La disparition de trois embarcations de migrants en direction de l’Espagne, avec plus de 300 personnes à bord, remet au-devant de la scène une tragédie qui peine à être résolue.
S’ils n’ont jamais réellement cessé, les départs de migrants dans des embarcations de fortune ont repris de plus belle ces derniers mois. La tragédie révélée dimanche dernier par l’organisation d’aide aux migrants, Walking Borders, n’a fait qu’attirer à nouveau l’attention sur l’émigration clandestine au large de côtes sénégalaises. Mais depuis le mois d’avril, près de 300 candidats au départ vers l’Europe ont été arrêtés par les autorités sécuritaires.
Au début de ce mois de juillet, la gendarmerie nationale a démantelé un réseau d’organisateurs convoyant une cinquantaine de migrants qui avaient planifié leur voyage depuis la Gambie, avec la complicité de passeurs sénégalais. Au cours du mois écoulé (juin 2023), plus de 200 candidats à l’émigration irrégulière ont été arrêtés, selon les statistiques de la gendarmerie, s’accompagnant de l’interpellation de neuf organisateurs. En avril, une patrouille de la section spéciale chargée de la protection de l’environnement a arrêté 14 candidats à l’émigration à la plage Terrou Baye Sogui, sur la corniche-Ouest, de même que l’organisateur du voyage.
La disparition de plus de 300 migrants ayant quitté les eaux sénégalaises, révélée par Walking Borders, ne vient que confirmer le regain d’une tragédie qui se joue depuis bien trop longtemps.
Selon l’organisation d’aide aux migrants, trois pirogues qui ont quitté Kafountine (200 personnes à bord) et deux autres, parties de la région de Mbour le 23 juin, avec 50 à 60 personnes sur chaque pirogue, sont portées disparues. Les embarcations en direction des îles Canaries (Espagne) n’ont plus transmis de nouvelles depuis deux semaines.
Fausse alerte
Lundi, les secours maritimes espagnols ont cru avoir localisé l’une des embarcations portées disparues depuis 15 jours. Le survol d’un avion de recherche des autorités espagnoles qui a permis de localiser une pirogue dans la matinée à 130 km au sud de l’archipel des Canaries. L’opération de sauvetage lancée avec l’aide d’un navire marchand dérouté, à la demande des autorités espagnoles, a permis de secourir 86 migrants (80 hommes et six femmes).
En survolant la pirogue, le service de secours en mer a indiqué qu’environ 200 personnes se trouvaient à bord et estimait que c’était bien l’embarcation recherchée depuis 15 jours, partie de Kafountine en Casamance le 27 juin dernier. Après l’intervention, l’organisation a reconnu s’être trompée dans son estimation. Et l’origine de la pirogue retrouvée reste inconnue pour le moment.
Les mauvaises nouvelles s'enchaînent, puisque quelques semaines seulement avant cette disparition, un chalutier surchargé a coulé au large des côtes grecques. La noyade d'au moins 78 personnes a été confirmée, mais l'Organisation des Nations Unies (ONU) a indiqué que jusqu'à 500 personnes étaient toujours portées disparues.
Selon les statistiques de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), au moins 559 personnes sont mortes en mer en tentant d'atteindre les îles espagnoles, l’année dernière. En 2021, le nombre de morts s'élevait à 1 126.
Greenpeace Afrique : arrêter les pratiques néocoloniales
Les causes de l’émigration des jeunes Africains vers l’Europe n’ont pas changé : pauvreté, chômage endémique, perspectives assombries, mal gouvernance, etc. D’ailleurs, avec ce nouveau drame, Greenpeace Afrique n’hésite pas à pointer du doigt la responsabilité des politiques impérialistes.
Dans un communiqué publié hier, l’ONG estime qu’au Sénégal, ‘’les chalutiers industriels étrangers et les industries de farine de poisson sont particulièrement problématiques, car ils détruisent l’environnement, épuisent les stocks de poissons, privent les pêcheurs artisanaux de leurs moyens de subsistance et contribuent à la détresse économique qui pousse de nombreuses personnes à prendre des risques énormes dans des voyages périlleux à la recherche d'une vie meilleure’’.
Responsable de la campagne Océan de Greenpeace Afrique, Dr Aliou Ba abonde dans le même sens. Selon lui, “l'exploitation non durable des ressources marines et terrestres de l'Afrique est souvent facilitée par des accords inéquitables et des pratiques néocoloniales. Ces schémas d'exploitation exacerbent les inégalités socioéconomiques, poussant de nombreuses personnes à la désespérance et à l'émigration clandestine’’.
Ousmane Sonko aux jeunes : ‘’ Ne fuyez pas votre destin, restez et menons ensemble le seul combat…’’
Et au Sénégal, le contexte politique tendu n’aide pas à rassurer les candidats au départ. La fondatrice de Walking Borders, Helena Maleno, estime même que ce regain de départ est lié à “l’instabilité qui règne au Sénégal”. Un qui partage son avis est l’opposant Ousmane Sonko.
Dans un message partagé sur les réseaux sociaux, le leader de Pastef estime que ‘’chômage et paupérisation, notamment, sont des fléaux qui accompagnent le quotidien des Sénégalais. Ils reflètent également l'instabilité politique dans laquelle ce régime aura plongé ce pays, avec son lot de violences d'État, de tortures et d’emprisonnements politiques’’.
Le maire de Ziguinchor, assigné à résidence depuis un mois et demi, s’adresse ensuite aux candidats au départ. ‘’Aux jeunes de mon pays, je réitère mon appel : vous ne pouvez avoir un meilleur avenir qu'ici, chez nous ! Ne fuyez pas votre destin, restez et menons ensemble le seul combat qui vaille : la construction souveraine de notre développement économique et social’’, appelle-t-il.