Les conflits dans les zones de pêche au Sénégal sont complexes et résultent de plusieurs facteurs socio-économiques, environnementaux et réglementaires. Les eaux sénégalaises sont riches en poissons, mais la surexploitation menace gravement les ressources halieutiques. La pêche intensive, tant par des navires industriels étrangers que par des pêcheurs locaux, a provoqué une diminution des stocks de poissons et favorisé l’émigration irrégulière. Cela engendre une forte compétition entre les différents acteurs. D’ailleurs, les pêcheurs artisanaux, qui utilisent des techniques de pêche plus traditionnelles et respectueuses de l’environnement, se sentent menacés par les grandes entreprises de pêche industrielle. Ces dernières, souvent étrangères, utilisent des méthodes de pêche intensives (chalutiers, filets dérivants) qui capturent une grande quantité de poissons en peu de temps, contribuant à la dégradation.
Où se trouve la limite en haute mer ? Pour mieux organiser l’espace maritime sénégalais, la loi n°2015-18 du 13 juillet 2015 portant Code de la pêche maritime, en ses articles 39 à 51, définit les différentes zones de pêche autorisées en fonction des catégories de licences et des options. Ainsi, dans le Code de la pêche, tout navire qui vient au Sénégal pour pêcher doit disposer d’une licence pour exploiter la ressource.
Ces zones de pêche sont déterminées à partir d’une ligne de référence joignant les points de référence (P1, P2, P3, P4, P5, P6) obtenus suite à des levés hydrographiques réalisés par les services compétents. En ce qui concerne les parties situées hors de ces points de référence, les zones de pêche sont mesurées à partir de la laisse de basse mer (là où la mer s’étend lors de la marée basse en dehors des conditions particulières).
Toutefois, si nécessaire, le ministre de la Pêche peut procéder à la fermeture d’une zone de pêche. Malgré ces dispositions, des conflits surviennent entre des acteurs de la pêche artisanale et de la pêche industrielle, avec des bateaux qui heurtent souvent des pirogues ou parfois qui accrochent leurs filets au point de leur causer beaucoup de dommages.
L’espace maritime sénégalais est estimé à 200 miles (1 mile=1852 mètres) et divisé en différentes zones de pêche délimitées incluant les zones interdites, ainsi que les zones autorisées pour chaque catégorie de licence et pour chaque option. Chaque zone de pêche correspond à une catégorie de licence. Il y a quatre catégories de licences de pêche industrielle délivrées par les autorités sénégalaises avec les options qui déterminent les espèces que ces bateaux doivent pêcher : «la Licence de pêche démersale côtière, option : chalutiers crevettiers, option : chalutiers poissonniers et cépalopodiers, option : palangriers de fond. la Licence de pêche démersale profonde, option : chalutiers crevettiers, option : chalutiers poissonniers, option : palangriers de fond, option : casiers à langouste rose, option : casiers à crabe profond ; la Licence de pêche pélagique côtière, option : senneurs, option : chalutiers ; la Licence de pêche pélagique hauturière, option : canneurs, option : senneurs, option : palangriers (thon), option : palangriers (espadon)», liste l’inspecteur des Pêches Diamé Ndiaye, chef de la brigade Veille portuaire.
Toutefois, il faut préciser que pour des raisons de sécurité, les opérations de pêche et de mouillage sont interdites dans la zone rectangulaire qui se trouve au niveau du Port autonome de Dakar, autant pour la pêche artisanale que pour la pêche industrielle, à cause des câbles sous-marins qui se trouvent dans cette zone très sensible. Cette zone rectangulaire présente beaucoup de risques par rapport aux filets de pêche, mais aussi aux ancres des bateaux.
Le Code de la pêche ne détermine pas une zone de pêche pour la pêche artisanale. Toutefois, les pirogues sont interdites de pêche dans les Zones de pêche protégées (Zpp), les Zira, les Amp, entre autres. Ces zones sont protégées par la loi ou par des arrêtes. Mais en dehors de ces zones, la pirogue peut aller en mer dans n’importe quelle zone si sa sécurité le lui permet. «Parfois, on entend que la pêche artisanale ne doit pas dépasser 8 miles et 12 miles. Cela ne repose sur aucun texte juridique. Cette zone n’est pas réservée aux pirogues. Souvent cette zone est une zone de frayères, parce que c’est dans cette zone que le poisson va déposer et garder ses œufs. D’ailleurs, ces zones sont interdites aux bateaux car ils ont souvent une capacité de destruction qui fait que leurs filets peuvent détruire les œufs des poissons», précise l’inspecteur des Pêches. «Nous voyons des pirogues qui quittent le Sénégal pour aller en Guinée-Bissau, en Guinée Conakry, et reviennent avec leurs prises. Par rapport à ces conflits, il faut comprendre qu’on n’a pas interdit aux pirogues d’aller pêcher dans les 12 miles, elles peuvent aller même au-delà de 30 miles si leur capacité le leur permet. Mais pour éviter qu’en situation de conflit avec le bateau qu’on ne lui donne pas raison, il faut obligatoirement un radar pour qu’on puisse détecter la pirogue», avertit Diamé Ndiaye.
