Habituées à accoucher sur une table avec des mouvements limités, les Sénégalaises disposent, aujourd’hui, d’une autre méthode pour mettre au monde leurs bébés. Il s’agit de l’accouchement à « style libre » qui leur permet d’adopter la position de leur choix. En plus, elles peuvent être assistées par un parent proche. Des parturientes interrogées saluent l’initiative. Car, elles se sont senties à l’aise comme si elles étaient dans leurs domiciles.
Debout, assises, accroupies, couchées. Désormais, les femmes sénégalaises peuvent adopter, si elles le désirent, chacune de ces positions au moment de l’accouchement. C’est dans le cadre de la promotion de l’accouchement à « style libre » qui fait partie intégrante de l’accouchement humanisé. Une composante majeure du Projet de renforcement des soins de santé maternelle et néonatale (Pressmn) initié par le ministère de la Santé et de l’Action sociale du Sénégal, en collaboration avec la Jica (Agence japonaise de coopération). L’objectif étant de lutter contre la mortalité maternelle et infantile. C’est d’ailleurs pour cette raison que les régions orientales (Tambacounda et Kédougou), qui font partie de celles qui enregistrent les plus forts taux de décès maternels au Sénégal, ont été choisies pour servir de cadre d’expérimentation de cette stratégie entre 2009 et 2011.
Les tests ayant été concluants, l’accouchement humanisé est introduit depuis mars 2014 au centre de santé Gaspard Camara du district sanitaire centre de Dakar sélectionné parmi les sites pilotes pour la généralisation de la méthode naturelle d’accouchement. « Nous nous sommes rendus compte que les femmes fuyaient presque les salles d’accouchement à cause du mauvais accueil. Ce qui a justifié les nombreux cas d’accouchement à domicile notés. Il fallait donc améliorer en mettant en œuvre l’accouchement humanisé, d’autant que pendant le travail, la femme cherche une position qui atténue la douleur», confie Dr Ndèye Awa Diagne, la gynécologue de Gaspard Camara. Selon elle, « avec l’accouchement à style libre, la parturiente est au centre. La prestataire s’adapte à elle et lui apporte tout le soutien dont elle a besoin durant tout le processus ».
En plus de choisir sa position préférée, contrairement à l’accouchement classique sur une table, « les femmes peuvent être assistées par un parent proche, en présence de la sage-femme », explique Dr Diagne à une vingtaine de journalistes des neuf pays francophones d’Afrique de l’Ouest en session de formation à Dakar dans le cadre du Partenariat de Ouagadougou. Cette initiative, veut recruter un million de nouvelles utilisatrices de la planification familiale d’ici à 2015, vise à faire en sorte que les femmes vivant dans ces neuf Etats aient accès aux services, produits et informations de qualité sur la contraception.
Confort des parturientes
Pour la gynécologue du Centre de santé Gaspard Camara, « quand une femme veut, par exemple, accoucher par terre, un matelas est disponible pour cela ». Car, les salles nouvellement aménagées dans le cadre de l’accouchement humanisé sont dotées de tatami qui sert de matelas. Il y a également des balançoires, des ballons et des coussins. Le tout pour assurer le confort des parturientes. Et, le choix d’accoucher debout, assis, accroupi ou couché est fait depuis la première consultation prénatale (Cpn), ajoute Dr Diagne.
Le médecin-chef adjoint du district, Dr Rokhaya Sy, de préciser que toutes les femmes venues pour accoucher sont reçues dans une salle dite de tri. « Nous faisons une évaluation pour voir si elles peuvent accoucher en style libre en adoptant la position de leur choix », indique-t-elle, soulignant que « quelle que soit la position qu’elle aura choisie, elle est soutenue ». Maary Sow a choisi d’accoucher à même le sol, sur un matelas. Simplement, « parce que c’est ce que je connais. Même si je suis présentement à Dakar, c’est ce qui se fait chez moi au Fouta », confie-t-elle. Ayant choisi elle aussi d’accoucher allongée sur un matelas posé à même le sol, Ndèye Amy Sow, qui a bénéficié de l’assistance de sa belle-mère qui l’accompagne, en cette après-midi du mercredi 28 mai 2014, témoigne qu’elle est « plus à l’aise » dans cette position que sur une table sur laquelle « tu ne bouges pas », ajoute Mame Yacine Diaw, une autre parturiente.
La gynécologue Ndèye Awa Diagne, précise à ce sujet « sur la table, les mouvements sont limités. De ce fait, l’accouchement était comme une punition, alors qu’étant physiologique, les femmes peuvent adopter toutes les positions qu’elles souhaitent ». D’aurant plus que selon Dr Diagne, « avec la présence d’un proche, l’ambiance est détendue, ce qui se répercute sur le travail qui est plus rapide. Mais quand ce dernier dure, la femme commence à s’agiter. L’accouchement à style libre permet ainsi d’éviter le stress, les cas de dystocie, etc. ».
Une méthode antidouleur
Comparant son récent accouchement fait en style libre au premier, Ndèye Amy Sow avoue qu’elle n’a pas eu du tout mal cette fois-ci. Contrairement à son premier accouchement qui était suivi de douleur, notamment au dos.
