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[Reportage] Érosion, manque d’eau, défécation à l’air libre : Djiffer, un enfer au paradis
Publié le mercredi 20 decembre 2023  |  seneweb
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© Autre presse par DR
Le Sénégal se dote d’une société chargée de la gestion et de la construction des routes
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Jadis, tous les chemins menaient vers Djiffer, un paradis niché entre la mer et la terre, dans le Delta du Saloum, à quelques kilomètres de Palmarin. Les eaux poissonneuses ont attiré des personnes venues des quatre coins du Sénégal et même des pays limitrophes. Ici, la belle vie était rythmée par la pêche et ses activités connexes. Djiffer avait tout pour son envol y compris au plan touristique. Aujourd’hui, ce passé glorieux vire au cauchemar. Le poisson se raréfie. La mer engloutit des maisons à Djifer où l’accès à l’eau potable et aux toilettes décentes est un luxe. C’est la descente aux enfers du paradis terrestre. Reportage.
La galère au paradis terrestre. Ce bout de phrase peut résumer le sort de Djiffer, un site de débarquement de poissons, aux berges de bolongs peuplées de mangrove. C’est le lieu idéal pour les personnes en quête de la paix intérieure du cœur. Le site a tous les atouts pour son envol. Rien de tout cela. Djiffer est bordé par la mer. Mais l’eau potable n’y coule pas. Les ménages achètent de l’eau minérale dans des boutiques. « Nous achetons la bouteille de 10 litres à 250 francs CFA. Le village est très paisible. Il fait bon vivre à Djifer. Malheureusement, la vie y est très difficile. Car, nous manquons d'eau. Les ménages n’ont pas les moyens de payer des bouteilles à 250 francs CFA l’unité tous les jours alors qu'il y a d'autres dépenses. Nous sommes dans un village entouré d'eau pour peu qu'on puisse gagner notre vie. Mais nous n'avons pas de financement », témoigne Mama Ndiaye, une quinquagénaire. Depuis la nuit des temps, les habitants vivent dignement grâce à la générosité de la nature. Aujourd’hui, ils s’accrochent à ce principe. Toutefois, ils veulent bénéficier de financements.
Un tour dans le village met à nu l’arrêt du fonctionnement du système d’approvisionnement. Les robinets sont rouillés. La localité de Djiffer est alimentée à partir de Palmarin. C’est dans cette localité que les charretiers embarquent les bouteilles pour les convoyer à Djiffer. "Des charrettes qui quittent Palmarin nous approvisionnent en eau. Imaginez que chaque jour, nous devons acheter 7 à 8 bouteilles dans la journée", se désole le chef de village de Djiffer, Cheikh Sadibou Diamé.

L’eau, c’est la vie. Mais ce n’est pas uniquement ce que les populations réclament. Les infrastructures sanitaires et scolaires sont des doléances partagées. Durant l’année scolaire, les élèves font la navette entre leur Djiffer et Palmarin.
"Quand nous tombons malades, nous allons jusqu'à Palmarin pour nous soigner. Quand les femmes accouchent, elles rencontrent beaucoup de peines. Elles sont transportées à la recherche d'un centre de santé. Parfois, ils nous évacuent vers Diofior ou Fatick", confie Fatim Diagne. Le chef de village Cheikh Sadibou Diamé plaide pour l’érection d’un centre de santé. L’accès aux soins a un prix long de 8 km hormis les frais médicaux. C’est une double peine pour les populations.
Le déficit de toilettes
Dans ce village, la défécation à l’air libre est encore de saison. En 2023, certains continuent de faire leurs besoins aux abords des bolongs et de la plage. L’accès aux toilettes décentes et sécurisées est un luxe. D’autres utilisent des latrines installées dans le village moyennant 50 ou 75 francs Cfa.
"Dès que vous entrez à Djiffer, vous sentez l'odeur nauséabonde dans le périmètre du village. La nuit, on prend une bouteille d'eau pour aller faire ses besoins sur la plage. Le manque de toilettes est un réel problème ici’’, confie Ismaëla Ka.

