ de Mathilde Angrand, appelée à l’ambassade du Sénégal à Paris. Aminata Guirandou Ndiaye, « qui alliait, le charme au tact et à l’intelligence. Son père avait été un homme politique important en Côte d’Ivoire, sans renier une authentique racine familiale sénégalaise… » Il se rappelle encore les séjours à l’hôpital le Dantec avec sa femme Renée pour la naissance de son fils Dominique en septembre 1960.
Cet épisode est marqué par la rencontre avec le professeur Paul Corréa, à la maternité africaine de l’hôpital Le Dantec. Le médecin dirigeait à l’époque cette maternité. «Obstétricien, souligne l’auteur, solide et compétent, chaleureux casamançais, avec qui nous avions noué des relations d’amitié, » raconte l’auteur. Le rocambolesque est aussi dans la description des frasques d’un vigile écervelé.
Proche du président, il a été chargé de veiller sur le filtrage des visites au cabinet. Mais le forcené va porter le respect des consignes jusqu’à envoyer dans les pommes un coopérant français venu voir Mamadou Dia. L’incident diplomatique lui coûtera son poste. Roland Colin le décrit ainsi, « Ce colosse bien connu du monde dakarois, portant au cuir chevelu, les cicatrices de horions reçus dans quelques glorieuses échauffourées électorales, répondait au surnom d’El Lobo. Avec un tel cerbère, aucun passage ne pourrait être forcé.» Son excès de zèle le perdra…
Le récit se poursuit avec les mésaventures de l’auteur dans sa nouvelle terre d’adoption. Et puis, la tuberculose qui le reconduit dans le même établissement (l’Hôpital Le Dantec) au moment même où rien n’annonce les lourds nuages qui vont s’amoncèlent progressivement au dessus du Sénégal, une fois l’indépendance en poche, sur les relations de deux vieux amis ; Senghor et Dia que la cour proches des deux, ne cessera de monter l’un contre l’autre.