Pour le Dr Rokhaya Sy, médecin-chef adjoint du district sanitaire centre de Dakar, la méthode naturelle est ciblée pour éviter la douleur pendant le travail. « Le fait, par exemple, de masser le dos de la femme alors qu’elle est en travail soulage, détend », relève-t-elle, soulignant les autres étapes de l’accompagnement dont les parturientes bénéficient au centre de santé Gaspard Camara. « On les aide aussi à se promener, à boire, etc. », assure Dr Sy qui estime que si l’accouchement sans douleur a un coût, ce n’est pas le cas pour la méthode naturelle qui est une stratégie pas du tout onéreuse. « Ce qui est recommandé avec la méthode d’accouchement humanisé, c’est de ne pas dépenser beaucoup de ressources », ajoute-t-elle. D’ailleurs, le médecin-chef adjoint du district centre renseigne que « beaucoup de gestes superflus qui se faisaient avec l’accouchement classique ont été supprimés ». Dans ce sillage, relève le Dr Ndèye Maguette Ndiaye, médecin-chef du district sanitaire centre, « les médicaments pour accélérer le travail (perfusions) étaient utilisés sans être basés sur des expériences scientifiques ».
Le style libre appliqué uniquement en cas d’accouchement normal
Le centre de santé Gaspard Camara enregistre, chaque mois, environ 400 accouchements. Entre mars et mai 2014, la méthode d’accouchement à style libre a concerné 41 femmes. Simplement, parce que « seuls les accouchements normaux peuvent être faits à style libre », renseigne Dr Rokhaya Sy, médecin-chef adjoint du district sanitaire centre. Selon elle, « quand il y a un risque, la méthode classique avec la table d’accouchement est adoptée ». Donc, en cas de complications, pas de style libre d’accouchement. « En cas de saignement, par exemple, on ne peut pas appliquer le style libre. Les femmes qui ont un bassin rétréci ne peuvent pas non plus être soumises à cette méthode naturelle », ajoute Dr Sy qui précise qu’il en est de même pour celles qui ont déjà subi une opération.
Le Dr Ndèye Awa Diagne ajoute que si seulement 41 femmes ont adopté ce style d’accouchement, c’est parce qu’elles n’ont pas toute l’information. D’ailleurs, « on ne s’attendait pas à avoir ce nombre, car cette méthode n’est pas encore bien connue », déclare-t-elle. Pour une meilleure connaissance et une acceptabilité de la méthode d’accouchement naturel à style libre, « il est prévu également, en dehors des « Badianou Gokh », de former les relais et les Ocb pour qu’ils puissent sensibiliser les populations », informe la gynécologue Ndèye Awa Diagne. Concernant les cas ayant bénéficié de l’accouchement style libre, Dr Diagne soutient qu’il y a eu moins de complications, comparé à l’accouchement classique.
Pas de surcharge de travail
Les prestataires qui devaient soutenir les parturientes redoutaient une surcharge de travail. « Au début, c’est ce qu’on craignait », avance Dr Ndèye Awa Diagne, gynécologue. Mais, cette méthode qui accorde une place centrale à la communauté est faite de telle sorte que la sage-femme peut aller effectuer d’autres tâches, au moment où la parturiente est assistée comme si elle se trouvait chez elle par un proche. « La prestataire revient juste de temps à autre pour réévaluer », précise-t-elle.
Une expérience venue du Japon
L’accouchement humanisé est une expérience venue du Japon. « C’est un pays qui n’enregistre presque pas de décès maternels et néonatals », indique Dr Ndèye Maguette Ndiaye, médecin-chef du district sanitaire centre de Dakar. En plus, le Japon a, selon elle, des sages-femmes qui accouchent à domicile avec le style libre, sous la supervision de gynécologues. C’est pour cette raison qu’elle déclare que cette initiative testée à Tambacounda et à Kédougou entre dans la croisade contre la mortalité maternelle et néonatale.
Dr Ndèye Maguette Ndiaye, médecin-chef du district centre : «Les prestataires formées à un changement de comportements »
La mise en œuvre de l’accouchement humanisé au centre de santé Gaspard Camara n’a pas été facile, reconnaît Dr Ndèye Maguette Ndiaye, médecin-chef du district sanitaire centre de Dakar. « Il a fallu aménager nos locaux pour avoir plus d’espace », avance-t-elle. La formation du personnel a été une autre paire de manche. Car, « il fallait former les prestataires pour les emmener à un changement de comportements. Ce qui n’est pas évident », estime-t-elle. D’autant qu’ajoute la gynécologue Ndèye Awa Diagne, « dans la formation de base, les prestataires ne voyaient que les tables d’accouchement. Donc, si elles acceptent la méthode, cette dernière peut être déroulée facilement ».
De l’avis du médecin-chef adjoint, Dr Rokhaya Sy, beaucoup de sessions de formation ont été assurées. Elles ont concerné aussi bien les prestataires qualifiées que celles non qualifiées, de même que les « Badianou Gokh » ou marraines de quartiers. Ces dernières sont des femmes leaders connues et respectées dans leurs localités respectives. A ce titre, elles doivent aider les femmes à respecter les consultations prénatales, à accoucher dans les structures sanitaires, à vacciner leurs enfants, à promouvoir la contraception par le biais de l’espacement des naissances, entres autres actes bénéfiques pour la famille dans son ensemble, voire pour toute la communauté. C’est pour cette raison qu’elles sont choisies dans le cadre de l’accouchement humanisé pour aider dans la sensibilisation des populations pour que la méthode d’accouchement à style libre soit acceptée par tous et partout.