La pêche se meurt de sa belle mort
La mamelle de l’économie n’est pas épargnée par la descente aux enfers du paradis. Djiffer est connu pour ses eaux poissonneuses. Son peuplement et le cosmopolitisme de sa population sont inhérents à la pêche. On y retrouve toutes les ethnies vivant en harmonie depuis la nuit des temps. Activité jadis génératrice de revenus et pourvoyeuse d’emplois, la pêche meurt de sa belle mort, à Djiffer, depuis des décennies. Le poisson se raréfie. La crise que traverse le secteur est passée par là.
En cet après-midi de décembre, les pirogues parties en mer affluent vers le quai de débarquement. Des centaines de pirogues de retour au quai sont prises dans une foule immense et hétéroclite. Pêcheurs, mareyeurs, revendeurs de poisson, clients, vendeurs de thé et autres forment une fourmilière. Le marchandage bat son plein. A l’arrivée des pirogues, des manœuvres débarquent des prises. Elles sont envoyées hors de l’eau par d’autres. Ici, on salue ceux reviennent de la pêche. On bavarde. On plaisante. Des pirogues continuent d’accoster.
Ce jour-là, les pêcheurs partis en mer ont ramené des fruits de mer, appelés "toufa". Il y a ceux qui débarquent les prises, ceux qui les transportent dans des caissons. Des hommes se chargent de casser les coquilles et les femmes les nettoient. Au bout de la chaîne, il y a des vendeurs et des vendeuses.
La caisse de "Toufa" est cassée par des hommes moyennant 700 francs CFA. Le nettoyage coûte 300 Francs CFA. Les femmes décortiquent le coquillage. Le travail n'est pas sans risques. Le coquillage peut égratigner les mains ou peute se retrouver dans les yeux. La vie est rythmée par la pêche et ses activités connexes comme le commerce. Malgré cette ambiance bon enfant, une crise pernicieuse mine ce secteur depuis quelques années.
Originaire de Guéréo dans le département de Mbour, Ismaëla Ka dans ses allures de rappeur, s'est installé depuis 1986 à Djiffer. En ce temps-là, la mer était poissonneuse. Il s'est fait un nom dans ce village.
"Quelques décennies en arrière, la ressource était florissante. Nos côtes étaient poissonneuses. La mer n’était pas aussi surexploitée. Maintenant, il faut faire un parcours du combattant pour avoir du poisson. On pouvait avoir beaucoup de prises et en vendre moins. Aujourd’hui, la donne a changé. On ne voit même plus le poisson. La pêche d’avant était plus facile et plus simple qu’aujourd’hui. Dans le passé, c’était facile d’avoir le poisson. Depuis 1986, je suis à Djiffer, mais entre 1986 et 1990 tout a changé", se désole Ismaëla Ka.
Bien que rudimentaire, la pêche artisanale d’avant était plus florissante et garantissait la préservation de la ressource. Avec les matériaux utilisés de nos jours, le poisson se fait de plus en plus rare, explique Mor Niang.
Il déplore l'utilisation du filet monofilament dont se sert la plupart des pêcheurs

"Les filets détruisent l’écosystème marin. Ce filet peut évoluer durant des décennies au fond de l'océan. Ce fil n’est pas destiné à faire des filets pour pêcher, mais juste à accrocher l’hameçon. Si on le perd en mer, il continue de ferrer des poissons et à faire des prises qui finissent par pourrir. Quand ça pourrit, l’odeur indispose les poissons qui se déplacent. Car le poisson n’aime pas la mauvaise odeur. Et les filets qui jonchent le fond de la mer sont nombreux. Cela n’existait pas auparavant. C’est la raison pour laquelle le poisson n’est plus facile à trouver dans nos eaux’’, explique Mor Niang, capitaine de pirogue.
L’augmentation des pêcheurs accroît la pression sur les ressources halieutiques. Des espèces n’ont pas plus de temps de se reproduire comme il se doit. Les alevins ne sont pas épargnés. Résultats des courses : le secteur est à l’agonie.
« Le monofilament devrait être interdit. Il y a aussi les bateaux qui nous mènent la vie dure en pleine mer. Ils gâtent nos matériaux de pêche. Les bateaux devaient se positionner à 80 kilomètres maintenant ils sont juste à 9 kilomètres. Parfois, ils nous balancent des lacrymogènes », rapporte Mor Niang.
L'érosion côtière, l’une réalité
Djiffer est vulnérable aux effets du changement climatique. La mer ne cesse de gagner du terrain sur le continent. L’océan ne cesse d’avaler des maisons. "L'île de Sangomar et le village étaient rattachés. Mais la mer les a séparés. Maintenant, une distance de 8 voire 9 kilomètres les séparent. L'année dernière, la mer a emporté 20 maisons. L’habitation où j’ai vu le jour est maintenant colonisée par les eaux océaniques. Chaque jour que Dieu fait, la mer avance à Djiffer », constate le Chef de village. Au cours de ces dernières années, plus de 45 maisons ont été englouties par la mer. D’où le cri du cœur des populations pour sauver Djiffer de sa disparition programmée.
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