Sans radar, certaines pirogues se font écraser par des bateaux
Bien que n’ayant pas une zone spécifique de pêche, certaines pirogues vont en haute mer à la recherche de poissons. «Malheureusement dans la plupart des cas, elles ne sont pas détectées parce que le radar ne peut pas détecter le bois. C’est pourquoi, pour être identifiées par les radars des bateaux, les pirogues doivent acheter un réflecteur industriel, à défaut de mettre un métal sur le bois, que ça soit un pot de tomate ou autre chose en métal», conseille le chef de brigade au Port autonome de Dakar.
Certes la pêche artisanale n’a pas de zone de pêche fixe et souvent celui qui n’a pas de limite peut entrer en conflit avec celui qui en a. «Par exemple, si dans la délimitation de l’espace maritime pour les pirogues, on avait dit la pêche artisanale ne doit pas dépasser 12 km en mer, il n’y aurait peut-être pas de conflits. La pêche artisanale peut pêcher n’importe où, sauf dans les zones protégées», répète-t-il.
D’ailleurs, l’article 44 du Code de la pêche précise de façon claire les zones de pêche des navires opérant dans les eaux sénégalaises selon les types de licences : «Les bateaux de moins de 250 tonnes qui pêchent les crevettiers sont autorisés à pêcher à partir du Cap Manuel. C’est à partir des 6 miles qui représentent 12 km. Donc tout bateau qui va pêcher à partir de 12 km vers la plage sera sanctionné, parce que cela a été mentionné dans la licence de pêche.» Toutefois, il faut préciser qu’on peut trouver des bateaux dans la zone des 6 miles, «c’est le cas des cordiers qui sont de petits bateaux qui pêchent le chinchard. Vous les trouvez au port de pêche. On les classe dans la catégorie des bateaux parce que la seule différence avec les pirogues, c’est qu’ils ont un pont. Ces cordiers peuvent pêcher à partir de la zone nord jusqu’au Cap Manuel, même au-delà des 3 miles, c’est-à-dire à partir des 6 km. Donc que les acteurs ne soient pas surpris de voir ces cordiers pêcher à côté des pirogues», précise le technicien de la pêche.
Après cette zone qui s’étend du Cap Manuel à la Gambie, il y a la frontière maritime nord et la frontière sud avec la Gambie. C’est la zone centre des eaux sénégalaises. «Cette fois, ces types de bateaux doivent commencer à pêcher à partir de 7 miles, soit 14 km, et dans la frontière sud, ce même bateau va revenir dans les 6 miles. Ce qui s’explique par le fait qu’il est plus facile d’atteindre les profondeurs dans le Nord et dans la zone sud que dans la zone centre. Souvent ces bateaux ont une licence pour pêcher les crevettes. Il faut aussi préciser que dans l’espace maritime gambien, il faut avoir la licence pour pouvoir pêcher dans leurs eaux», déclare M. Ndiaye.
Entre 250 et 400 tonnes, ces bateaux qui pêchent la crevette côtière doivent le faire à partir de 12 miles, c’est-à-dire 24 km.
La zone commune source de différends entre le Sénégal et la Guinée-Bissau
D’ailleurs, vers le Sud, il y avait la zone commune. C’est cette zone qui avait divisé le Sénégal et la Guinée-Bissau à cause du pétrole qui s’y trouve. «En son temps, la Guinée-Bissau avait pensé que la frontière maritime avec le Sénégal était une ligne droite. La Gambie, avec qui le Sénégal partage deux frontières maritimes, est très droite. Alors que la frontière avec la Guinée-Bissau n’était pas droite car étant tracée par les colons, et le Tribunal a tranché en faveur du Sénégal. Pour maintenir le bon voisinage, le Sénégal et la Guinée-Bissau se sont réunis pour dire qu’à partir de Cap Rosko jusqu’à 14 km en mer, ce sont les eaux territoriales du Sénégal. Toute personne qui veut pêcher dans cette zone doit avoir une licence de pêche du Sénégal. Si c’est du côté de la Guinée-Bissau, il faudra avoir une licence de pêche de ce pays», indique Diamé Ndiaye. Mais, après les 24 km en mer, «c’est la zone commune où les deux pays peuvent pêcher, et dans cette zone le Sénégal et la Guinée-Bissau se partagent le poisson, mais en ce qui concerne le pétrole, le Sénégal s’est dit puisque le pétrole se trouve dans le territoire sénégalais, le Sénégal va prendre les 85% et la Guinée-Bissau les 15%».
Des bateaux de plus de 500 tonnes peuvent pêcher au-delà des 70 km. «Donc, c’est l’espèce que tu pêches qui va déterminer dans quels miles va se situer le navire. Ceci fait qu’il y a souvent des conflits entre la pêche artisanale et la pêche industrielle. Mais en dessous des 6 ou 7 miles, tout bateau qui trouve une pirogue dans cette zone aura tort et s’expose à des sanctions, à part les cordiers qui peuvent pêcher dans les 3 miles», dit-il.