L’élection du candidat antisystème Bassirou Diomaye Faye à la tête du Sénégal fait planer un peu plus d’incertitude sur l’avenir du franc CFA en Afrique de l’Ouest, même si sortir de cette monnaie commune reste une aventure économique incertaine.
Tenant d’une ligne souverainiste, M. Faye a prôné pendant sa campagne une rupture avec la devise actuelle, utilisée dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA:
Sénégal, Mali, Burkina, Niger, Côte d’Ivoire, Togo, Bénin et Guinée-Bissau).
Le franc CFA est également utilisé dans six pays d’Afrique centrale, dans une union monétaire distincte, où le débat sur une éventuelle sortie est pour l’heure moins intense.
- Une devise de plus en plus impopulaire -
Les critiques envers le franc CFA, dont les billets sont toujours imprimés à Chamalières, en France, ne sont pas récentes.
Sa parité, arrimée à un euro fort qui pénalise les exportations, est fréquemment visée par ses détracteurs.
La montée du sentiment hostile à la politique française en Afrique dans plusieurs pays de la région, notamment au sein des populations les plus jeunes, a accentué l’impopularité de la devise.
Il y a quelques mois, le Mali, le Burkina Faso et le Niger, gouvernés par des régimes militaires qui ont tourné le dos à Paris et quitté la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), avaient eux aussi évoqué une sortie du CFA.
- Par quoi remplacer le franc CFA? -
Lors de la campagne au Sénégal, la coalition qui a porté au pouvoir M. Faye a dit soutenir l’idée d’une monnaie ouest-africaine régionale, l’eco.
Annoncé fin 2019 à Abidjan par les présidents français Emmanuel Macron et ivoirien Alassane Ouattara, le projet de cette nouvelle monnaie commune a vocation à s’élargir hors de l’UEMOA, pour intégrer d’autres pays de la région comme le Ghana et surtout le géant nigérian.
La France avait à l’époque afirmé cesser de participer aux instances de gouvernance de l’UEMOA. De son côté, la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) n’était plus tenue de déposer la moitié de ses réserves de change auprès de la Banque de France, une obligation perçue comme une humiliation par les détracteurs du CFA.
"Dans ces réformes, on réglait d’abord les questions symboliques. Mais le nom, qui est la question identitaire par excellence, n’a toujours pas été changé!", déplore l’économiste togolais Kako Nubukpo, commissaire à l’UEMOA qui estime qu’il y a "urgence" à conduire une réforme monétaire.
- Une réforme au point mort -
Quatre ans plus tard, l’eco est encore loin de voir le jour, même si la date de 2027 a été avancée.
Les critères de convergence pour appartenir à cette nouvelle monnaie - déficit budgétaire sous 3%, dette inférieure à 70% du PIB et inflation sous les 10% - ne sont pas remplis par la plupart des pays.
"L’agenda n’est pas crédible car il n’y a pas eu de réduction de l’hétérogénéité des économies", regrette Kako Nubukpo.
L’élection de M. Faye à la tête du Sénégal - poids lourd de la zone monétaire - pourrait toutefois réactiver le sujet.
Car pour la coalition qui va diriger le Sénégal, l’éventualité de se doter de sa propre monnaie si l’eco tarde à se concrétiser n’est pas exclue.
"Il y aura forcément des discussions avec la Côte d’Ivoire, locomotive de l’UEMOA dont le président Ouattara est un fervent défenseur du Franc CFA", dit à l’AFP l’économiste ivoirien Séraphin Prao.
"Le panafricanisme ne rime pas avec des aventures solitaires. La meilleure voie c’est de réactiver le projet de l’eco. Avec les 15 pays ouest-africains nous formerions une zone économique forte", poursuit-il.
- Stabilité contre souveraineté -
La crise née de la guerre en Ukraine a rappelé quelques vertus du franc CFA, dans un contexte d’inflation généralisée. Quand le Ghana ou le Nigeria ont vu l’inflation atteindre 30 à 40% en 2022, les pays de la zone UEMOA ont réussi à la juguler à des niveaux plus raisonnables autour de 7%.
"Le franc CFA reste un parapluie qui amortit les chocs. L’arrimage à l’euro permet une certaine insensibilité de cette monnaie face aux chocs internationaux", souligne Blaise Makaye, économiste au Laboratoire d’analyse et de modélisation des politiques économiques (LAMPE), de Bouaké en Côte d’Ivoire.
Mais le débat occupe désormais autant le champ politique qu’économique. "L’argument avancé en soutien au franc CFA est la stabilité. Mais quelle stabilité? Sûrement pas politique au regard du record de coups d’Etat. Au plan économique, six pays de l’UEMOA sur huit sont classés parmi les pays les moins avancés", ajoute le professeur Makhtar Diouf de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
"La dimension politique et symbolique du CFA eface aujourd’hui le débat sur son utilité monétaire ou en terme de préservation du pouvoir d’achat", conclut Kako Nubukpo.