Au Sénégal, l’Assemblée nationale s’apprête à examiner le projet de loi d’amnistie générale sur les faits en relation avec les affaires politico-judiciaires de l’opposant incarcéré, Ousmane Sonko. De mars 2021 à février 2024, elles ont entraîné la mort de plus de soixante personnes dans des manifestations sévèrement réprimées par les forces de l’ordre. Si l’initiative trouve diverses réactions au plan national, elle est dénoncée par des organisations de défense des droits humains qui la qualifient d’« affront aux familles des victimes ».
Dans un communiqué parvenu mardi à APA, Amnesty International alerte que l’adoption de la loi d’amnistie par le Parlement constituerait « un manquement » de l’État sénégalais à son obligation de justice, de vérité et de réparation qui lui incombe en vertu du droit international pour les familles de plus de 60 personnes tuées lors des manifestations. L’ONG rappelle que « quinze familles » ont déjà porté plainte devant les tribunaux et attendent toujours que justice leur soit rendue.
« Ce projet de loi constitue un déni de justice pour les victimes, ainsi que pour leurs familles, qui attendent justice, vérité et réparations. En adoptant une telle loi, non seulement l’État sénégalais manquerait à ses obligations nationales et internationales, mais il favoriserait également l’impunité pour les crimes de sang », a fustigé Samira Daoud, directrice régionale d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, rappelant que le Bénin a récemment été réprimandé par la justice africaine pour avoir adopté des lois d’amnistie.
En effet, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a, dans un arrêt relatif à une loi d’amnistie pour des faits commis lors des élections législatives d’avril 2019 dans ce pays ouest-africain, estimé que de telles « lois d’amnistie ne sauraient exonérer l’État qui les adopte de ses obligations internationales (…) et que l’interdiction de poursuivre les auteurs de violations graves des droits de l’homme par le biais d’amnisties conduirait non seulement les États à promouvoir l’impunité, mais supprimerait également toute possibilité d’enquêter sur ces abus et priverait les victimes de ces crimes d’un recours effectif en réparation ».
Face à de telles conséquences, Amnesty International demande que « des enquêtes judiciaires rapides, approfondies et impartiales soient menées » sur l’usage de la force par les forces de défense et de sécurité lors des manifestations, et que les personnes soupçonnées d’homicides illégaux soient traduites en justice dans le cadre de procès équitables devant des juridictions civiles ordinaires.
« Les autorités sénégalaises ne doivent pas utiliser cette loi comme une excuse pour ignorer les crimes qui ont été commis. Elles doivent au contraire demander des comptes à toutes les personnes soupçonnées d’avoir une responsabilité pénale dans le recours excessif et meurtrier à la force contre les manifestants. En outre, les autorités doivent libérer immédiatement et sans condition toute personne détenue arbitrairement et poursuivie pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression ou de réunion pacifique », a plaidé de son côté Seydi Gassama, directeur exécutif d’Amnesty International Sénégal.
Le projet de loi adopté par le Conseil des ministres le 28 février 2024, justifié par « l’esprit de réconciliation nationale » et la « préservation de l’État de droit et de la République », couvre tous les faits susceptibles d’être qualifiés de crime ou de délits relatifs à des infractions liées à des « manifestations ou ayant des motivations politique », qui se sont déroulés entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024, au Sénégal ou à l’étranger.